Entre justice et réconciliation, entre contemplation et action, les jeunes catholiques ne choisissent pas mais cherchent à unir des tensions créatrices. Le P. Benoît Ferré sj décrypte de nouvelles formes de mobilisation en faveur de la transition écologique et sociale à l’œuvre dans plusieurs collectifs de jeunes catholiques, proches des jésuites pour certains.

Collectif Lutte et Contemplation – crédit : Claire Riobé

Collectif Lutte et Contemplation – © Claire Riobé

Qu’il est bon de voir des jeunes chrétiens proches de la Compagnie de Jésus s’engager, face aux crises sociales et écologiques ! Mais la radicalité de leurs formes d’engagement semble parfois loin de nos manières jésuites de procéder. Pour ne pas séparer l’annonce de la foi de la promotion de la justice sociale, la Compagnie de Jésus a en effet surtout cherché, en Europe, à rejoindre et à transformer de l’intérieur les institutions politiques et économiques. Face aux excès du capitalisme mondialisé, les jésuites ont notamment à cœur d’aider les décideurs présents et futurs à développer un esprit critique, animés par un horizon évangélique.

Cette voie, pourtant, n’est pas celle que semblent emprunter ces jeunes, pétris d’un sentiment d’urgence quasi-eschatologique. Ils choisissent la protestation publique ou la désobéissance civile. On s’inquiète alors : revendiquer la lutte, est-ce céder à la peur ? Refuser la paix ? Renoncer à l’espérance ? Ne risquent-ils pas d’arracher le bon grain en même temps que l’ivraie ? Oublient-ils de reconnaître combien, dans des institutions imparfaites, dans un monde toujours mêlé, l’Esprit est déjà à l’œuvre, pour le chercher et le suivre ?

Mais l’Esprit souffle aussi aux marges de ces institutions. Dans ces nouvelles luttes, un autre monde gémit, en travail d’enfantement. Dans l’espérance active de ces jeunes, c’est ce même Esprit qui est à discerner. Ils sont peut-être un aiguillon et nous interrogent : à la faveur de la stabilité sociale et de la prospérité matérielle qui ont pu prévaloir en Occident, la Compagnie de Jésus est-elle devenue – un peu trop – légitimiste ? A-t-elle déserté la posture plus prophétique endossée par Jésus lui-même, que des compagnons ici et ailleurs, hier et aujourd’hui, ont toujours su reprendre à leur compte ?

Le pape François souligne bien l’urgence d’une conversion systémique (Laudato si’, 14), la nécessité d’exercer une «  »saine « pression » » (Laudate Deum 58) : face aux inerties, parfois indécentes, de nos sociétés, peut-être ces jeunes nous ouvrent-ils une voie ? S’il s’agit de suivre l’Esprit, sans avoir peur de se salir les mains, pour y faire, avec d’autres, quelques pas de plus (Magis !), humbles mais réels, à la manière du Christ, alors rien ne saurait nous retenir de leur emboîter le pas, comme nous l’avons fait en signant l’appel aux cercles de silence pendant la COP 28.

Benoit Ferré sj P. Benoît Ferré sj,
étudiant en troisième cycle de théologie,
communauté Pierre Claver à Saint-Denis

Témoignage : militer et témoigner !

« Ma relation au Christ doit (presque) tout au monde jésuite, et elle est le fondement de mon engagement. Mais le lien entre foi et manière de faire société, c’est davantage à la fraternité politique du café associatif Le Dorothy que j’ai pu l’explorer. J’y ai découvert la doctrine sociale de l’Église et l’histoire des chrétiens dans les combats politiques de leur temps. Cela m’a laissé une forte impression : les questions que je me posais avaient une histoire, un ancrage biblique et des « prophètes » modernes ! Mieux encore, il y avait autour de moi des personnes qui se demandaient comment renouveler cet héritage dans une société en difficulté sur tant de plans. En 2022, nous nous sommes mobilisés contre le projet EACOP, de construction d’un oléoduc en Ouganda et Tanzanie par TotalÉnergies. Avec nos cercles de silence en bas de la tour Total, nous voulions interpeller les responsables économiques sur leur pouvoir d’agir. Les collaborateurs de Total étaient intrigués, en s’approchant, de voir des citations du pape. Nous pouvions d’un seul coup militer et témoigner ! La décision de fonder le collectif Lutte et Contemplation a été une sorte d’évidence. Nous voulons inventer un militantisme joyeux, non-violent et créatif, qui fait du bien à notre démocratie en enrichissant le débat public de la pensée sociale chrétienne. Nous voulons le faire en ouvrant toujours plus grand nos cœurs, dans la prière et la fraternité, pour recevoir le Christ. C’est Lui qui est la source d’un désir de justice équilibré, mû par la compassion pour nos frères et sœurs. « Jamais les hommes sans le Christ ! Jamais le Christ sans les hommes !« , comme aimait à le dire Fr Roger de Taizé. » / Paula, avec Lutte et contemplation

Témoignage : faire de l’écologie et de la foi un engagement unique

Lutte et contemplation membre Au début, il y a de l’écoanxiété et une question : quel est le but de ces quelques dizaines d’années à vivre sur la planète Terre ? À cette époque-là, je suis au Campus de la Transition et je ne crois plus vraiment en Dieu. Quelques mois plus tard, grâce à l’expérience spirituelle et fraternelle vécue à la Maison Magis, me voici confirmé et désirant faire de l’écologie et de la foi un engagement unique : aider les chrétiens à prendre conscience de l’enjeu de charité et de justice de l’écologie et témoigner de la présence de Dieu auprès des amis écolos. Difficile cependant de tenir bon quand il n’y a pas de lieux permettant de vivre cela de manière unifiée. Il y a bien des propositions autour de « l’écologie sociale », mais quid d’un militantisme environnemental chrétien à la hauteur ? Martin Luther King disait que « l’histoire est la longue et tragique illustration du fait que les groupes privilégiés cèdent rarement leurs privilèges sans y être contraints ». Quel rôle en tant que chrétiens sommes-nous invités à jouer pour exercer une « saine pression » sur les puissants de ce monde ? Lutte et Contemplation m’a offert cet espace. J’y puise à la fois lâcher-prise et appel à l’engagement. Je ne suis pas un militant de la première heure : c’est la contemplation du Christ à la fois tranchant et non-puissant, ainsi que la dimension communautaire et fraternelle qui m’ont donné le goût de militer aux côtés d’autres chrétiens. / Martin Julienne, membre de Lutte et Contemplation


Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2024), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.

En lien avec cet article