P. Pierre Gibert (22.06.2024)

Pierre Gibert Pierre Gibert se revendiquait d’une double origine : provençal par sa mère, auvergnat par son père. Né en 1936 à Aix-en-Provence, Pierre était l’aîné d’une famille nombreuse, de huit enfants, dont l’atmosphère fut cependant assombrie par le décès de deux enfants en bas âge.

À la sortie de son collège où il bénéficia de deux excellents professeurs l’un de grec, l’autre d’histoire, deux matières qui comptèrent beaucoup dans la suite de son parcours intellectuel, il entra au séminaire de Clermont. Il se fit quelques amis dans le clergé clermontois et eut aussi l’occasion de suivre une retraite donnée par un jésuite qui fit sur lui une forte impression. Après deux ans de séminaire, il partit pour la guerre d’Algérie, avec l’intention d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Il nous a laissé un émouvant témoignage de ses années d’Algérie dans un livre au titre paradoxal, Il ne se passe rien en Algérie.

À son retour, il se présenta au noviciat de La Baume où il fut reçu par le Père Maître d’alors, Michel Rondet. Suivirent des études littéraires, au juvénat de Laval, où fut d’emblée reconnue sa belle qualité d’écriture. Après les années de philosophie à Chantilly, il fut envoyé en régence à Marseille, au collège de Provence. Il mit à profit ses temps libres pour découvrir la pensée d’Alexis de Tocqueville, dont il éditera plus tard la Correspondance avec Mme Swetchine, dans laquelle Tocqueville s’explique sur ses convictions religieuses et sur la place de la religion dans la démocratie. Puis ce fut le temps de la théologie, à Lyon-Fourvière, des années fécondes intellectuellement, mais effectuées dans un climat difficile et qui s’achevèrent par son ordination en juin 1968.

Par ses études d’exégèse, il entra progressivement dans le monde des exégètes mais sans s’y enfermer. Sa curiosité ne se limita jamais à l’étude de la Bible. Grâce à Michel de Certeau, il fit connaissance avec les meilleurs historiens parisiens de cette époque. C’est là, aussi, qu’il se mit à écrire, d’abord sollicité par Marcel Domergue, en charge de la revue Croire aujourd’hui. De lui, il apprit à écrire simplement sur des sujets compliqués. C’est dans l’enseignement et dans l’écriture qu’il a déployé toutes ses qualités. Car Pierre associait une grande compétence à des qualités pédagogiques éminentes. Cela lui valut d’être invité par de nombreuses communautés, monastères ou groupes de laïcs – des publics très divers auxquels il s’adaptait sans préjugés. Il est aussi l’auteur la Petite histoire de l’exégèse biblique en 1992 et son petit livre illustré, Comment la bible fut écrite ? en 2011. Cependant, Pierre n’avait pas la tête que dans les livres. Ce qui le caractérisait aussi était son réseau de fidèles amis. Ses étés se passaient, pour une bonne part, à faire le tour d’amis auxquels il tenait et qui tenaient à lui. Passé le temps de l’enseignement, Pierre se vit confier la revue Recherches de Science Religieuse qui, grâce à ses prédécesseurs, jouissait d’une belle réputation dans le monde des théologiens et même au-delà. Il mit sa large culture et son réseau de relations au service de cette revue pendant une dizaine d’années.

Je serais incomplet si je n’évoquais aussi les intérêts esthétiques de Pierre. Parmi ses amis, il comptait quelques peintres, illustrant même certaines de leurs œuvres de ses poèmes – car Pierre était aussi poète. Ses deniers livres furent d’ailleurs consacrés à l’interprétation de la Bible par les grands peintres de la Renaissance ou du XVIIe siècle. Mais il fit, dans ce domaine, un travail d’amateur qui n’acquit pas l’autorité qu’il s’était acquise en exégèse. C’est d’ailleurs au cours de son travail sur Vermeer qu’il perdit ses moyens intellectuels et entra dans la maladie qui mit un terme à son travail d’écrivain. Il dut alors rejoindre la maison médicalisée de la Chauderaie puis celle de Vanves. Finis les échanges nourris qu’il réservait auparavant à tous ses interlocuteurs. La communication se faisait de plus en plus rare, mais accompagnée encore de bons sourires et échanges de regard. C’est ce regard que j’eus encore la consolation de croiser le mercredi 22 mai, pour lui dire : Adieu !

P. Pierre Salembier sj,
communauté à Athènes

Dernière lettre à Pierre Gibert (1936-2024) : l’hommage de l’écrivain Frédéric Boyer au P. Pierre Guibert sj dans La Croix

« Tu n’es plus, depuis le 22 juin dernier. Mon chagrin est immense. Nous nous sommes rencontrés fin des années 1980, à l’initiative de Paul Beauchamp, jésuite comme toi et immense maître bibliste. Notre professeur commun à quelques dizaines d’années d’intervalle, qui eut l’intuition de nous faire travailler ensemble. Notre première rencontre, dans un petit bureau de Bayard que j’occupais, en charge de projets éditoriaux, a vaincu une timidité réciproque qui nous a fait sourire. Tu avais lu un de mes premiers livres et j’avais dévoré les tiens sur Tocqueville, sur les légendes de la Bible à la lumière des travaux de Hermann Gunkel.

De ce jour-là, nous ne nous sommes plus quittés, pour entamer une amitié forgée dans le travail, des projets communs et un plaisir profond à discuter autour d’un repas, de la vie, d’art, de bible et de littérature. Je te dois beaucoup, sur le récit biblique, l’art de la lecture et de l’interprétation, jusqu’aux dernières années où tu m’entretenais de ton désir de revisiter le prophétisme que tu pensais être aux origines de la littérature biblique. » > Lire la suite sur La Croix

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