« À la frontière gréco-turque, un rendez-vous avec nous-mêmes », éclairage du P. Antoine Paumard sj

Depuis que les autorités turques ont annoncé l’ouverture de leur frontière avec la Grèce fin février, des milliers de migrants sont bloqués côté turc, aux portes de l’Europe. Le P. Antoine Paumard sj, directeur du Jesuit Refugee Service (JRS) France, réagit à cette actualité.

Réfugiés Grèce Avec l’ouverture des frontières par le président turc Erdogan le 28 février, les noms de Lesbos et Kastanies sont revenus sur le devant de la scène, le problème est pourtant ancien. En avril 2016, le pape François avec le Patriarche Bartholomée et l’archevêque d’Athènes Hyeronimos se rendirent à Lesbos « pour attirer l’attention du monde sur cette grave crise humanitaire et plaider pour sa résolution« .  Ils parlaient alors de la situation déplorable dans les camps « hotspots » de Moria et Kara Tepe voulus par la politique migratoire européenne, devenus au fil du temps des bidonvilles. Cette visite venait un mois après l’accord signé entre la Turquie et l’Union Européenne qui permettait à cette dernière d’externaliser ses frontières en confiant, moyennant 6 milliards de dollars, la charge de l’accueil de 3,5 millions de réfugiés. Il avait alors été dénoncé le risque de chantage à venir.

Le 4 mars dernier, après la visite de Mme Van Der Leyen en Grèce, l’Union Européenne met de l’argent sur la table pour renforcer le dispositif sécuritaire et notamment pour construire un nouveau camp à Lesbos. Elle provoque l’ire bien compréhensible de ses 90 000 habitants. Cela fait quatre ans, parfois cinq que des migrants sont bloqués dans ces lieux infâmes qui les rendent fous, ils ne savent ni pourquoi ils sont là, ni ce qui est attendu d’eux. Cette situation rend aussi fous les habitants de Lesbos dont la générosité a été saluée à de multiples reprises. Mais à laisser pourrir la situation, on a donné libre cours à l’exaspération des personnes de bonne volonté et à l’expression des extrêmes : barrages sur les routes pour contrôler les migrants – depuis quelques mois déjà, menaces contre les associations, incendie des locaux d’une ONG servant un millier de personnes par jour (One Happy Family). Les divisions à Lesbos sont désormais profondes.

Le jeu de chantage avec la Turquie ne fait sans doute que commencer. Il est d’autant plus insupportable que nous connaissons en quelque sorte les personnes dont on se joue : les migrants amenés par les autorités turcs pour être aux frontières. La manière violente avec laquelle ils sont repoussés par la police grecque a fait le tour de nos écrans. « Devant ce drame mondial, que devons-nous faire ? » La question du Père Arrupe à l’origine de la création de JRS est toujours aussi brûlante.

Ouvrir les frontières grecques et risquer un vote d’extrême droite dans l’espace européen déjà fragilisé ? Accepter les yeux ouverts que des personnes qui ont besoin d’une protection se la voit refuser ? Que ce soit pour la question des bidonvilles organisés à Lesbos, problème ancien, ou contribuer à soulager la Turquie du nombre de réfugiés, il n’y aura pas de solutions simples. Sans doute que l’organisation de couloirs humanitaires pour les personnes bloquées en Grèce depuis longtemps serait un premier pas. Mais ceci requiert trois éléments qui nous manquent depuis quelque temps déjà : une capacité à prendre nos décisions sur les principes qui ont fondé le projet européen, une capacité à se concerter pour sortir de nos égoïsmes nationaux, une volonté politique forte et courageuse.

JRS France ne connaît pas les solutions, y-en-a-t-il d’ailleurs ? Mais du moins, nous prétendons qu’il faut être fidèle à ce qui nous habite : le respect des droits fondamentaux, « devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays » (DUDH, Art. 14), la mise en œuvre pour nous-même de la rencontre et du dialogue souhaités au niveau européen, le désir de vivre dans un monde ouvert. En un mot : être fidèle à un Évangile qui s’incarne.

Dépassés par ce dont nous sommes témoins, nous croyons qu’il est plus nécessaire encore de continuer à œuvrer patiemment avec courage et humilité pour garder un chemin d’humanité.

P. Antoine Paumard sj, directeur de JRS France
Le 12 Mars 2020

 

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