Pierre Ganne

Pierre Ganne, jésuite, contemporain des Pères Congar, Chenu, Teilhard de Chardin, de Lubac, fut un homme épris de liberté, passionné par la recherche de la vérité. Un cahier du Centre Théologique de Meylan reprend un colloque organisé conjointement par le CTM, le Centre Saint Hugues de Biviers et la communauté jésuite de Grenoble en novembre 2004.

Un cahier du CTM sur Pierre Gann

Au sommaire de ce cahier :

Liminaire de Hendro Munsterman
Préface de Jacques de Mauroy sj
I- Actualité d’un prophète: Pierre Ganne par Ingmar Granstedt
II- Pierre Ganne et l’affaire de Fourvière par Etienne Fouilloux
III- L’oeuvre de Pierre Ganne: une anthropologie originale et toujours actuelle par Jean-Marie Glé sj
IV- « Appelés à la liberté » : Paroles de témoins
V- Bibliographie par Anne Boudon
VI- Biographie
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« Il faudrait toujours témoigner pour la liberté, la libération authentique, celle qui vient d’en-haut et qui libère non seulement l’homme économique des chaînes extérieures, mais aussi l’homme spirituel des servitudes intérieures, qui sont l’origine secrète de toutes les déraisons et de toutes les tyrannies. »

Pierre Ganne en 1945

Eléments biographiques

Nous reprenons les éléments d’une exposition conçue par P. et E. Bellion-Jourdan et réalisée par Bernard Bellion-Jourdan en novembre 2004 (les panneaux de cette exposition sont disponibles)

1904-1979 : Quelques repères

Un manuscrit du Père Ganne

Pierre Ganne est né à Clermont-Ferrand le 31 mai 1904. Il est le dernier de 3 garçons. Son père travaille chez Michelin. Il va d’abord à l’école laïque. Son père meurt en 1913, il a 9 ans. Il entre alors à la Maîtrise de la cathédrale et au petit séminaire. Puis, c’est le grand séminaire pour cinq ans (philo et théologie). En 1925 il est envoyé en Syrie pour son service militaire. Il y découvre les jésuites et au retour, il entre à la Compagnie de Jésus, à Saint-Egrève, près de Grenoble. Etudes ensuite à Yzeure et Jersey.

Collège Notre Dame d’Alger

En 1932-34, il est professeur de philosophie à Alger au collège Notre-Dame d’Afrique. Il revient ensuite à Lyon, au scolasticat des jésuites à Fourvière, pour deux années d’études théologiques. Il est ordonné prêtre en 1935. Retour ensuite à Alger pour deux années scolaires comme professeur de philosophie.

En 1939-40, il est mobilisé. A l’automne 40, il rejoint Henri de Lubac comme enseignant aux Facultés catholiques de Lyon, tout en assurant parfois des cours à Fourvière. Mais il s’engage aussi dans la Résistance spirituelle et organisée. Il s’oppose début 1941, dans la revue Esprit, à Jacques Chevalier, secrétaire général de l’Instruction publique à Vichy ; il participe activement, avec le Père Chaillet et d’autres, au lancement, à la rédaction et à la diffusion des Cahiers du Témoignage chrétien clandestins ; il est engagé dans deux réseaux, l’un à Lyon pour cacher des enfants juifs (Amitié chrétienne), l’autre à Paris, pour faire du renseignement. Par deux fois il échappe à l’arrestation par la Gestapo. Il doit fuir en novembre 1943, rejoindre Alger par l’Espagne, et remettre à de Gaulle des micro-films. Après plusieurs mois de péripéties, il arrive à Alger. Il a plusieurs entretiens importants avec de Gaulle.

Il revient à Lyon au printemps 1945 et reprend son poste aux Facultés catholiques, résidant à Fourvière. Mais à côté, comme déjà à Alger, il donne de nombreuses conférences ou sessions à des groupes qui le demandent : groupes de prêtres et de laïcs, groupes de militants ouvriers, souvent marxistes,…

En 1949 commence une série de dénonciations anonymes, qui se répèteront jusqu’en 1962, auprès des évêques de la région : celui de Gap, puis ceux de Grenoble, Lyon, Besançon et même Alger. La hiérarchie suit les délateurs et ne donnera jamais la parole à l’accusé pour se défendre.

En mai-juin 1950, survient la fameuse purge des théologiens jésuites de Fourvière. Sous la pression du Vatican, le Général de la Compagnie interdit d’enseignement, à Fourvière comme aux Facultés catholiques, les Pères Emile Delaye, Henri de Lubac, Henri Bouillard, Alexandre Durand, ainsi que Pierre Ganne. Il s’incline quant au sort qu’on lui fait, mais refuse avec «horreur», écrit-il, au nom de la foi, «l’obéissance aveugle» qui lui est demandée. Et il décide de travailler encore plus fermement pour le renouveau de la foi.

