Les six décrets de la 35ème Congrégation Générale

La 35ème congrégation générale s’est ouverte à Rome le 7 janvier 2008. 225 jésuites dont 217 électeurs, ont participé aux travaux de l’assemblée. Parmi les délégués, 18 viennent d’Afrique, 40 d’Amérique latine, 64 d’Asie et d’Australie, 69 d’Europe et 34 d’Amérique du Nord.

En choisissant le nouveau supérieur général, affirme le P. Kolvenbach, la Compagnie de Jésus « dit ce qu’elle attend pour son avenir : un prophète ou un sage, un innovateur ou un modérateur, un contemplatif ou un actif, un homme de pointe ou un homme d’union ».

La Congrégation générale, a-t-il ajouté « commence par faire un bilan de la situation actuelle, avec un discernement sur ce qui, dans la Compagnie, constitue des lumières ou plutôt des ombres dans son service à l’Eglise et au monde. C’est de ce bilan que doit naître ‘l’étincelle’ : voilà le jésuite dont nous avons besoin pour aller de l’avant sur le chemin de Dieu ». Le fil conducteur, qui lie tous les jésuites, même s’ils œuvrent dans des contextes divers et dans différentes parties du monde, est la mission, a observé le supérieur général.

Introduction au Décret 1 : « Avec une ferveur et un élan renouvelés »

Le premier décret de la 35ème Congrégation Générale est une vraie surprise. Il est l’écho d’une autre surprise – et qui fut de taille – à savoir l’audience privée que Benoît XVI a réservée aux membres de la 35ème congrégation Générale le 21 février 2008. L’expérience de « la profonde affection du Saint-Père » lors de cette audience, mais aussi la lettre que le Pape avait adressée le mois précédent au Père Kolvenbach (le 10 janvier 2008 : pour la lire, cliquez ici) ont conduit les membres de la Congrégation à rédiger un décret qui a pour sous-titre « La Compagnie de Jésus répond à l’invitation du Pape Benoît XVI », et pour titre « Avec une ferveur et un élan renouvelés ».

Le décret commence par nommer l’expérience spirituelle qui a inspiré ce décret :

« La 35ème Congrégation Générale a fait l’expérience de la profonde affection du Saint Père à deux reprises : avec la lettre du 10 janvier 2008 et lors de l’audience du 21 février 2008. A l’image d’Ignace et de ses premiers compagnons, nous étions là – les 225 délégués avec, en tête, notre Père Général, le Père Adolfo Nicolás – en tant que Congrégation Générale de la Compagnie de Jésus, pour être accueillis par le Vicaire du Christ et écouter, d’un cœur ouvert, ce qu’il nous dirait sur notre mission. Ce fut un moment dense et une expérience spirituelle émouvante. » (§1)

Ainsi il était devenu évident que la Compagnie ne pouvait pas laisser passer « ce moment historique sans donner une réponse qui soit à la hauteur du charisme ecclésial de Saint Ignace » (§8).

« Le successeur de Pierre nous a dit la confiance qu’il met en nous : pour notre part, nous désirons sincèrement répondre à son appel, comme corps apostolique, avec la même chaleur et la même affection qu’il nous a montrées, et affirmer de manière résolue ce qu’a de spécifique notre disponibilité au « Vicaire du Christ sur la terre». » (§8)

Le décret revient sur la manière dont le Pape Benoît XVI parle de la mission de la Compagnie de Jésus. Il souligne également, avec les mots du Père Général, les risques que cette mission représente :

« Avec des paroles fortes, le Pape nous a définitivement placés devant l’avenir de notre mission. Cette mission a été exprimée avec une totale clarté et une grande fermeté : une défense et annonce de la foi qui nous fassent découvrir de nouveaux horizons et parvenir aux nouvelles frontières sociales, culturelles et religieuses qui, comme frontières – ainsi que le rappelait le P. Adolfo Nicolás dans son discours au Saint Père – peuvent être des lieux de conflit et de tension mettant en danger notre réputation, notre tranquillité et notre sécurité. C’est pourquoi nous avons été sensibles à l’évocation de notre P. Arrupe, dont l’initiative du service aux réfugiés fut mentionnée par le Pape comme étant « une de ses dernières intuitions clairvoyantes ». » (§6)

