Homélie du P. François Boëdec sj, Provincial d’EOF, pour la messe des 100 ans de l’école de Provence
L’École de Provence à Marseille a fêté ses 100 ans le 24 juin 2022. Le P. François Boëdec sj, Provincial d’EOF, partage son homélie prononcée lors de la messe qui a célébré le centenaire de l’implantation de l’école dans le quartier actuel de Saint-Giniez, en 1921.
Frères et sœurs, mes amis,
100 ans ! Un siècle ! Il nous arrive, en raison de l’allongement de la durée de la vie, d’avoir dans nos familles des grands-parents, arrières grands-parents, qui s’approchent ou qui atteignent cet âge. Et on imagine en les voyant, tout ce qu’ils ont vécu, connu, traversé pendant leur longue vie. En les écoutant, on se rend compte aussi combien le monde qu’ils ont connu quand ils étaient jeunes, ne ressemblait pas vraiment à ce qu’il est devenu aujourd’hui en beaucoup de domaines. Mais pourtant il y a comme un fil, un lien qui traverse le temps, des désirs et des aspirations essentielles de la vie, qui nous lient ensemble à travers l’histoire dans une commune humanité.
Ainsi en est-il de l’école de Provence. C’est en 1921 en effet que la nouvelle école de Provence s’établit ici, rue Emile-Sicard. En fait, l’histoire remonte à plus loin encore. Déjà en 1727, les jésuites avaient établi un premier collège à Marseille, à la demande de l’évêque, Mgr de Belsunce. Fermé lors de la suppression de la Compagnie de Jésus en 1773, il faudra attendre 1873, de nouveau cent ans après, avant que les jésuites ne puissent ouvrir un nouvel établissement, rue Thubaneau, appelée « Externat Saint-Ignace », près de 50 ans avant l’installation sur le site actuel.
La fête d’aujourd’hui nous fait prendre conscience de notre place dans cette histoire. Elle nous permet aussi d’en percevoir le sens profond, et de nous tourner vers l’avenir. Et pour cela, à la fois l’évangile que nous venons d’entendre, et cette fête du Sacré-Cœur de Jésus que l’Église célèbre aujourd’hui, nous donnent des outils précieux pour comprendre la source du projet de Provence. Et comment il doit continuer.
D’abord, cet évangile. Cette figure du bon berger, nous la connaissons bien. C’est l’une des plus anciennes de l’iconographie chrétienne, l’une de celles qui a le plus imprégné notre culture religieuse jusqu’à aujourd’hui. Le Christ part d’une réalité que connaissent bien ceux qui l’écoutent : voir un berger et son troupeau faisait partie du paysage familier d’alors, de la vie de tous les jours. Et les juifs qui connaissaient la Torah, l’histoire sainte de Dieu avec son peuple, savaient que les Prophètes d’Israël aimaient désigner Dieu comme le Berger d’Israël. Nous l’avons entendu dans la première lecture avec le prophète Ezéchiel. Ici, Jésus fait de même. Il montre le souci de ce berger pour les brebis qui sont confiées à sa garde. Il connaît toutes ses brebis, « il sent l’odeur de ses brebis », comme dirait le pape François. Et il n’hésite pas à partir à la recherche de celle qui s’est perdue. Celle-ci, tétanisée de peur, raide sur ses pattes, est figée, comme morte ; aussi le berger n’a-t-il d’autre ressource que de la porter. Mais ce n’est pas contraint et forcé qu’il la prend sur ses épaules, mais bien « tout joyeux », nous dit l’évangile. Cette joie dont il fait preuve lorsqu’il retrouve la brebis perdue, prouve que ce n’est pas un intérêt financier qui le motive, ni une quelconque obligation extérieure. Non, c’est simplement en raison de l’attachement qu’il a pour sa brebis sans défense, exposée aux dangers de la vie. Et nous l’avons entendu, cette joie est telle qu’il ne peut la contenir : « Réjouissez-vous avec moi ! » dit-il à ses proches. Le berger a-t-il pour autant oublié les quatre-vingt-dix-neuf autres brebis ? Non bien sûr, puisque c’est pour qu’elle puisse reprendre sa place au milieu de ses sœurs qu’il s’est donné tant de mal. La joie n’est pas due à une préférence pour cette brebis particulière qui pourrait susciter la jalousie. Non, c’est tout simplement le langage de l’amour qui aime chacune des brebis d’un amour unique, sans qu’aucune des autres ne soit lésée.
