Alors que le pays du Cèdre est sous les bombes et que des dizaines de milliers de personnes sont obligées de fuir leurs maisons, les jésuites sont mobilisés. En cet automne 2024 d’anxiété et de dévastations, le P. Gabriel Khairallah sj, Franco-libanais, raconte ce qu’il vit.

Depuis deux semaines déjà, comme beaucoup de Libanais, je suis passé en mode survie. Je revis les mêmes angoisses et les mêmes peurs que j’avais vécues durant la guerre civile libanaise. Vivre dans l’inconnu et ne pas pouvoir se projeter dans l’avenir est une source d’angoisse. De plus, vivre au rythme des drones qui survolent le Liban et au son des missiles qui pleuvent toute la nuit sur la banlieue sud de Beyrouth (à quelques kilomètres de la résidence des jésuites) est usant pour les nerfs. Je souffre de voir mon pays et mon peuple souffrir. Depuis deux semaines, je vois autour de moi des Libanais et des Libanaises perdus se demandant quand va prendre fin leur calvaire, qui a débuté avec la crise économique et financière de 2019 et qui a mis le Liban par terre, appauvrissant 80 % de sa population. De nombreuses familles, femmes, enfants et personnes âgées, ont trouvé accueil dans des écoles publiques ou dans des bâtiments gouvernementaux (certains dans des couvents) et vivent les uns tassés sur les autres. D’autres familles vivent dans la rue, réduites à la mendicité et à la bienveillance des ONG qui leur distribuent vivres et matelas. Partout je rencontre des regards désespérés et las d’une population brisée. Comment être indifférent face à une telle souffrance ? Comment ne pas me sentir mal à l’aise le soir dans ma chambre après avoir pris un dîner normal, alors qu’à des centaines de mètres de ma communauté, des personnes dorment sur les trottoirs le ventre vide ?

Offrir une aide humanitaire de proximité

Liban JRS

© JRS International

C’est dans ces moments où tout peut basculer dans le désespoir et le néant, que l’appartenance au corps de la Compagnie de Jésus prend davantage sens, et que le titre du Décret 2 de la 34ème Congrégation générale « serviteur de la mission du Christ » s’incarne dans une réalité très dure à vivre. Ainsi, les quelques associations ignatiennes se sont mobilisées pour venir en aide aux personnes touchées par la guerre. Le Cercle de la jeunesse catholique (CJC), que je dirige, vient en aide depuis 2019 aux personnes démunies. Depuis deux semaines, le CJC a décidé de soutenir 350 familles déplacées du sud du Liban, dont les noms ont été fournis par les prêtres de ces villages. Des caisses alimentaires, des vêtements, des couches et du lait pour enfants sont distribués. Le JRS est en train de se mobiliser pour nous aider dans cette tâche. Par ailleurs, l’aumônerie de l’université Saint-Joseph de Beyrouth (USJ) s’est mobilisée sous l’impulsion de son aumônier le P. Jad Chebly sj, pour venir en aide à des familles déplacées dans la région de Bikfaya avec une distribution de plats chauds et une animation pour les enfants. Enfin, des migrants afro-asiatiques travaillant au Liban et qui ont fui le sud et la banlieue sud de Beyrouth, ont été accueillis dans l’église des jésuites à Beyrouth et dans le couvent jésuite de Bikfaya. Micheal Petro sj, en régence au Liban, s’est mobilisé avec une équipe de laïcs pour être à leur service et assurer leur survie.

La guerre qui sévit au Liban n’a pas brisé l’élan de solidarité et la générosité d’une bonne partie de la population libanaise malgré la fatigue et l’usure qui datent depuis 2019. La fraternité ne cesse de se manifester, notamment dans le service des plus démunis. Le défi qui se pose consiste à persévérer dans la durée ; c’est comme un marathon et nous en sommes aux premiers kilomètres. C’est le combat du roseau : plier mais ne point rompre.

P. Gabriel Khairallah sj, directeur du Cercle de la jeunesse catholique (CJC) (Liban)