1950 : LE TOURNANT DE FOURVIERE vu PAR HENRI DE LUBAC (Mémoires sur l’occasion de mes écrits. 1983)

« C’est en juin 1950 que la foudre tomba sur Fourvière. Je ne fais pas ici la chronique des événements. Elle serait fertile en incidents dramatiques et mélodramatiques. Je ne tente pas non plus d’explications causales. Comme dans ce qui précède, j’évoque ici seulement quelques-uns des détails qui me concernent, pour aider à comprendre l’occasion et la nature de mes divers écrits. Qu’on veuille donc bien excuser le caractère toujours résolument égocentrique de ces pages. Le fait est que je me suis trouvé au centre du cyclone, ou de l’anticyclone, comme on voudra’.

Le Père Général m’ayant écrit, dans l’une de ses lettres de cette époque, qu’il avait dû m’enlever à l’enseignement de Fourvière, je dus lui répondre (il me fallut chercher des formules pour que le simple exposé des faits ne parût pas une insolence) qu’il était obéi d’avance depuis longtemps, attendu que depuis le printemps de 1940 je n’avais plus donné une seule heure de cours à Fourvière et que je ne faisais en rien partie du corps professoral de la maison. En effet, tout au long de ma vie, mon enseignement à Fourvière s’est borné à un cours spécial d’histoire des religions entre 1935 et 1940 (8 leçons par an, et dont on était facilement dispensé), simple « titulus coloratus» pour justifier ma présence dans la maison; une année cependant, je donnai quelques heures de cours sur la Tradition , pour alléger la tâche du Père Fontoynont, dont les forces commençaient à décliner. Lorsque, en septembre 1951, Fourvière dut faire au Pape une double adresse d’adhésion signée par tous les professeurs, mon cas fut embarrassant: non seulement je résidais à Paris depuis un an déjà; mais depuis plus de dix ans je n’avais rien enseigné au scolasticat; mais on me disait que si le Pape ne voyait pas mon nom sur l’adresse, il me tiendrait pour insoumis (à Rome, on m’avait fait passer pour « le chef de l’Ecole de Fourvière », et tout un mythe s’était créé la-dessus), et la fermeture pouvait s’ensuivre. De fait, la menace était sérieuse, la situation tragique, d’autant plus que que l’intimation venue de « Rome » ne parvint à Lyon (était-ce manoeuvre calculée?) que dans les derniers jours avant la rentrée scolaire ». Convoqué à Lyon par le nouveau Provincial, qui était le Père Andre Ravier, je pris part, dans son bureau, à la réunion du corps professoral; on finit par adopter la solution que je proposai – chacun indiqua sur la feuille le titre et les années de son enseignement, et je signai: « Histoire des religions, 1935-1940″

Avec André Thisse, auteur de Rimbaud devant Dieu

Les décisions romaines de juin 1950 émanaient officiellement du seul Général de la Compagnie. Celui-ci les motivait cependant par le fait d’ «erreurs pernicieuses sur des points essentiels du dogme» soutenues par les cinq professeurs en cause qui étaient relevés de leur charge et changés de résidence: les Père Emile Delaye, Henri Bouillard, Alexandre Durand, Pierre Ganne et moi.

En 1951, le Père Ganne est envoyé à Saint-Egrève, à la maison de retraites spirituelles. Au cours des années suivantes, il ne cède pas non plus et soutient les chrétiens progressistes, les prêtres ouvriers, la revue La Quinzaine…

Dernières sessions à Biviers en 1970

A la Villa Saint Hugues à Saint-Egrève, puis à Biviers, près de Grenoble, à partir de 1962, il trouve une autre issue à sa vocation. Il met sa prodigieuse culture, son expérience de foi et son travail théologique novateur à la disposition de tous ceux qui le lui demandent : prêtres, religieux, laïcs, où qu’ils soient. Il se déplace beaucoup, dans la région et ailleurs en France, ainsi qu’en Suisse, en Belgique…et jusqu’au Brésil.

Dans son bureau à St Hugues de Bivier

Creusant toujours la lecture de la Bible – des prophètes en particulier – et les mystères de la foi chrétienne, dans l’espoir que ses auditeurs accèdent à la vigueur et à la critique d’une foi vraiment libératrice, il aborde toutes les questions dont il sent qu’elles font ou feront difficulté: la foi comme liberté, le travail, le marxisme, l’exigence de laïcité, les libérations humaines, l’athéisme, les rapports entre foi et politique, entre foi et histoire, entre foi et sciences, le structuralisme, la crise de l’Eglise, l’espérance, la foi comme sortie du sacré, etc, et encore et toujours la liberté dans le don de l’Esprit Saint.

Pierre Ganne sjA mille lieues de tout moralisme, il déblaye le terrain des fausses questions ou des pièges pour le jugement et laisse ensuite chacun prendre ses responsabilités en adulte. A chacun de se déterminer, dans la liberté de la relation de foi au Christ, à la Parole libératrice de Dieu.

Il meurt à Biviers, discrètement dans sa chambre, le 15 août 1979, fête de l’Assomption, à l’âge de 75 ans.

