Rapport de la CIASE : une vérité qui nous submerge
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) a présenté publiquement son rapport. Les membres de la cellule d’accueil et d’écoute des jésuites de la Province EOF témoignent de leurs sentiments le jour de la publication.
5 octobre à 9 heures : nous assistons en direct à la présentation du rapport de la CIASE. Cette commission mise en place par M. Jean-Marc Sauvé, à la demande de la CEF et de la CORREF (Conférence des évêques de France et Conférence des religieuses et religieux de France), publie le résultat de presque trois années de travail. Monsieur Sauvé insiste aussi sur l’épreuve personnelle, pour chaque membre de la commission, qu’a constituée la rencontre des personnes victimes. Ils ont touché du doigt ce que celles-ci ont vécu : souffrance, isolement et, souvent, honte et culpabilité. Les membres de la CIASE ont été associés à cette descente aux enfers que vivent les personnes victimes d’abus sexuels dans l’Église.
Dans notre cellule d’accueil et d’écoute, chaque fois que nous rencontrons des personnes victimes de jésuites, nous faisons la même expérience. La rencontre en vérité fait fondre toutes nos défenses : effroi, tristesse, honte nous saisissent. Le 5 octobre, une nouvelle vague nous submerge : celles des chiffres que personne ne
soupçonnait. Le rapport évalue à 216 000 le nombre de personnes qui auraient été abusées sexuellement avant l’âge de leur majorité, par un prêtre ou religieux en France, entre 1950 et 2020. On a commis dans le cadre de l’Église catholique significativement plus d’agressions sexuelles sur mineurs que dans les autres sphères de socialisation.
La litanie des erreurs s’allonge. Il y a l’horreur des délits et des crimes dont des clercs et religieux se sont rendus coupables. Il y a les erreurs de gestion humaine dans la formation et le suivi de ces clercs. Il y a la maltraitance des victimes et de leurs proches qui sont sortis du silence, qu’on a très mal accueillis ou qu’on a simplement invités à passer à autre chose. Il y a enfin notre négligence vis-à-vis des plus clairvoyants, ceux qui proclamaient à cor et à cri que le problème était systémique : ils avançaient des chiffres que nous considérions comme excessifs. Pourtant, ils voyaient bien plus clair que nous : le travail de la CIASE leur donne trois fois raison.
La méthode utilisée par la commission enrichit les rapports des pays qui avaient précédé la France dans leur travail de vérité : l’enquête sous forme de sondage dans une population générale mesure combien de personnes victimes restent encore silencieuses ; beaucoup ne révèlent leur souffrance ni à l’Église, ni aux autorités
judiciaires, ni aux commissions ad hoc. Pour mesurer l’ampleur du problème, on ne peut donc nulle part – ni en France ni ailleurs – se contenter de recenser les plaintes et les témoignages. En d’autres mots : tout témoin est le porte-parole de bien d’autres qui resteront discrets.
Réparer l’Église
Dans les 48 heures suivant la publication du rapport, huit personnes victimes d’abus commis par un jésuite nous ont contactés. Pour sept d’entre elles, c’était une
reprise de contact. Plusieurs ont partagé combien elles se réjouissent de la publication du rapport : une étape est franchie pour elles. Elles ont exprimé leur satisfaction d’avoir été écoutées par notre cellule d’accueil et d’écoute : elles savent que leur témoignage a été transmis à la CIASE et fait partie de ce patrimoine de
sagesse et de vérité désormais publié.
L’une nous a écrit : « Je peux désormais passer à autre chose. » Ce n’est toutefois pas le cas de toutes les personnes victimes. Ce n’est pas non plus notre cas : pour nous, jésuites, comme pour toute l’Église, la publication du rapport n’est qu’une étape sur un long chemin. Le travail de vérité doit continuer : notre cellule d’accueil et d’écoute s’attend à recevoir encore beaucoup de témoignages. Le travail de réparation doit se mettre en œuvre : 45 recommandations doivent être étudiées et doivent nous aider à réparer l’Église.
Contact
Pour contacter les cellules d’écoute et d’accueil des personnes victimes en France et en Belgique francophone : victime-abus.accueil [at] jesuites.com
Effroi et lueur d’espérance : témoignage du P. Patrick Langue sj, Conseiller spirituel de la Fédération des associations d’anciens élèves des établissements jésuites en France
La publication du nombre des victimes et des auteurs de ces actes ne pouvait être qu’accablante. Les témoignages des effets destructeurs des abus endurés par l’un ou l’autre ancien élève plongent dans la tristesse. Le rapport dévoile à l’échelle de l’Église de France l’étendue et les conséquences dévastatrices des sévices subis. Comment ne pas être bouleversé ? Pour avoir travaillé près de quinze ans dans des établissements d’enseignement, je m’interroge. Comment tout cela a-t-il été possible ? Quelques souvenirs s’imposent : la sensibilité aux signaux faibles, lorsqu’il y en avait, était gravement insuffisante ; les attitudes « inappropriées » auxquelles des bruits assez vagues faisaient allusion étaient systématiquement sous-estimées, surtout si elles paraissaient ne pas relever des tribunaux ; après un fait avéré, les justes décisions d’éloignement d’un prêtre qui se voyait interdit d’entrer en contact avec des jeunes ou confiné dans un apostolat avec des adultes, laissaient faussement supposer que la situation était assainie ; elles n’étaient pas suivies des mesures de prudence qui s’imposaient. Comment ne pas ressentir une certaine culpabilité, qui redouble le questionnement ? Pourquoi tout cela a-t-il été possible ? La formation affective était gravement insuffisante ; la vie communautaire trop pauvre n’apportait pas le soutien nécessaire ; un travail en silo favorisait l’individualisme, l’isolement ; bien d’autres analyses, plus déterminantes sans doute, mériteraient d’être creusées… La vérité est une terrible épreuve, mais elle a ouvert sur des actes : les formations sont exigeantes, la vie communautaire est beaucoup plus riche aujourd’hui en bien des lieux, le rapport à la loi est désormais ajusté… Les effets destructeurs subis par les victimes des abus ne sont pas pour autant guéris. La divulgation de ce qui s’est passé, les mesures déjà prises, les préconisations proposées font naître l’espoir qu’une vigilance soutenue et efficace assure désormais un climat de sécurité aux jeunes en lien avec l’Église catholique et ses établissements.
P. Patrick Langue sj
Conseiller spirituel de la Fédération des associations
d’anciens élèves des établissements jésuites en France
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2021), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.
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Article publié le 15 décembre 2021