Dossier : les universités jésuites
La Compagnie de Jésus a toujours prêté une attention particulière à l’éducation en général et à l’enseignement supérieur en particulier. Au nombre de centre quatre-vingts, les universités et facultés d’enseignement supérieur jésuites sont présentes dans plus de cinquante pays, avec près de huit cent mille étudiants inscrits en 2022. Ces établissements favorisent l’appréciation en profondeur du monde ainsi qu’une fine compréhension de la personne humaine. Ils sont un lieu d’éducation à la démocratie. Nombreux sont les jésuites engagés dans l’enseignement supérieur. Le P. Marcel Rémon sj, professeur de mathématiques pendant plus de trente ans puis membre du conseil d’administration de l’université de Namur, partage dans ce dossier son regard sur cet apostolat.
Je suis habité d’une immense joie et d’une gratitude intérieure d’avoir pu collaborer quarante années (dont sept comme étudiant) avec tant de laïcs et quelques religieux à la formation de générations de jeunes adultes. Que ce soit comme chercheur, aumônier, enseignant, responsable de services, membre des instances dirigeantes ou simplement participant à la vie festive du campus, je me suis très souvent senti proche de la figure de « prêtres ouvriers ». « Être dans le monde » – ici universitaire –, un parmi d’autres, et œuvrer selon mes compétences.
Trois figures de présence jésuite me semblent converger pour esquisser le sens et l’importance de l’envoi d’un membre de la Compagnie de Jésus dans le milieu académique. Chacune met en avant une dimension particulière de notre spiritualité : la contemplation dans l’action, la transmission d’une colonne vertébrale, l’accompagnement dans le discernement.
La contemplation dans l’action
Le jésuite chercheur, par exemple, est très semblable à ses condisciples de laboratoire, traversé par les mêmes doutes ou les mêmes joies. La recherche exige une liberté d’esprit et une soif d’explication, qui rappelle le « pourquoi ? » répété des enfants. Mais aussi l’émerveillement de ces derniers. Le P. Teilhard de Chardin sj était-il prêtre ouvrier ou enfant du Royaume ? Y a-t-il une spécificité du jésuite en recherche ? Pas si simple. L’interdisciplinarité ? Qui n’en fait pas aujourd’hui ? La conscience des limites à poser ? Mêmes les grands patrons de l’intelligence artificielle s’en préoccupent. L’appartenance à une communauté de destin, une histoire du salut ? Tous les chercheurs se situent dans la longue histoire de la connaissance et de l’émancipation. Le « plus » que je reconnais avoir reçu de la Compagnie de Jésus et avoir transmis tant bien que mal, c’est la pratique ignatienne des Exercices spirituels. Cette chance de se former (en s’y exerçant annuellement) à la contemplation dans l’action. Une manière d’être au monde qui devient peu à peu notre identité profonde. S’émerveiller face à la beauté de la formule d’Euler, et communiquer cette joie aux étudiants. Quelle belle mission !
La transmission d’une colonne vertébrale
Le jésuite enseignant est le dépositaire de la pédagogie jésuite. Et c’est en partie vrai. La cura personalis (être attentif à la personne, à chacun), le magis (aider l’étudiant à donner le meilleur de lui), l’option préférentielle pour les plus fragiles et les périphéries, la pédagogie de l’exercice et de l’expérience engagée, etc., transpirent de la plupart des jésuites rencontrés en milieu éducatif. Mais c’est également le cas pour tant et tant de laïcs engagés à nos côtés. La différence est que nous en sommes redevables envers l’institution et ses membres. Être jésuite doit impliquer cette manière de procéder. Être jésuite enseignant, c’est faire vivre – dans le sens de mettre en œuvre mais aussi d’améliorer – ces caractéristiques en dialogue avec ses collègues et les étudiants. L’image qui me vient est celle de la gastronomie : être dépositaire d’une recette familiale n’est pas une fin en soi, par contre le plaisir d’un repas partagé, oui. Face aux défis actuels, les étudiants demandent moins des connaissances qu’une confiance en soi renforcée, une colonne vertébrale qui les fera tenir debout lorsque le sol tanguera. « Ce qui fait le marin n’est pas la mer, mais l’horizon qui appelle » dit un proverbe breton. Ce qui émancipe l’homme et la femme, ce n’est pas de savoir beaucoup mais de rêver largement. Même dans le brouillard.
