À Liège, le collège Saint-Benoît Saint-Servais fondé par les jésuites au XIXe siècle abrite une salle de spectacle remarquable qui fait l’objet d’un ambitieux programme de rénovation. Roland Marganne, ancien professeur de langues anciennes et d’histoire de ce collège propose de découvrir ce lieu emblématique à vocation pédagogique et sociale.

Fondé en 1838 par la Compagnie de Jésus, rue Saint-Gilles à Liège, le collège Saint-Servais (aujourd’hui Saint-Benoît Saint-Servais) s’est doté – sur son site – d’une grande salle de spectacle dès 1896. Elle devait répondre à des préoccupations pédagogiques, mais aussi à une volonté d’ouverture du collège vers la ville. Ainsi put-elle, grâce à une capacité de 3 000 places, accueillir dès sa création les « congrès sociaux », qui réunirent à la fin du XIXe siècle les forces vives du monde chrétien, afin de les sensibiliser à la condition ouvrière misérable de la région liégeoise, dans la ligne de l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII.

Une charpente innovante

collège Saint-Benoît Saint-Servais Liège

Vue de la salle en 1911.

Aujourd’hui patrimoine architectural, elle a été construite selon les principes les plus modernes de l’époque, avec une charpente constituée de poutrelles métalliques rivetées à chaud (comme la tour Eiffel à Paris) et de vastes verrières style « Art Nouveau » : une nécessité à un moment de l’histoire où l’usage de l’électricité en était à ses premiers balbutiements. Équipée pour le théâtre tel qu’il se pratiquait à l’époque, elle disposait d’un équipement de scène très particulier : des costières, sortes de panneaux supportés par des chariots roulant sur des rails disposés dans les dessous de scène, afin de créer des décors mobiles. Cet équipement existe toujours sous la plancher de scène actuel.

Une vocation pédagogique et sociale

Véritable salle polyvalente de grande capacité, elle constitue aussi un patrimoine pédagogique par l’usage qu’on en fit au fil du temps. Les élèves et professeurs purent s’y réunir pour la proclamation des classes en début d’année scolaire, la distribution des prix et diplômes… ainsi que la Pièce des Rhétos, un « morceau de bravoure » que le collège suscita chez les Rhétoriciens[1], chaque année depuis sa fondation… et qui perdure jusqu’à aujourd’hui : monter une pièce de théâtre et la jouer devant un public varié, en pratiquant tous les métiers de la mise en scène. Mais, la grande salle se prêta à bien d’autres usages : organisation d’un banquet d’un millier d’Anciens du collège en 1913 (75e anniversaire du collège), hôpital de campagne pour les blessés du premier conflit mondial ; dîner pour les personnes les plus pauvres de Liège offert par la conférence Saint-Vincent-de-Paul lors du jubilé du centenaire du collège, centre de rapatriement pour les déportés libérés des camps nazis en mars 1945. Elle permit aussi l’organisation de conférences de haut niveau ouvertes aux élèves mais aussi au grand public.

Une programmation ouverte sur la ville

collège Saint-Benoît Saint-Servais Liège 2

Une représentation d’une pièce des Rhétoriciens.

Ce vaisseau fut remodelé en 1954 : ses ailes gauche et droite furent transformées en un foyer, un auditorium et des locaux scolaires, tandis que la partie centrale fut aménagée en « théâtre à l’italienne » (un des rares encore existant à Liège) : 675 fauteuils fixes y furent installés, et une occultation permanente fut pratiquée afin de répondre aux exigences nouvelles du théâtre… mais aussi de pouvoir l’utiliser le cas échéant en salle de cinéma. Baptisée « Cinélux », la grande salle permit la création d’un « ciné-club » présentant les films les plus récents non seulement pour les élèves du collège, mais des étudiants d’autres écoles du quartier… et même le grand public. Dans les années soixante, la salle vivra sa grande époque des « mercredi du cinéma » et des séances familiales du week-end, la télévision n’étant pas encore dans tous les foyers.

Les années septante (ou soixante-dix si l’on veut…) virent la création du « centre culturel 104« , animé par une équipe de professeurs du collège. Ces années virent défiler une foule d’artistes, chanteurs, comédiens, fantaisistes de Paris et d’ailleurs jusqu’au milieu des années nonante (quatre-vingt-dix). C’est ainsi que Michèle Morgan, Jean Marais, Jean Piat, Raymond Devos, Francis Perrin, Léo Ferré, Hugues Aufray, Annie Cordy foulèrent les planches du 104. Adieu des Frères Jacques, adieu des Compagnons de la chanson, conférences et rencontres avec Philippe Bouvard, Jacques Martin, Claude Rich ou Jacques Dufilho, représentations de Sim, Jackie Sardou, Robert Lamoureux, Jacques Balutin, Francis Perrin, Roger Pierre et Jean Marc Thibault, ou des frères Taloche : ces diverses manifestations réunirent jusqu’à 650 abonnés à l’année.

Aujourd’hui, l’outil « grande salle » s’est fait discret… trop discret ! Les élèves du collège profitent de son équipement et de l’équipe technique qui perdure. Maintenue en état de fonctionner pour des manifestations « privées » ou « semi-publiques » quand elle accueille des parents d’élèves, la salle est indispensable au collège. Mais elle doit subir une nouvelle rénovation pour continuer à nourrir ce « patrimoine pédagogique » qu’elle représente depuis maintenant 125 ans.

[1] Les élèves de Terminales en Belgique.

Roland Marganne Roland Marganne,
ancien professeur de langues anciennes et d’histoire
au collège Saint-Benoît Saint-Servais à Liège

Un patrimoine à rénover : sauvons le 104 !

Le 104 – appellation actuelle de la grande salle – est aujourd’hui dans un triste état (plafonds qui tombent, sièges déchirés, matériel obsolète…) et nécessite une profonde rénovation pour continuer à assurer son rôle, au cœur de la pédagogie jésuite, envers les jeunes d’aujourd’hui et ceux de demain ! Un grand projet est en route avec l’ambition de relancer cet outil exceptionnel pour les cinquante prochaines années : remise à neuf complète du bâti, équipement scénique moderne, nouveaux espaces modulables, efficacité énergétique, connectivité 2.0…

Vous souhaitez soutenir ce projet ? Rendez-vous sur le site internet du 104 pour faire un don.
Une déduction fiscale est possible selon le pays de résidence des donateurs. 

Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2023), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.

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