Portrait du P. Michel Jaouen, jésuite (1920-2016)

Père Michel Jaouen jésuite portrait La voix de stentor de Michel résonne encore à nos oreilles : « Ici je suis le seul maître à bord après Dieu ». Aujourd’hui il laisse Dieu être seul maître à bord, un Dieu miséricordieux qui accueille son fidèle équipier.

Né à Ouessant d’une famille de 15 enfants, Michel a toujours eu le regard fixé sur le large, sans jamais se laisser enfermer par des chemins tout tracés. Il a entendu l’appel du Christ à « pêcher des hommes » et sa liberté a suscité celle de beaucoup d’autres. Il entré au noviciat de Laval en 1939, il est réfractaire au STO et devient pour un temps Jean Le Cœur. Ordonné prêtre en 1951, il sera en 57 rattaché à la communauté de la rue de Grenelle, son port d’attache jusqu’à … aujourd’hui, ce qui lui a permis de traverser les mers et de naviguer aux frontières de la société : « Ministères au service des jeunes délinquants », dit laconiquement son CV.

De Lyon où il créera avec le P. Gounon l’AJD (Amis Jeudi Dimanche), jusqu’à l’Aberwrac’h, via le foyer des Epinettes à Paris, Michel a laissé la Parole du Christ « Aimez vous les uns les autres » prendre chair, en actes et en vérité. A partir de 1968, le Bel Espoir, un trois mats d’occasion trouvé sur les côtes anglaises, devient le lieu principal de son activité jusqu’en 1991. Viendront s’y ajouter d’autres voiliers (la « Jaouen Line ») et les chantiers du Moulin de l’Enfer, qui formeront des jeunes à la réparation navale.

Toutes ces personnes ainsi remises en confiance, n’étaient pas d’abord pour Michel des délinquants, des paumés, mais des personnes en manque de reconnaissance. Totalement engagé dans le combat contre l‘injustice, il sait entrainer les autres dans son sillage. En voici un beau témoignage improvisé pendant ses obsèques : des personnes restées debout et invitées à venir s’asseoir refusent tout net : « il nous a mis debout, on restera debout ».

« L’argent n’est pas un problème », répétait il à l’envi. De fait, des aides nombreuses lui resteront fidèles et lui permettront de financer de gros travaux. Sa vie appelle encore : amis, famille, anciens qui ont navigué, tout le monde est invité à la manœuvre, à terre ou sur les bateaux. Si est évoqué « l’après Jaouen », on entend aisément son langage vert : « Ce ne sera plus mon problème… ils se démerderont ».

Fidèle à l’appel des premiers temps, il est devenu effectivement pêcheur d’hommes. Jusqu’aux derniers jours il a fait table ouverte, Porte d’Italie, commençant le repas à deux personnes et le terminant à 6. Une table de « communion » intense, d’échanges. Ceux qu’il avait aidés l’aidaient à leur tour, lui donnant de trouver la force intérieure pour faire sa traversée de la souffrance, souffrance de cesser de naviguer, et celle de la maladie et de la dépendance.

Jean-Paul Lamy sj

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