« Détermination et humilité » : retour sur la formation à la prévention des abus

Depuis 2017, une formation à la prévention des abus est organisée pour tous les jésuites qui résident dans notre Province avec, pour objectif, de s’engager dans la construction d’un environnement plus sûr. Vécue au sein de chaque communauté en 2024, la 3e édition a pris appui sur l’écoute d’une victime.

Créée en 2016, la Cellule écoute et prévention des abus a deux objectifs : écouter les personnes victimes d’une agression ou d’une emprise de la part d’un jésuite et rechercher les réparations encore possibles. Puis prévenir ce type de dérives, en développant des manières de faire ajustées au sein des institutions jésuites et la mise en place de protocoles adaptés.

Le programme de formation continue pour les jésuites a été lancé en 2017. Cette année, la formation vécue en communauté sur une journée ou deux soirées, était construite autour du témoignage filmé de Natacha, personne victime d’un jésuite encore vivant. Son récit montrait les éléments qui avaient rendu possible l’agression, l’enfermement dans le silence de la personne victime, et pointait les conséquences sur sa vie, et enfin, ce qui a permis la sortie du silence.

« Avec ses vidéos intéressantes et pédagogiques, cette formation
a permis de percevoir la profondeur du traumatisme, le travail
qui s’est fait dans la Province, comment la Compagnie a géré cette situation des abus,
et le coût que cela a entraîné. Cela témoigne de la conversion de la Compagnie.
Les statistiques nous ont éclairés et ouvert les yeux. [1] »

Rendre compte d’un chemin de justice et de croissance

Réaliser un tel film nécessite d’abord de veiller à ce que la personne victime qui a accepté de témoigner ne vive pas, à travers son témoignage, une « re-traumatisation » qui lui ferait revivre l’agression ou en ressentir les effets, même plusieurs années après. Ensuite, un soin particulier a été apporté à la réception de son message en ajoutant systématiquement des sous-titres pour en faciliter l’écoute. Une fois les vidéos réalisées, celles-ci ont été validées par Natacha. Nous désirions en effet obtenir un résultat à la hauteur de son témoignage offert. Il est précieux et nous en mesurons le prix.

« Le ‘matériau’ nous a aidés à comprendre les phénomènes d’emprise et d’abus. Ceux d’entre nous
qui font un ministère d’accompagnement spirituel se sentent confirmés dans leur attitude de vigilance ».

Une intervention filmée du Provincial, le P. Thierry Dobbelstein sj, débutait la formation et en précisait les enjeux : rendre compte d’un chemin de justice et de croissance, inviter à quitter toute attitude de déni, continuer à prendre conscience de la responsabilité spécifique du jésuite au cœur de chaque relation et à travailler inlassablement à limiter les situations qui pourraient entraîner des gestes, paroles ou attitudes non ajustées ou des agressions de la part de jésuites ou de collaborateurs dans la mission.

Trois éclairages accompagnaient cette formation. Dans le premier, le P. Alain Thomasset sj, professeur de théologie morale aux Facultés Loyola Paris, présentait des éléments de réflexion pour tenter d’expliquer les raisons qui poussent des consacrés à enfreindre l’enseignement de l’Église sur la sexualité. Il concluait en interrogeant les jésuites sur leur position d’accompagnateur parfois auréolé d’une réputation prestigieuse qui expose à des risques d’emprise, soulignant aussi l’importance de la supervision et du respect strict de mesures de prévention mises en place au sein de la Compagnie de Jésus.

« Cela nous a rappelé la nécessité de respecter une juste distance avec les personnes que nous rencontrons, dans les situations pastorales, les accompagnements, le sacrement de réconciliation.
Des solutions doivent être trouvées pour en assurer une saine supervision. »

Le deuxième portait sur la notion de trauma afin de mieux saisir les mécanismes habituels de protection qui se mettent en place face aux agressions que nous rencontrons dans nos quotidiens et comment ceux-ci peuvent être anéantis à l’occasion d’une agression telle qu’un abus sexuel. Le dernier éclairage, issu d’une présentation réalisée pour les communautés de l’Arche, permettait d’entrer dans ce qui se joue dans les relations d’emprise, notamment pour le prédateur, mais aussi pour la personne impliquée dans ce type de relation.

Des balises pour réfléchir et agir

Dernier volet de la formation, la Cellule écoute et prévention des abus a fait un état des lieux de son travail, comprenant notamment des chiffres précis et régulièrement mis à jour. Il est publié sur une page spécifique du site internet de la Province.

« La clarté et la transparence de la Province sur ces questions difficiles sont louées, ainsi que la recherche pour progresser encore dans leur traitement délicat, particulièrement du côté de l’aide à apporter aux compagnons coupables. »

Le visionnage de ces supports a été l’occasion de partages et d’échanges entre jésuites, par deux, en petits groupes ou en communauté. À l’issue de cette formation, chaque supérieur de communauté était invité à envoyer un retour d’expérience au Provincial et à la Cellule, afin de recueillir les fruits et les questionnements qui orienteront les actions de prévention et de formation à venir.

« Ce ne fut pas une journée facile. Le mal, les blessures infligées nous attristent.
Que cela vienne d’un jésuite, cela nous choque.
Mais cela donne des balises pour réfléchir et réagir : comment faire pour que cela ne se répète pas ? »

Pour conclure, nous souhaitons laisser la parole à Natacha avec qui nous avons partagé les retours d’expériences des communautés en écho à son témoignage. « Je suis profondément touchée par ces retours. Je rends grâce à Dieu pour la grâce reçue d’avoir osé répondre à cet appel à témoigner pour que l’Église ne soit plus défigurée par ce type de déviances. Je vais relire tranquillement ce trésor. Merci pour votre présence sur ma route ! » nous a-t-elle confié.

Agnès Delépine, responsable de la Cellule Écoute et prévention des abus,

P. Grégoire Le Bel sj, socius (assistant du Provincial)

Note 

[1] Les verbatims sont issus des retours d’expérience des communautés.