Le Pape attend des jésuites d’être « des ponts de compréhension et de dialogue » (§6)   dans notre monde. Cette mission et cette manière d’être dans l’Église
est reprise dans la conclusion du décret :

« La lettre et l’allocution du Saint Père ouvrent pour nous une nouvelle période. La 35ème Congrégation Générale nous donne l’occasion de vivre « avec une ferveur et un élan renouvelés la mission pour laquelle l’Esprit l’a suscitée [la Compagnie] dans l’Église ». Conscients de notre responsabilité dans l’Église et avec l’Église, nous désirons l’aimer et la faire aimer toujours davantage, elle qui conduit le monde au Christ humble et pauvre et annonce à tout homme que Deus caritas est. » (§16)

A la fin de l’audience, le Pape avait manifesté son estime et sa proximité spirituelle en priant avec les membres de la Congrégation Générale la prière « Prends Seigneur et reçois » qui se trouve dans le livre des Exercices Spirituels. Le décret fait de même :

En demandant au Seigneur la force de son Esprit pour qu’il nous accorde d’accomplir sa volonté, nous unissons nos voix à celle du Successeur de Pierre pour dire avec lui :

« Prends Seigneur et reçois toute ma liberté,
ma mémoire, mon intelligence et toute ma volonté,
tout ce que j’ai et possède.
Tu me l’as donné, à Toi Seigneur je le rends.
Tout est à toi ; disposes-en selon ton entière volonté ;
donne-moi ton amour et ta grâce, cela me suffit »

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Décret 2 : « Un feu qui en engendre d’autres »

Plusieurs jésuites du monde entier avaient demandé à la 35ème Congrégation Générale d’écrire un texte qui puisse dire de façon chaleureuse et inspirante l’identité et la mission des jésuites. Pourquoi une telle demande ? L’identité jésuite traverserait-elle une crise ? Les jésuites ne le pensent pas, mais des quatre coins du globe se faisait sentir la nécessité de faire redécouvrir l’originalité de notre vie religieuse apostolique – notre charisme – dans un monde saturé d’images et de communication.

Ignace de Loyola a fondé une nouvelle forme de vie religieuse qui ne reposait sur aucun des signes traditionnels de celle-ci : pas de cloître ni de couvent ou de maisons stables, aucun habit distinctif ou particulier, pas d’offices récités en chœur… Comment faire saisir aujourd’hui encore une identité religieuse catholique à travers ce que d’aucuns repèrent comme étant l’absence de repère religieux habituels ?

Le décret reparcourt l’histoire et le cheminement d’Ignace de Loyola et de ses compagnons. Il montre comment leur expérience continue de nous inspirer et peut encore en inspirer beaucoup d’autres :

« Au fondement de la vie et de la mission de tout jésuite se trouve une expérience qui le place avec le Christ au cœur du monde. Cette expérience n’est pas une pure fondation posée dans le passé et qu’on ignore lorsque le temps passe ; elle est vivante, continue, nourrie et approfondie par la vie jésuite en communauté et en mission. »(§4)

Identité (être jésuite) et mission (chercher et trouver Dieu en toutes choses) sont intimement liés. Et c’est sans doute pour cela que la vie jésuite est traversée par des polarités qui en font, sans doute, une des principales caractéristiques :

« Cette mission d’essayer de « sentir et goûter » la présence et l’activité de Dieu dans toutes les personnes et circonstances du monde nous met au centre d’une « tension » qui nous attire en même temps vers Dieu et vers le monde. D’où résulte, pour les jésuites en mission, une série de polarités typiquement ignatiennes, qui accompagnent notre solide et permanent enracinement en Dieu et, simultanément, notre immersion au cœur du monde. Être et faire; contemplation et action; prière et vie prophétique; être complètement unis au Christ et complètement insérés dans le monde avec lui comme corps apostolique: toutes ces polarités marquent profondément la vie d’un jésuite et expriment à la fois son essence et ses possibilités. » (§8 et 9)

La façon d’être jésuite peut être ainsi décrite : « avec le Christ en mission, toujours contemplatif, toujours actif ». (§9) Finalement il s’agit d’incarner un sens du sacré qui se dit et se traduit par un engagement actif dans le monde, suivant en cela l’exemple du Christ des Evangiles.