Oui, mes amis, Dieu est profondément joyeux à chaque fois qu’il nous retrouve. Un Dieu joyeux ! Etonnante révélation évangélique que ce Dieu joyeux à laquelle il nous est souvent difficile de croire. En fait, cet évangile nous redit que l’homme est la raison de vivre de Dieu. Avec lui, chacune des brebis est appelée, chacune reçoit un nom, chacune a sa place dans le troupeau. Il n’y a pas de laissées pour compte. Et il ne cesse d’aller chercher chacun, chacune d’entre nous, par son nom, pour l’aider à se remettre dans le mouvement de la vie, ne voulant que personne ne se perde durant le chemin de l’existence. Oui, c’est cela le projet de Dieu. Et je crois que nous sommes nombreux à avoir fait, quel que soit notre âge, dans notre histoire personnelle, ici à l’école de Provence ou plus tard dans la vie, cette expérience d’être connus et aimés personnellement par Dieu, et d’avoir été recherchés par lui quand nous étions perdus, tétanisées de peur, ou enfermés dans notre solitude.
C’est le projet de Dieu, je disais à l’instant. Mais c’est aussi le projet qu’il veut pour l’humanité. Que nous prenions soin les uns des autres. Eh bien, c’est cela le projet de Provence. On pourrait dire que l’histoire de Provence, c’est une histoire de bergers et de brebis. De générations en générations, depuis la fondation du collège par les jésuites, il y a eu, sous des formes différentes, de la part des enseignants, des éducateurs, des parents d’élèves, de tous ceux qui ont été investis dans la vie du collège, un souci de prendre soin de chacun des élèves, de les accompagner personnellement, de les aider à devenir ce qu’ils sont, de venir les chercher quand ils risquaient de se perdre en route. Mais aussi de les aider à devenir des hommes et des femmes responsables, soucieux des autres, « des hommes et des femmes pour les autres », prêts à s’engager pour les autres, à donner de ce qu’ils ont reçu et découvert, qui n’hésitent pas à rejoindre celui ou celle qui boite dans la vie, qui se trouve seul et perdu. Et il n’est pas très difficile dans notre société française, parfois si divisée, incapable souvent de se parler, il n’est pas très difficile de trouver les lieux au plus proche de notre vie où cet enjeu de choisir d’aimer sous une forme ou une autre, de sortir de soi, nous est relancé comme un appel. Et si Provence devait un jour perdre de vue ce projet premier et essentiel, celui de former des hommes et des femmes de cœur, eh bien, il ne durera pas longtemps, sûrement pas cent ans.
En d’autres termes, il s’agit d’aimer. C’est le sens de la fête du Sacré-Cœur de Jésus que l’Eglise célèbre aujourd’hui. Le cœur, c’est le lieu de l’amour. Le cœur de Jésus, c’est le lieu source de cet amour de Dieu pour l’humanité. Nul mieux que Jésus n’a su révéler la bonté du cœur de Dieu, son attention aux petits et à leurs misères quotidiennes. Dès lors, qu’est-ce qui fait que nos vies seront réussies ? Ce n’est pas d’abord d’avoir réussi les meilleures études, même si c’est important, encore moins d’avoir beaucoup d’argent. Non, réussir sa vie, plutôt que de réussir dans sa vie, c’est aimer. C’est d’avoir un cœur où l’autre a sa place. Comme le cœur du Christ. Un amour qui nous a été donné, manifesté, par des tas de personnes qui ont pris soin de nous. Pas un amour mielleux, mais un amour engagé. Oui, la première réussite, c’est celle du cœur.
Alors, mes amis, parlons clairement : nous sommes des brebis appelées à devenir bergers et des bergers qui ne doivent jamais oublier qu’ils sont aussi brebis… Tout comme Jésus n’a cessé d’être le Roi en devenant l’Agneau… Sommes-nous prêts à faire confiance à celui qui ne cesse de vouloir prendre soin de nous ? Sommes-nous prêts à faire ou à refaire confiance au Christ notre berger pour nous conduire dans la vie ? Sommes-nous prêts vraiment à le choisir pour maître et pour ami, à l’imiter pour apprendre chaque jour ce qu’aimer veut dire ? Eh bien, mes amis, que la joie d’aujourd’hui à Provence dilate pour longtemps notre cœur selon le cœur de Dieu.
P. François Boëdec sj.
Provincial d’EOF
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