Mexique : témoignage du P. Juan Pablo Romero sur ses deux frères jésuites assassinés
Le 20 juin 2022, les pères Javier Campos sj et Joaquín Mora sj ont été assassinés dans une église de Cerocahui, au nord du Mexique. Le P. Juan Pablo Romero, jésuite mexicain résidant en France, témoigne de ses deux « frères » jésuites. « Nous avons l’espoir que le sang de nos frères sera la semence de la nouveauté qui est sur le point de naître dans cette région du pays. »
Le 20 juin 2022, les prêtres jésuites Javier Campos et Joaquín Mora ont été assassinés à l’intérieur de l’église de San Francisco Javier à Cerocahui, Chihuahua. Ils sont morts en portant secours au guide touristique Pedro Palma, qui était poursuivi par le chef du cartel de la drogue qui contrôle cette région montagneuse. Pedro est entré dans l’église gravement blessé et le criminel est entré après lui. Javier et Joaquín se sont approchés pour réconforter Pedro et lui donner les huiles saintes, tout en essayant de calmer le criminel, qui était sous l’influence de la drogue. Javier, Joaquín et Pedro ont été tués et leurs corps ont été enlevés par le groupe criminel.
Pendant quelques jours, nous, les jésuites, avons vécu ce que des milliers de familles mexicaines vivent (au Mexique, 100 000 personnes ont été signalées disparues entre 1964 et 2022). Nos proches avaient disparu et, sans leurs corps, nous ne pouvions pas vivre notre deuil : pleurer nos morts et les enterrer.
La nouvelle a été si largement couverte par les médias nationaux et internationaux que le gouvernement, soucieux de son image, a mobilisé différents niveaux de sécurité pour retrouver les corps. 72 heures après le meurtre, les trois corps ont été retrouvés sur une route à 80 kilomètres de Ceracahui.
Javier et Joaquín ont travaillé dans la Sierra Tarahumara pendant plusieurs décennies. Javier, supérieur de la mission jésuite de Tarahumara, connaissait parfaitement les routes de la Sierra et entretenait des relations amicales avec les familles de tous les villages. Plus d’une fois, en voyageant avec lui, j’ai eu la chance de partager certains de ces moments de rencontre amicale. Nous étions en route et, à l’heure du déjeuner, Javier quittait l’itinéraire prévu et s’arrêtait dans une maison. La famille qui nous a accueillis était heureuse de la surprise. Javier ne s’était pas annoncé mais cela n’avait pas d’importance car il faisait partie de la famille.
Pour sa part, Joaquín n’a pas fait de geste héroïque dans les derniers instants de sa vie ; il est mort en faisant ce qu’il faisait habituellement. Il avait une personnalité calme, patiente et contemplative ; il avait toujours du temps pour la personne en face de lui. Ce n’était pas la première fois qu’il allait réconforter une personne blessée par un groupe criminel. Peu de personnes comme Joaquín ont la capacité d’être en paix et de transmettre cette paix en temps de crise.
Emprise des cartels de la drogue
L’identité du tueur est maintenant connue. C’est un jeune homme d’un peu plus de 30 ans qui est le chef du groupe armé qui contrôle cette région de la Sierra. Il est né sur le territoire de la paroisse jésuite et, comme beaucoup d’autres jeunes de cette partie du pays, il a sûrement été attiré dès son plus jeune âge par l’argent et le pouvoir que représentent ces groupes criminels. Sa capture ne changera pas grand-chose à la situation de Cerocahui, car le commerce de la drogue continuera à représenter une option de vie pour les jeunes des villages les plus pauvres du pays tant qu’il continuera à être alimenté par des dollars et des armes, et tant que ces villages continueront à être oubliés dans un plan national.
L’amour en actes
Lors de la messe des funérailles, le Père Provincial Luis Gerardo Moro, a rappelé l’importance dans notre spiritualité de la maxime :
l’amour doit se mettre dans les actes plus que dans les paroles.
Il a ainsi réitéré l’engagement de la Compagnie de Jésus à être présente dans les zones marginalisées de notre pays.
Nous resterons à Tarahuara et nous continuerons à partager la vie des peuples indigènes, a déclaré le père Moro dans son homélie. Nous avons l’espoir que le sang de nos frères sera la semence de la nouveauté qui est sur le point de naître dans cette région du pays.
Accorde-leur le repos éternel, Seigneur,
et que la lumière perpétuelle brille sur eux.
Que leurs âmes et les âmes de tous les fidèles défunts,
reposent en paix, par la miséricorde de Dieu.
Amen
(Père Arturo Sosa, Supérieur Général de la Compagnie de Jésus)
Dans la presse
> Deux jésuites assassinés au Mexique, le 20 juin 2022 : article de la Curie Générale des jésuites à Rome.
> Mexique: deux jésuites assassinés, réactions de l’Église locale : article de Vatican News.
> Le pape François exprime sa « consternation » après le meurtre de deux prêtres au Mexique : article de La Croix
En savoir + sur les jésuites au Mexique et en Amérique latine
Article publié le 29 juin 2022