Faire un pas de plus, une passion de l’éducation jésuite
Spécialiste de la pédagogie ignatienne, le P. Bernard Paulet sj est décédé inopinément ce 25 octobre. Nous lui rendons hommage en publiant cet article, qu’il signait voici deux ans dans la revue Échos jésuites. Une invitation à retourner aux sources pour mieux comprendre la pédagogie ignatienne, écrite par un compagnon de Jésus qui a mis sa vie au service de Dieu et des autres.
Magis. Ce terme latin est une des caractéristiques fondamentales de la pédagogie jésuite. Confondu avec l’excellence, associé parfois à une forme d’élitisme, le magis invite chaque élève à faire « un pas de plus » pour développer le meilleur de lui-même.
Dans le langage de saint Ignace de Loyola, magis est le mot latin qui signifie « plus » ou « davantage » dans le sens de faire mieux avec ce qu’on a et ce qu’on est, pour servir Dieu et les autres. La dynamique du magis invite à dépasser la frontière de sa propre personne afin de laisser plus de place à l’autre. Elle induit une force de décentrement qui conduit au cœur de l’expérience chrétienne dans ce qu’elle a de paradoxal : c’est en se perdant qu’on advient, c’est en se donnant qu’on reçoit. La notion apparaît dès le début des Exercices spirituelsoù il s’agit de désirer et de choisir «uniquement ce qui nous conduit davantage à la fin pour laquelle nous sommes créés» (Principe et Fondement,Exercices spirituels, 23).
Souvent confondu avec l’excellence ou l’élitisme, le magis est une des caractéristiques fondamentales de la pédagogie jésuite. Notons au passage que le mot « excellence », que beaucoup perçoivent comme une des caractéristiques de cette pédagogie, n’a pas été prononcé par Ignace lui-même et ne figure pas dans la Ratio studiorum de 1599 (plan raisonné et institution des études dans la Compagnie de Jésus).
Conduire l’élève à faire « un pas de plus » pour développer le meilleur de lui-même correspond à la vision dynamique de l’acte pédagogique introduite par le magis. Dans un monde occidental séduit par la recherche de l’excellence, la voie ignatienne invite élèves et professeurs à prendre un autre chemin : non pas la voie royale pour être le meilleur ou parmi les meilleurs, mais le sentier qui permet de progresser pas à pas, sans cesse. Cette vision de l’homme correspond à la logique du désir humain, toujours en quête de davantage mais jamais saturable.
C’est l’accueil de l’élève tel qu’il est pour l’aider à grandir et à progresser d’un pas. Et, de petits pas en petits pas, c’est lui permettre de vivre du dynamisme du magis, cette recherche passionnée du davantage, ce « zèle » qui le porte en avant dans le dépassement de lui-même, dans l’ambition du don reconnu.
L’école jésuite a ainsi pour mission de permettre à chacun (jeunes et adultes) de nourrir ses dons, de les développer et de les faire fructifier au service des autres. Ces talents, qui peuvent être de natures très différentes, ont la même valeur, qu’ils soient intellectuels, artistiques, sportifs, sociaux, spirituels. Pour chaque don, chaque élève a sa place.
« Nous entrons pour apprendre, nous sortons pour servir »
Le service, cette disposition d’esprit marquée par une attention aux autres et se traduisant en paroles et en actes, est la notion fondamentale de la mystique ignatienne, celle qui donne son sens au magis. Le service du prochain garantit l’authenticité du service de Dieu. Saint Alberto Hurtado sj (1901-1952) a donné une devise au collège jésuite El Bosque de Santiago du Chili, devise qui éclaire ce qu’est la mission éducative pour les jésuites : « Entramos para aprender, salimos para servir » – Nous entrons pour apprendre, nous sortons pour servir. « Apprendre », c’est l’honneur de toute école, quelle qu’elle soit. « Servir », c’est le projet d’une école jésuite : servir le Christ dans ses frères, en particulier les plus pauvres.
Lors de la session des chefs d’établissement jésuite à Louvain-la-Neuve, le 19 janvier 2019, le Père Provincial François Boëdec a tenu des propos éclairants pour le projet pédagogique de nos écoles : « L’enjeu est bien de former des jeunes pour qu’ils soient de véritables acteurs de changement dans notre société, qu’ils ne soient pas prisonniers d’un milieu social, mais capables de voir plus loin, de faire avancer nos sociétés vers plus de justice, de prendre à bras-le-corps les défis de la lutte contre la misère, contre le chômage, contre la destruction de la planète, contre une certaine forme de gestion de la finance, qui détruit la société. »
L’éducation, un enjeu primordial
« La présence auprès des jeunes, de tous milieux, l’enjeu de l’éducation, de la formation et de l’accompagnement sont fondamentaux pour nous, jésuites, car nous considérons que c’est un enjeu primordial pour l’avenir de notre société. Nous voulons y être avec vous, à vos côtés, pour partager le trésor qui nous habite et continuer d’impulser une dynamique à la vie de ce réseau, afin que le label jésuite ne soit pas une simple caution ancienne d’excellence mais bien un projet vivant, exigeant et dynamique. »
Père François Boëdec, Provincial EOF, Rome, octobre 2018
> Lire l’hommage rendu au P. Bernard Paulet sj
Pour aller + loin
Le CEP ignatien est l’organisme de formation des établissements scolaires français de la Compagnie de Jésus, regroupés sous la tutelle de l’Association Ignace de Loyola-Éducation, et de cinq congrégations ignatiennes féminines.
En France, l’Association Ignace de Loyola-Éducation regroupe 14 établissements jésuites où sont scolarisés près de 22 000 élèves.
En Belgique francophone, la Coordination des écoles jésuites compte 10 établissements scolarisant 13 500 élèves. Un nouveau collège jésuite a ouvert ses portes en septembre 2019 : le collège Matteo Ricci à Bruxelles.
> La mission éducative chez les jésuites
> Inigolab, la plateforme en ligne du CEP ignatien
Article publié le 27 octobre 2020