« Dans ce que nous faisons dans le monde, il doit toujours y avoir une « transparence » à Dieu. Nos vies doivent susciter la question « qui êtes-vous, pour faire ces choses … et les faire de cette manière ? » Les jésuites doivent manifester – spécialement dans le monde contemporain de bruit et de stimulation incessants – un fort sens du sacré joint inséparablement à un engagement actif dans le monde. » (§10)L’identité et la missions jésuites se vivent dans un monde qui bouge et évolue très vite. Mondialisation, technologie, écologie, cultures de consommation… façonnent notre manière d’agir :

« Servir la mission du Christ aujourd’hui signifie prêter une attention spéciale à son contexte global. Ce contexte exige que nous agissions comme corps universel avec une mission universelle, tout en tenant compte de la diversité radicale de nos situations. C’est comme communauté mondiale – en même temps réseau de communautés locales – que nous cherchons à servir les autres à travers le monde. Notre mission de foi et justice, de dialogue avec religions et cultures a pris des dimensions qui ne nous permettent plus de concevoir le monde comme composé d’entités séparées, mais comme un tout unifié où nous dépendons les uns des autres. La mondialisation, la technologie et les problèmes d’environnement ont remis en cause nos frontières traditionnelles et nous ont rendus plus conscients que nous portons une responsabilité commune pour le bien-être du monde entier et son développement durable et porteur de vie. Les cultures de consommation d’aujourd’hui n’encouragent pas la passion et le zèle, mais plutôt la dépendance et la compulsion. Elles demandent résistance. » (§20 et 21)

Encourager le zèle et la passion, tel est un des objectifs de ce décret. Son titre « Un feu qui en engendre d’autres » est une citation de saint Alberto Hurtado, un jésuite chilien du XX° siècle. Il dit l’espérance qui anime le coeur de ceux qui se laissent saisir par le Christ et répondent généreusement à son appel pour aller enflammer le monde.

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Décret 3 : Défis pour notre mission aujourd’hui 

Fallait-il un décret pour redire la mission des jésuites aujourd’hui ? Oui. Ne serait-ce que pour confirmer les grandes orientations des 32ème et 34ème Congrégations Générales. Elles restent d’actualité et nous avons bien vu combien il nous faut du temps et de l’énergie pour les mettre en œuvre concrètement. Le risque court toujours de tenir des beaux discours qui ne se traduisent jamais en engagement.

« Nous voulons réaffirmer cette mission qui donne sens à notre vie religieuse apostolique dans l’Église :
« Dès lors, le but de notre mission (le service de la foi) et son principe intégrateur (la foi orientée vers la justice du Royaume) sont en relation dynamique avec la proclamation inculturée de l’Évangile et le dialogue avec d’autres traditions religieuses, comme dimensions essentielles de l’évangélisation ». » (§3)

La confirmation de cette mission s’opère toutefois dans un monde qui a connu de profonds bouleversements. Le décret s’attarde donc à prendre en compte ce nouveau contexte pour la mission. Parmi ses caractéristiques, la révolution de la communication et ses paradoxes croissants tiennent un grand rôle.

