Depuis 2008, Pierre Martinot-Lagarde sj travaille au Bureau International du Travail (BIT) à Genève. Récit de ses découvertes et expériences

Le 1er avril 2008, je quitte le CERAS (Centre de recherche et d’action sociales) pour le Bureau International du Travail (BIT). Le changement est moins brusque qu’il n’y paraît. Pourtant, dès l’arrivée un apprentissage s’impose. Le BIT a son langage – « le travail décent » -, ses habitudes. J’y découvre une connivence avec le langage de la doctrine sociale de l’Église, respect des droits des travailleurs, promotion de l’emploi, dialogue social. Le BIT est une agence spécialisée du système des Nations Unies présente dans 63 pays. Je fais partie d’une équipe chargée des relations extérieures qui travaille avec le Directeur Général.

 Un organisme en bonne entente avec l’Église

Pierre Martinot-Lagarde sjAu BIT, la présence d’un jésuite ne va pas de soi. Dans cette fonction, les liens de bonne entente avec le Saint-Siège sont essentiels. Les encycliques sociales le révèlent. Le BIT, avec la FAO, est l’agence la plus souvent citée favorablement. Pie XII reçoit en audience son conseil d’administration. Paul VI y vient en 1969, et Jean Paul II le fait ensuite. Plus largement, la tâche du jésuite est d’entretenir des liens avec d’autres groupes religieux. À mon arrivée, le DG Juan Somavia insiste : « Pierre, vous devez travailler avec toutes les confessions religieuses ». Mes prédécesseurs avaient ouvert la voie. Dominique Peccoud avec une table ronde interconfessionnelle à Genève. Louis Christiaens en publiant les textes sur le travail venant du mouvement œcuménique. Pour moi, le chantier est nouveau.

BIT

Rencontre interreligieuse sur le « travail décent » à Santiago (Chili), juillet 2011

Plusieurs étapes

Rétrospectivement, je vois aujourd’hui trois étapes dans cet investissement : une de repérage, une seconde de mise en place et une troisième d’expérimentation. Le repérage a plusieurs dimensions. D’un côté, identifier des textes de réflexion d’éthique sociale ou des auteurs : dans les univers musulman, juif, bouddhiste ou chez les chrétiens. Les premières bibliographies sont des ébauches, tant le sujet est vaste. D’un autre, repérer les méthodes et les ambitions des différentes branches du système des Nations Unies dans leurs relations avec les groupes religieux. Le dernier repérage, enfin, concernait les acteurs religieux eux-mêmes. La deuxième phase est constructive. Je mets en place une méthode et des partenariats. Les amitiés fidèles sont essentielles. Martin, pasteur luthérien au Conseil OEcuménique des Églises (COE), Morten, norvégien qui travaille avec le DG, Babacar, ambassadeur de la Conférence islamique. Ensemble, nous tâtonnons et commençons à mettre en place des rencontres interreligieuses sur le travail. Une première expérience est tentée à Dakar avec l’appui de l’équipe de Denis Maugenest, au CERAP, centre jésuite d’Abidjan. C’est un succès, les contributions, notamment musulmanes, offrent de nouvelles perspectives sur le sens du travail. Nous pouvons poursuivre.

Plate-forme interreligieuse

Début 2011, le DG décide de nous allouer une somme significative. À Genève, le COE accueille une première rencontre d’experts, au mois d’avril. En juillet, c’est au tour du Chili, les vieilles amitiés entre catholiques et évangéliques remontant à la dictature nourrissent les échanges. Fernando Verdugo et Tony Misratti, jésuites de l’université Alberto Hurtado soutiennent l’activité. Une plate-forme interreligieuse pour soutenir le travail décent est créée. Sur la question du travail, des convergences apparaissent. Dans un contexte économique fortement marqué par une nouvelle « marchandisation » du travail, les traditions religieuses chrétienne, musulmane, bouddhiste, et juive insistent sur la dignité de l’homme au travail, l’importance de la solidarité et l’engagement pour la justice, chacune avec des accents propres. Bientôt, un petit manuel reprendra ces points essentiels qui seront discutés à Addis-Abeba puis à Dakar avant la fin de l’année.

Eurojess à Genève

Au final, beaucoup de petits pas et une fraternité forte. Celle de jésuites de différentes Provinces est importante. J’étais heureux de pouvoir accueillir quarante jésuites et leurs collaborateurs travaillant dans les centres de réflexion sociale européens (Eurojess) pour réfléchir ensemble aux enjeux de la gouvernance mondiale. Après un échange sur la dimension sociale de la crise, les collègues du BIT qui y participaient m’ont demandé si nous pourrions renouveler l’échange, dans un an ou deux. Pourquoi pas, à voir.

Pierre Martinot-Lagarde, sj
Conseiller spécial au BIT
pour les affaires socio-religieuses

> En savoir plus : Site du BIT
Article : Les Quatre-vingts ans de présence jésuite au BIT