« Sans joie, l’écologie est triste et aigrie » : un jésuite en mission au Sri Lanka
En mission au Sri Lanka, le P. Thierry Robouam sj œuvre en faveur de l’écologie et de la justice sociale. Il explique comment il est parti de rien pour finalement lancer de nombreuses initiatives écologiques avec la population locale issue de milieux humbles.
Travail en faveur de l’écologie et de la justice sociale
En février 2019, le Provincial du Sri Lanka décida de fonder un Centre dédié à l’écologie et à la justice dans la ville de Trincomalay. Le projet était vague et l’organisation du Centre inexistante. Le premier directeur n’y resta que quelques mois et repartit dans son pays au début de l’année 2020, laissant un déficit financier et un bâtiment en très mauvais état.
À cette époque, j’étais au Sri Lanka pour une période de recherche et d’enseignement. Pendant la première vague de Covid qui sévit au Sri Lanka, je donnais des cours aux juvénistes et aux novices à Kelaniya, dans la banlieue de Colombo. Je faisais aussi de la recherche au Centre de Tulana fondé par le P. Aloysius Pieris sj. À la fin de mes cours, je fus convoqué par le Provincial qui me demanda de prendre en charge le Loyola Centre for Ecology & Justice (LCEJ). C’est ainsi qu’un jésuite français de la Province du Japon se retrouva directeur d’un centre abandonné dédié à l’éco-justice.
Après avoir enseigné à l’Université Sophia (Tokyo) pendant plus de vingt ans, j’ai fait le choix de prendre une retraite anticipée pour me consacrer à la recherche, mais aussi pour mettre en pratique ce que j’avais enseigné à mes étudiants.
Un français, entre le Sri Lanka et le Japon
Quand je suis au Japon, je vis dans un temple bouddhiste de l’école Shingon ; quand je suis au Sri Lanka, je vis à Tulana. Je devais donc vivre six mois au Japon et six mois au Sri Lanka, et me consacrer à la recherche sur le thème de la mondialisation et de la religion. La crise sanitaire et mon travail de directeur modifièrent ce plan ; je me consacre à présent au développement de mon centre, tout en gardant des contacts avec ma communauté bouddhiste.
J’ai commencé mon travail au LCEJ en mai 2020. La communauté jésuite de Trincomalay, traversant une période de crise, ne savait trop que faire de ce jésuite étranger, mi-français, mi-japonais. Je fus donc parqué dans mon centre en ruine, ne connaissant pas le Tamoul et n’ayant pas de ressources financières pour soutenir les activités d’un centre. La communauté, n’ayant aucun intérêt pour l’écologie, espérait me voir partir le plus tôt possible. C’est dans ce genre de condition qu’un jésuite donne le meilleur.
Le changement : un processus lent et silencieux
J’ai donc pris ma plume, écrit les statuts du centre et je me suis mis à rechercher des fonds pour mes activités. À ma grande surprise, en quelques semaines, j’ai pu payer les dettes du centre et commencer mon travail. J’ai recruté une comptable et un chauffeur, et j’ai commencé à explorer les lieux. La rencontre avec l’évêque de Trincomalay fut féconde et, à travers lui, j’ai pu rencontrer des prêtres diocésains qui décidèrent de m’aider.
Ma recherche à l’Université Sophia m’avait conduit à chercher à comprendre pourquoi tant d’argent et d’énergie dépensés au nom de la justice sociale et plus récemment pour sauver la planète avaient produit de si pauvres résultats.
Cette prise de distance par rapport aux modes d’actions traditionnels pour résoudre des problèmes m’a conduit, avec l’aide de certains de mes anciens élèves, à chercher un modèle moins centralisé, moins autoritaire, moins pressé, qui prenne en compte les dimensions de l’intelligence émotionnelle, la spiritualité, la dévotion et, surtout, qui soit conscient que tout changement, toute transformation est un processus lent et silencieux.
Ma première intuition fut de travailler avec des familles à revenu modeste. Parce qu’elles sont les plus directement affectées par la crise écologique, le Loyola Centre for Ecology & Justice les accompagne et les aide à réaliser qu’elles peuvent contribuer à résoudre cette crise. Le LCEJ ne travaille pas pour les plus pauvres mais avec les plus pauvres. La deuxième intuition fut d’utiliser le réseau des quinze paroisses du diocèse. Je me suis d’abord rendu dans les paroisses les plus pauvres et, pendant le sermon, j’ai expliqué la raison d’être du LCEJ ; le message est passé. À la fin de la messe, des mères de famille sont venues me voir pour m’aider.
L’écologie : avec les plus pauvres et dans la joie
Avec elles, j’ai créé le premier centre de couture et nous faisons de beaux sacs de course utilisant un mélange de tissus neufs et recyclés. Ces sacs sont très beaux. Nous ne les vendons pas, nous les donnons gratuitement dans les paroisses et les écoles. Le LCEJ a acheté les machines et offre le matériel de couture, et laisse nos couturières créer des sacs, mais aussi des sacs poubelles, des pots de fleurs en tissu et des tapis de sol. L’atmosphère est joyeuse.
Sans joie, l’écologie est triste et aigrie, et ne répond pas aux besoins de l’intelligence émotionnelle. La joie de ces dames montre que le LCEJ est sur la bonne voie. Elles ne reçoivent pas de salaire, simplement une compensation pour qu’elles puissent réaliser leur rêve de créer un environnement plus sain.
Un deuxième centre fut créé, et une douzaine de dames fournissent au LCEJ des produits de qualité pour aider les paroissiens, les écoliers et les instituteurs à réduire leur consommation de plastique.
Un troisième centre fut créé, cette fois-ci par des hommes qui peuvent travailler le bois. Nous utilisons la noix de coco pour faire des boutons, des porte-savons et autres objets de la vie quotidienne pour utiliser moins de plastique. Nous utilisons aussi les branches de palmier pour faire des porte-serviettes, des tables et des objets utilitaires.
L’océan est fait de gouttes d’eau
À présent, 31 familles soutiennent les activités du LCEJ, nous permettant de créer des jardins potagers en sac, fournir de bonnes graines et un sol fertile, et continuer à œuvrer pour créer un environnement plus viable.
Notre travail ne fait que commencer ; le LCEJ est jeune et fragile, et a dû faire face à une crise sanitaire longue et de grande envergure. Nous recevons de l’aide financière uniquement de familles qui s’engagent à travailler avec nous pour résoudre la crise environnementale. Je suis en conversation avec ces parrains au moins une fois par mois.
Nous offrons aussi une initiation à l’écologie spirituelle, des cours sur l’écologie et l’écologie politique. En bref, notre ruche est bien active, mais nous n’oublions pas que les transformations sont lentes et silencieuses.
Nous ne sommes qu’une goutte d’eau purifiante dans l’océan de la crise écologique, mais l’océan est fait de gouttes d’eau.
Thierry-Jean Robouam sj (Kobe)