« Créons du sens » : intervention du P. Provincial, François Boëdec sj, à la rentrée académique de l’UNamur
Qu’est-ce qui vaut la peine qu’une vie soit vécue? Qu’est-ce qui vaut la peine qu’une vie soit donnée? Dans son intervention lors de la cérémonie officielle d’ouverture de l’année académique à l’Université de Namur, le P. François Boëdec sj, Provincial des jésuites, a centré sa prise de parole sur « la question du sens ».
« Bonsoir, je suis heureux de partager ce moment avec vous.
L’UNamur – vous le savez – a été fondée par les jésuites. En 1831. Mais si je m’adresse à vous ce soir, ce n’est pas pour rappeler l’histoire ou pour répéter des anciennes choses. Pour nous, jésuites, c’est d’abord le présent et l’avenir qui nous intéressent. Dans cette perspective, je voudrais vous partager quelques mots très simples sur la question du sens.
Il y a quelques jours, un ami m’a transmis le discours d’un étudiant de l’école Centrale-Nantes, parlant au nom des autres étudiants, le jour de la remise des diplômes en 2018. Je vous invite à l’écouter sur YouTube. Que dit cet étudiant ? À la surprise générale, il fait part de sa déception, de son désarroi face au modèle dans lequel il a été formé : « Je suis perdu – dit-il -, incapable de me reconnaître dans la promesse d’une vie de cadre supérieur qui serait un rouage d’un système capitaliste de surconsommation ». En d’autres termes, cet étudiant a reçu une bonne formation mais à aucun moment, il ne lui avait trouvé du sens. C’est le sentiment – nous le savons -, partagé par beaucoup de nos contemporains, d’avoir de moins en moins de prise sur le réel, comme si le sens avait déserté l’aventure collective au profit de logiques gestionnaires et marchandes, ou de réactions violentes de désarroi.
Juste après avoir écouté cet étudiant désorienté, je me suis souvenu de trois autres étudiants. C’était en 1528. Un certain Ignace de Loyola arrivait à Paris pour faire des études. Il va partager un ‘kot’ d’étudiants avec un certain François-Xavier et un certain Pierre Favre. Leur relation n’est pas évidente au départ. Et Ignace, basque têtu, ne va pas cesser d’interroger ses colocataires sur le sens de leur vie, leur renvoyant la question que l’on trouve dans l’Évangile : « Mais à quoi ça sert de gagner le monde, si c’est pour perdre son âme ? » (Mc 8, 36). Vous connaissez la suite. De ces conversations essentielles naîtront de solides amitiés, et un désir de rester ensemble au service de Dieu, qui sera à l’origine de la Compagnie de Jésus.
« Aujourd’hui, ici à Namur, comme dans tant d’autres lieux du monde, la question du sens se pose à nouveau. Après tant d’années où on nous a abrutis dans la consommation, après des années où on nous a fait croire que le bonheur était dans l’avoir, après des années où on a voulu nous faire penser que la question de Dieu était bonne pour des retardés ou des êtres faibles, la question du sens nous revient en pleine figure. Pourquoi, à l’heure où l’on nous vend du bonheur à chaque seconde, tant de gens se sentent aussi seuls et aussi tristes ? Et les enjeux écologiques, migratoires, éthiques, pour ne citer que ces trois-là, nous obligent à nous interroger. Qu’est-ce qui vaut la peine qu’une vie soit vécue ? Qu’est-ce qui vaut la peine qu’une vie soit donnée ?
Le pape François, dans ce texte marquant qu’est Laudato si’, met très bien en lumière le lien qu’il voit entre « crise économique, crise sociale et crise spirituelle ». J’ai envie de vous dire, ce soir, qu’il y a dans l’Évangile un réservoir de sens pour avancer avec ces questions. Cela vaut la peine de désensabler cette source. Découvrir, redécouvrir, qu’il y a dans l’Évangile une force étonnante de renouvellement. Pour nos existences à chacun, mais aussi pour la vie de nos sociétés et de notre monde. L’Évangile ne donne pas, et heureusement, des réponses ‘clé en main’ aux questions qu’on se pose. Mais il nous propose des repères pour donner sens à l’aventure humaine. Et une Université, c’est bien une sacrée aventure !
Finalement, et si Dieu avait des choses à nous dire pour mener notre vie, des choses essentielles, des choses qu’on ne peut entendre que parce qu’on lui donne de l’espace et du temps ? Et si on était prêt à redécouvrir Dieu comme une relation vivante qui donne sens aux autres ? Avant d’être des vérités à croire, des préceptes à suivre, la foi chrétienne est d’abord une expérience à vivre. En dialogue avec les différentes réalités, enjeux et chantiers de notre époque.
Ce n’est sans doute pas très étonnant qu’un jésuite vous dise cela, ce soir. Parce que cela touche au sens de ce qui est en jeu ici. Sens voulant dire ici signification (ce que cela veut dire), mais aussi direction (là où cela nous conduit). C’est vrai que je souhaite que notre Université permette qu’on se pose les vraies et bonnes questions, qu’elle permette de désensabler la source, qu’elle permette des recherches personnelles et collectives essentielles. Et c’est sans doute ce qui fera la différence avec beaucoup d’autres lieux académiques.
Nous le savons, les vraies solutions aux problèmes profonds de notre époque ne viendront pas d’abord de l’économie et de la finance, si importantes soient-elles, ni des postures et gesticulations de quelque-uns. Les vraies solutions viendront de cette écoute personnelle et collective des besoins profonds de l’homme, et de l’engagement de tous. Dans le respect, le dialogue et la bienveillance. Merci de votre écoute. »
François Boëdec sj, Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone
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> Sur l’ouverture officielle de l’année académique à l’UNamur
Article publié le 24 septembre 2019