Écrits avant 1950 : de la Résistance à l’après-guerre

– DIEU À L’ÉCOLE
– POLITIQUE DIVINE
– BERGSON ET CLAUDEL
– DÉPASSER LES LUTTES DU CLÉRICALISME ET DE L’ANTICLÉRICALISME
– PRÉFACE À LA RÉÉDITION des CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
– COMMUNAUTÉ NATIONALE ET COMMUNAUTÉ SPIRITUELLE
– La NOTION DE TRANSCENDANCE ET SES INCIDENCES PRATIQUES
– SENS DU MOUVEMENT DE LAÏCISATION
– FOI CHRÉTIENNE ET PRÉSENCE DE L’HISTOIRE
– PLONGÉE DANS LE MYSTÈRE
– CHRISTIANISME ET VALEURS COMMUNES
– LE PROPHÈTE ET LE SACREMENT

Écrits après 1950

– « APPELÉS À LA LIBERTÉ »
– CETTE ESPÉRANCE QUI EST EN NOUS
– LA CRÉATION
– LE PAUVRE ET LE PROPHÈTE

Publications posthumes

  • Des articles :

– LA PERSONNE DU CHRIST  » — QUI DITES-VOUS QUE JE SUIS ?  »
– CE QUE DIT LE SILENCE — PARABOLE
– LA VIOLENCE ORIGINELLE — NOTE SUR RENÉ GIRARD ET SA MÉTHODE
– UNE EXPÉRIENCE ORIGINALE A L’ÉPOQUE
. BEAUREPAIRE . OCTOBRE 1953 – MAI 1956
. BOURG D’OISANS . OCTOBRE 1953 – MAI 1954
. ENTRE DEUX GUIERS . OCTOBRE 1954 – 1955
. VOIRON . 1956 – 1962
– COMPTES RENDUS DES RÉUNIONS À LA PAROISSE SAINT PIERRE À VOIRON FAITS PAR LE PÈRE PATROU

  • Récapitulatif de sessions (600 répertoriées à ce jour) :

Pierre Ganne sj- 1938    ALGER
BRÉSIL    LISBONNE   LYON
– 1941  STRABOURG
– 1942  LILLE   VERSAILLES
LE CHÂTELARD
– 1944  BIENNE
– 1945  CLERMONT-FERRAND
– 1946  SAINT-EGRÈVE
– 1947  ST MAURICE EN VALAIS
– 1948  VALENCE
NOTRE DAME DES DOMBES
SION   CAEN TOULOUSE
…. SEVRIER
Jusqu’en 1979 à BIVIERS

  • Un enregistrement audio : VIVRE LE DON DE  L’ESPRIT-SAINT

Pierre Ganne, jésuite, contemporain des Pères Congar, Chenu, Teilhard de Chardin, de Lubac, fut un homme épris de liberté, passionné par la recherche de la vérité.

Vivre le don de l’Esprit-Saint, Un coffret de 6 CD Ref SE28CD A.M.E., 2006, Lyon, présentant une Session qu’il a faite

1.   L’énergie créatrice  de l’homme tout entier
2.   A/ L’Esprit Saint et la vie personnelle.
Le don et les charismes. Instinct et liberté.
3.  Vie spirituelle  et vie psychologique  –  Le courage d’être soi-même
4.  Je te donne ma parole.
B/ La vie universelle selon l’Esprit.
5.  Contre l’angoisse du chaos, la création. Un dynamisme qui transforme.
6.  L’ouverture à l’universel.
C/ L’Esprit et l’Eglise

Propos du  P. Ganne pour conclure

« L’idée de Dieu, ou plutôt une connaissance de Dieu confuse et quasi intuitive, est le fruit normal de l’activité spontanée de l’esprit. Mais elle n’est pas une donnée ou une conquête de la seule raison, elle est une exigence de l’âme tout entière, qui cherche très tôt, instinctivement, comme à tâtons, son centre de gravité, et s’efforce d’assurer l’équilibre intérieur et la cohérence de ces tendances multiples et plus ou moins anarchiques qui s’éveillent dans un être humain en pleine croissance. En rencontrant l’idée de Dieu dans l’enseignement scolaire qu’il reçoit, l’enfant apprendra qu’elle n’est pas une idée aberrante ou sectaire, mais le patrimoine de l’humanité, une base solide sur laquelle il peut bâtir avec sécurité, une donnée sûre autour de laquelle il peut unifier son expérience. Il aura l’assurance que ses aspirations intérieures ne sont pas vaines et chimériques, mais normales ; ainsi pourra être évité l’étiolement ou la perversion de ce qu’il porte de meilleur en lui. II ne sera pas acculé à cette espèce de désespoir d’une jeune conscience affolée, qui, contrainte de trouver un absolu, le met n’importe où, fût-ce dans les pires égarements individuels ou collectifs. Il est naturel que l’enseignement, l’éducation sociale l’aide à cette prise de conscience et en assure la rectitude.

Enfin, la notion de Dieu sera pour lui un principe d’union avec ses frères. Car, il la trouvera partout dans l’histoire de son pays et de la civilisation à laquelle il appartient ; il verra même qu’elle est le ferment des cultures les plus différentes et les plus éloignées de la sienne dans l’espace et dans le temps.

C’est pourquoi la neutralité, une neutralité négative à l’égard non seulement des diverses confessions religieuses, mais encore de l’idée même de Dieu, est une lacune immense, disons un scandale. »