Accompagner la vie jusqu’à sa fin : témoignage du P. Gaël de La Croix Vaubois sj, aumônier d’hôpital
Depuis 5 ans, P. Gaël de La Croix Vaubois sj accompagne des personnes malades, parfois en fin de vie. Il témoigne de ces moments profondément humains, vécus dans l’écoute et la présence gratuites et fraternelles.
Sœur Adrienne*, petite femme de 101 ans, tordue de douleur sur son lit, et qui confie à l’oreille qui s’approche d’elle : « Pourquoi c’est dans ces souffrances terribles que je reconnais l’amour de Dieu comme jamais ? » Tous ceux qui l’approchent en ses dernières heures en sont bouleversés, et sortent de sa chambre redynamisés.
Alain a demandé à voir l’aumônier. L’infirmière indique un état précaire et confus. Or je suis accueilli par un homme tout heureux de me voir. Il avait une question à poser. Nous sommes entrés dans un dialogue confiant, fraternel, sur l’ »après ». Nous nous sommes dit au-revoir en plaisantant comme de bons amis. Revenu au bureau, j’ai voulu faire part à l’infirmière de la qualité de notre échange. Je téléphone : « J’aimerais parler d’Alain que je viens de voir. — M. … est décédé. — Vous devez vous tromper, je l’ai quitté en pleine forme il y a dix minutes. — Non, il est décédé, c’est qu’il vous attendait… ».
Premier confinement COVID, salle de réveil des blocs opératoires transformée en service de réanimation. Sabine y est maintenue en coma artificiel depuis un mois. Aucune visite possible, sauf le jour où, son état se dégradant, le médecin autorise une visite de son mari. Celui-ci demandait régulièrement la visite de l’aumônier, il dut choisir : ce fut moi, pour cette unique visite, pour donner à Sabine le sacrement des malades. Priant avec une infirmière qui s’est jointe à moi au milieu de cette grande salle, j’ai dit à Sabine que son mari et ses enfants priaient pour elle et l’attendaient. À partir de ce moment, Sabine s’est mise à remonter la pente. Lentement, pour sortir du coma, se remettre à marcher… Pas de souvenir conscient du sacrement, mais le souvenir très clair qu’à un moment il a fallu choisir de revenir plutôt que de se laisser glisser…
J’ai rencontré plusieurs fois André. Toujours confiant. Un jour, ce sont ses enfants qui m’accueillent, troublés et en colère contre le médecin du service. Celle-ci a annoncé le matin à André que c’était la fin. Le médecin, que je connais, n’a pu parler à André sans être sûre qu’il était prêt à l’entendre ; or je le trouve effectivement très anxieux. Tout est allé très vite, et c’est seulement après son décès que j’ai réalisé la cause de son profond désarroi. Ses enfants n’étaient pas prêts, pas en mesure de lui faire confiance, de se risquer à l’écouter, à entendre que lui était prêt, et nous n’avons plus eu le temps de cheminer ensemble.
En service de réanimation, la décision est prise de ne plus tenter de soins curatifs pour Gérard sur le point de nous quitter. L’aumônerie est appelée en urgence. J’en ai pris le réflexe, je viens aussitôt. Le patient était pleinement présent et son entourage prêt à confier la suite au Seigneur. Au cours du sacrement des malades, un infirmier arrive sans faire bruit pour poser une seringue qui va endormir le malade. J’obtiens qu’on attende la fin de la célébration. L’infirmier, vérifiant qu’il n’y a pas de signe particulier de douleur ni d’anxiété chez le patient, accepte. Mais, dès la bénédiction finale, la seringue est posée, pour assurer son « confort », alors que les échanges étaient encore si riches avec les siens à la suite du sacrement…
Depuis 5 ans, j’ai la chance, avec les équipes d’aumônerie, d’être envoyé quotidiennement auprès de nos frères et sœurs malades, dans l’écoute et la présence gratuites et fraternelles. Éprouvant de devoir ainsi approcher la précarité, le désarroi, parfois les refus ou les colères. Mais, en nous risquant ensemble, nous partageons presque immanquablement le bonheur d’être remis en espérance, patient, proches et visiteurs. Dans ces instants profondément humains, vécus d’autant plus intensément qu’ils nous trouvent démunis devant le mystère de la vie, se révèle notre vraie source. Il ne s’agit pas d’en finir, de couper court à l’aventure, mais de la vivre jusqu’au bout dans l’attention mutuelle. Il s’agit que le pauvre trouve un frère qui ose l’accompagner. Lorsqu’un patient n’a plus de réactions depuis trois jours, et que l’on voit une main esquisser un signe de croix à la fin d’un sacrement des malades, ou des lèvres qui se mettent à bouger au moment du Notre Père, quel effort pour nous manifester que nous l’avons rejoint dans ce qui compte pour lui !