L’accompagnement dans le discernement
La mission du jésuite aumônier est essentielle, elle qui est partagée par l’ensemble des membres de l’aumônerie. La raison en est simple : l’université brasse beaucoup de monde. La plupart (étudiants, jeunes salariés, parents,…) se trouvent devant des choix de vie les engageant profondément. L’aide au discernement, l’art de l’écoute bienveillante, l’audace de questions vraies, tout cela est un service qu’Ignace de Loyola a initié dès son arrivée à la Sorbonne de Paris.
Il existe bien d’autres formes d’engagement de jésuites que les trois évoquées ici existent : ceux qui travaillent dans l’administration, dans les instances de décision, etc. Pour autant, à chaque fois, c’est le même feu qui est partagé.
L’expérience de l’université, à Salamanque puis Paris, fut décisive dans la vie d’Ignace de Loyola. À nous de poursuivre notre mission dans un tel lieu de fondation pour beaucoup de jeunes à travers le monde, à un moment clé où s’élaborent leur vie en commun et leur manière de s’engager dans le monde.
P. Marcel Rémon sj,
directeur du Centre de recherche et d’action sociales (CERAS)
Le Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris
Au service de la Compagnie de Jésus, de l’Église et du monde
Le Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris est l’institut d’enseignement supérieur et de recherche de la Compagnie de Jésus en France. Enraciné dans la tradition ignatienne, il veut former des acteurs capables de discernement et d’engagement : jésuites, religieux et laïcs, de tous horizons. Il délivre des diplômes canoniques relevant du Saint-Siège et propose de nombreux parcours de formation. Son activité repose sur deux facultés : théologie et philosophie. Il publie deux revues au rayonnement international (Archives de Philosophie et Recherches de Science Religieuse). Au cœur de Paris, il abrite une bibliothèque de recherche et patrimoniale de premier plan. Dans la dynamique des grandes orientations de la Compagnie de Jésus, le Centre Sèvres adopte un parti-pris d’espérance sur les problématiques contemporaines. Laboratoire d’idées, il s’engage dans le débat au service de l’Église et la société.
2024 : année jubilaire
En 2024, le Centre Sèvres fête ses 50 ans ! Rendez-vous vendredi 26 janvier pour une édition spéciale des « Forums », avec le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, et le P. Brian Paulson sj, président de la conférence des provinciaux jésuites du Canada et des États-Unis. En septembre, le P. Arturo Sosa sj, supérieur général de la Compagnie de Jésus, donnera la conférence de rentrée académique. Enfin, un colloque exceptionnel se tiendra les 17 et 18 octobre.
Témoignages
« Conjuguer exigence et sens du commun » : témoignage de Perrin Lefebvre sj
Perrin Lefebvre est chercheur à l’Université de Namur et y a été enseignant en économie de 2021-2023. En tant que jésuite, il témoigne de son expérience auprès des étudiants et de l’équipe éducative. > Lire le témoignage
« Accompagner l’étudiant à partir de son désir de connaissance » : témoignage de Sylvie de Vulpillières
Sylvie de Vulpillières est docteure en théologie biblique, responsable du domaine d’enseignement Études bibliques au Centre Sèvres et maîtresse de conférences à la Faculté de théologie. Elle témoigne de la spécificité de l’enseignement délivré par le Centre Sèvres et de l’apport de la pédagogie ignatienne. > Lire le témoignage
Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2023), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.