Des cours de langue pour donner des mots
Parce que la Compagnie de Jésus est un corps international, notre Province accueille chaque année de nombreux étudiants jésuites étrangers, en particulier au sein des Facultés Loyola Paris. Ils bénéficient de cours accélérés de français. Quels sont les fruits de cet apprentissage ? Explications de Pierre de Vial sj, directeur du cours de langue.
Chaque été, une vingtaine de frères et scolastiques [1] venus des quatre coins du monde atterrissent en France en vue d’étudier philosophie ou théologie aux Facultés Loyola Paris. Le français étant la langue utilisée tant pour les études que pour la vie ordinaire, la plupart de ces compagnons jésuites participent à un cours de langue intensif durant tout le mois de juillet. Une petite équipe de scolastiques francophones, épaulée par une professeur de français, se prête ainsi au jeu d’enseigner le français à ces Molières en herbe.
Épanouissement intellectuel, spirituel et relationnel
L’apprentissage du français est évidemment le premier objectif de ce cours : être en mesure de s’exprimer, de se faire comprendre, mais aussi d’entrer dans l’étude d’auteurs complexes, Kant, Ricœur et autres Rahner. Une maîtrise suffisante de la langue est ainsi un prérequis indispensable à tout futur épanouissement intellectuel, spirituel et relationnel. Cet apprentissage est évidemment une gageure, en particulier lorsque les étudiants sont complètement débutants. Les premières semaines demandent beaucoup de patience et de persévérance de part et d’autre : comment partager lorsque son français se limite au vocabulaire des jours de la semaine, et aux nombres d’un à cent ? Cette communication se révèle pourtant possible, et, bien souvent, le zèle des étudiants surpasse la patience des professeurs. Je pense par exemple à un compagnon indien me faisant répéter pendant près d’une demi-heure le son « r » pour savoir s’il l’avait intégré. L’enjeu du cours de langue ne se limite cependant pas à ce seul apprentissage.
Les cultures du monde en partage
Le défi de ce que nous qualifions du mot barbare de l' »interculturel » représente la partie plus immergée de l’iceberg. Bien des réalités se cachent derrière ce terme : rencontre de cultures, de langues, découvertes culinaires, apprentissage des codes de communication, etc. Cette rencontre donne lieu, durant le cours de langue, à un certain émerveillement. Pour qui prend le temps de s’intéresser à l’histoire, à la politique, à l’art, etc., ce mois de langue donne l’occasion réciproque d’en apprendre beaucoup. Il n’est ainsi pas rare qu’au cours d’une conversation, un nouveau pan de culture, une nouvelle civilisation s’ouvrent devant nos yeux : nous découvrons les mille ethnies et langues de l’Inde, le système politique états-unien, la géographie de l’Afrique de l’Ouest, etc. D’autant plus riches sont ces découvertes que les profils des compagnons arrivant en France sont variés.
Ce n’est pas non plus sans fierté que nous cherchons à partager la culture française : visites de lieux emblématiques du patrimoine (château de Versailles, Musée d’Orsay…), plongée dans le cinéma français, dégustation de vins. À cela s’ajoute, comme jésuites, la découverte du Paris ignatien (Montmartre, quartier latin), découverte qui nous donne de mesurer l’importance historique de Paris pour la Compagnie de Jésus. Le cours de langue est lui-même l’occasion de rencontrer différentes cultures de la Compagnie. Pour autant, toute cette rencontre interculturelle ne se résume pas à un sympathique dialogue, ni à la seule découverte de nos folklores respectifs. Dans la réalité du quotidien, elle se vit aussi comme un choc.
Donner des mots pour s’exprimer
Choc il y a, de bien des manières : tel compagnon effrayé par les déambulations dans le métro, tel autre scandalisé par le prix exorbitant de chaussures nouvellement achetées, tel enfin agacé par un programme trop dense, désireux de davantage d’autonomie. Bien souvent, il faut du temps pour que ce choc soit conscientisé, advienne à la parole. Il arrive que le corps s’exprime le premier… et de voir des compagnons malades au bout de quelques jours. Ces chocs peuvent aussi résulter en incompréhensions, en frustrations. S’ils sont inévitables, un enjeu de ce mois de langue est d’aider à les accueillir et à les verbaliser. L’humour peut y aider, les partages également. Au fond, c’est sans doute l’objectif de ce cours de langue : donner des mots pour s’exprimer.
Note
[1] Après le noviciat et après avoir prononcé ses premiers vœux, le jésuite désireux d’être incorporé dans la Compagnie de Jésus est appelé scolastique jusqu’à ses derniers vœux.
Pierre de Vial sj,
directeur du cours de langue.
Nous faisons l’expérience de devenir plus pluriels et plus universels
Aux Facultés Loyola Paris, les étudiants arrivent des cinq continents ! Pour étudier la théologie, la philosophie ou les deux de manière intégrée, nous avons besoin d’un apprentissage préalable : la langue française. Et le cours de langue proposé au sein de la communauté de Blomet (Paris 15e) nous a aidés à le faire. Il a été une expérience d’immersion dans la langue et la culture, ainsi qu’un temps pour grandir en humilité et patience. Moi-même, je me suis senti comme un enfant qui apprend à parler, qui commence à dire ses premiers mots. Ça a été une expérience très proche de l’expérience d’Ignace de Loyola apprenant le latin avec les enfants. Je remercie donc chacun de mes compagnons pour leur humilité et leur courage dans ce chemin d’apprentissage.
Mais comment enseigner un temps verbal qui n’existe pas dans l’autre langue ? Comment apprendre à un hispanophone la manière d’utiliser l’article partitif qui ne fonctionne pas de la même façon en espagnol ? Je dirais ainsi que l’expérience d’apprentissage a été vécue aussi par mes compagnons francophones. Et je les en remercie.
J’ai été témoin de ce double apprentissage. Celui qui arrive est invité à comprendre de nouvelles manières de vivre, de parler, de faire des liens. Et celui qui accueille est invité à écouter, à être flexible, à être patient. Et là, dans ce délicat chemin, j’ai vu comment un langage commun se construisait, comment nous devenons plus pluriels et plus universels, plus compagnons de Jésus. Merci à tous de construire ensemble ce groupe d’amis dans le Seigneur.
Nino Villarroel Morante sj,
Province du Pérou, étudiant en théologie aux Facultés Loyola Paris
Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (automne 2024), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.