Notre société peine à reconnaître que là se trouve l’essentiel pour tous. Les soignants eux-mêmes, admirables de dévouement, y ont de moins en moins accès. L’Église l’oublie parfois. Les unités de soins palliatifs, encore trop rares, sont le symbole de cette prise de conscience mise en actes. J’ai pu y intervenir aussi : combien de familles restent touchées à jamais de ce qu’elles ont pu vivre ainsi avec leur proche ! Les témoins sont discrets, comme le sont habituellement les visiteurs d’aumônerie ou d’associations laïques. On les entend peu sur la place publique, mais leur quotidien est une telle source de vie pour notre Église et pour notre société.
P. Gaël de La Croix Vaubois sj,
aumônier d’hôpital,
communauté jésuite Pierre Teilhard de Chardin, à Versailles
* les prénoms ont été changés, sauf Sabine qui a donné son témoignage dans l’émission de KTO.
Voir le documentaire « Aumôniers d’hôpitaux : le soin des âmes »
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Dans un documentaire diffusé en février 2021, la chaîne KTO invitait à découvrir ces hommes et ces femmes, laïcs et prêtres, qui prennent soin de nos âmes quand nous sommes malades. Ils manifestent la présence du Christ dans l’épreuve de la maladie, et parfois de la mort, et accompagnent aussi les familles et les soignants…
> Voir le documentaire
Portrait du P. Gaël de La Croix Vaubois sj
Le P. Gaël de La Croix Vaubois sj est aumônier d’hôpital et membre de la communauté jésuite de Versailles. À travers son portrait personnel, il témoigne de sa vocation et de sa mission auprès des malades : il évoque la « simplicité de sa présence fraternelle » auprès des personnes bouleversées par la maladie.
En octobre 2017, le diocèse de Versailles a vu débarquer comme un cadeau du ciel un jésuite que son Provincial mettait à disposition pour être aumônier d’hôpital. L’évêque était tout heureux de combler ainsi trois ou quatre postes restés vacants à la rentrée. Après une dizaine d’années passées dans nos Centres spirituels de Penboc’h (Morbihan) et du Châtelard (Lyon), j’ai aussitôt apprécié ce lieu d’Église, ouvert à toute personne dont la maladie vient bouleverser le sens de sa vie. J’y ai retrouvé la grâce de la mission vécue en équipe, mais aussi une Église attentive au prochain dans la discrétion, dans le bonheur de s’épauler mutuellement dans la confiance, le partage et la prière, entre visiteurs bénévoles et aumôniers de toutes sensibilités ecclésiales. > Lire la suite du portrait
Dossier : Contributions des institutions jésuites aux débats sur la fin de vie
D’ici la fin de l’année 2023, une consultation citoyenne sur la fin de vie pourrait aboutir à un nouveau » cadre légal ». Le Comité Consultatif National d’Éthique estime « qu’il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». Les différentes institutions jésuites et ignatiennes entendent contribuer aux débats sur ce sujet, en proposant différents évènements et ressources.
> Voir le dossier