« Nous vivons dans une culture qui privilégie l’autonomie et le présent, alors que le monde est en si grand besoin de construire un avenir solidaire. Nous disposons de meilleurs moyens de communication, mais beaucoup font l’expérience de l’isolement et de l’exclusion. Certains ont tiré grand profit de la situation, tandis que d’autres ont été marginalisés ou exclus. Les frontières s’ouvrent chaque jour davantage mais on ressent le besoin d’affirmer et de défendre des identités locales ou particulières. Nos connaissances scientifiques ont atteint les profondeurs mystérieuses de la vie, alors que la simple dignité de la vie est menacée, sans parler de l’avenir de la planète. » (§11)

En réponse à ces paradoxes et ces tensions, nous ressentons un appel à établir des relations justes (avec les autres, avec Dieu, avec la création). Relisant la vie de Jésus dans les Évangiles et celle d’Ignace de Loyola et des premiers compagnons, nous réalisons combien les jésuites sont des hommes envoyés aux frontières qu’il s’agit de traverser. Que ce soit la frontière entre riches et pauvres, ou entre lettrés et ignorants. Et le décret poursuit en affirmant : « La tradition des jésuites de bâtir des ponts par-dessus les barrières devient cruciale dans le contexte du monde d’aujourd’hui. » (§17)

La mondialisation a été largement au cœur des débats de la Congrégation Générale :

« La mondialisation a accéléré l’expansion d’une culture dominante qui a apporté à beaucoup un large accès à l’information et au savoir, un sens accru de l’individu et de sa liberté de choix et une ouverture aux idées et valeurs nouvelles à travers le monde. En même temps, cette culture dominante est marquée de subjectivisme, de relativisme moral, d’hédonisme et de matérialisme pratique qui conduisent à une « vision erronée ou superficielle de Dieu et de la personne humaine ». » (§20)

Autre nouvelle donne du contexte dans lequel se déroule notre mission : l’apparition des fondamentalismes religieux.

« Nous vivons dans un monde où abondent religions et cultures. L’érosion des croyances religieuses traditionnelles et la tendance à homogénéiser les cultures ont renforcé toute une variété de fondamentalismes religieux. La foi en Dieu est de plus en plus utilisée pour diviser les gens et les communautés et pour créer des polarisations et des tensions qui déchirent le tissu même de notre vie sociale. Tous ces changements nous appellent à travailler aux frontières de la culture et de la religion. » (§22)

Tous ces défis, nombreux, demandent un travail patient où l’intelligence et l’effort de la réflexion sont des parties intégrantes de l’œuvre d’évangélisation.

« La complexité des problèmes que nous affrontons et la richesse des possibilités offertes demandent que nous bâtissions des ponts entre riches et pauvres, établissant des liens de soutien mutuel entre ceux qui détiennent le pouvoir politique et ceux qui ont du mal à faire connaître leurs intérêts. Notre apostolat intellectuel fournit une aide inestimable pour la construction de ces ponts, nous offrant de nouvelles façons de comprendre en profondeur les mécanismes et les liens entre nos problèmes actuels. » (§28)

En conclusion, le décret voté par la 35ème Congrégation Générale fait siennes les 5 préférences apostoliques que le Père Kolvenbach avait proposées à toute la Compagnie : l’Afrique, la Chine, l’apostolat intellectuel, les maisons interprovinciales de Rome et les réfugiés. Mais le dernier mot est pour cette mission de réconciliation à laquelle nul ne peut se soustraire aujourd’hui :

« Dans ce contexte global, il est important de souligner le potentiel extraordinaire que nous avons comme corps international et multiculturel. Mettre en œuvre les possibilités que cela nous donne peut non seulement accroître l’efficacité apostolique de notre travail, mais également, dans un monde fragmenté et divisé, témoigner de la réconciliation dans la solidarité de tous les enfants de Dieu. » (§ 43)

> Lire l’intégralité du décret 3 au format pdf

> Décret 4 : L’obéissance dans la vie de la Compagnie de Jésus

> Décret 5 : Un gouvernement au service de la mission universelle

> Décret 6 : La collaboration au cœur de la mission

> Lettre de remerciements des membres de la GC35 au P. Kolvenbach

> Photo : © http://gc36.org/fr/

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