Dossier sur les écoles jésuites : savons-nous encore annoncer Jésus Christ ?

En ce 1er trimestre de l’année de l’année scolaire, le dossier d’Échos jésuites s’intéresse au défi de la transmission de la foi dans les établissements scolaires jésuites en Belgique où le cours de religion, ou de morale, est obligatoire dans les écoles privées. Comment montrer le chemin vers Dieu aux nouvelles générations qui fréquentent nos écoles et éduquer à la foi au 21e siècle ? Comment annoncer Jésus, alors que le lien entre la proclamation de l’Évangile et les objectifs éducatifs des écoles jésuites ne coule plus de source pour nombre d’élèves et leurs familles ? Des réponses avec le P. Gilles Barbe sj, professeur de religion et membre de l’équipe pastorale du Centre scolaire Saint-Michel à Bruxelles.

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Le P. Yves Brasseur sj lors de la semaine jésuite au Centre scolaire Saint-Michel à Bruxelles, en mai 2024.

Comment désigner notre groupe ? « Pastorale » ou … « Anima » ? Les arguments fusent pour l’une ou pour l’autre des propositions. C’est le cas chaque fois que nous abordons le sujet, entre nous au sein du Centre scolaire Saint-Michel ou bien de la Coordination des collèges jésuites belges francophones, la Cocéjé. Pastorale ? Ça fait vieux. Ça ferait fuir ceux qui ne sont pas chrétiens. Anima ? Ça ne dit pas qui nous sommes. Autour de ces hésitations, au fond, n’y a-t-il pas notre capacité, ou notre gêne, à parler explicitement de celui que nous désirons annoncer, Jésus ? Pouvons-nous parler du Christ à des élèves et des professeurs que cela n’intéresse pas ? N’est-ce pas là restreindre leur liberté ? Et, par ailleurs, est-ce vraiment la mission d’un établissement jésuite de parler de Jésus ?

Un « PGCD »qui fait sens

Comme chaque fois lorsqu’un sujet nous divise, il s’agit de revenir à notre plus grand commun dénominateur (PGCD). Je veux parler du slogan de nos écoles : « Former des hommes et des femmes avec et pour les autres ». C’est le premier mot qu’entendent les élèves, de la bouche du directeur à leur arrivée au Centre scolaire Saint-Michel. Ils ne cesseront de le réentendre, jusqu’à leur dernière année, la « Rhéto » (classe de Terminale). C’est justement auprès d’eux que nous avons mené une enquête en cette fin d’année : « Quelles personnes ou expériences ont nourri votre espérance ? », leur avons-nous demandé. Est-ce étonnant ou non, les réponses reçues ont un rapport souvent direct avec le slogan : ils citent tel professeur qui se donne sans compter pour un projet, telle éducatrice dont la patience ou l’écoute est éprouvée au-delà du possible, un autre professeur qui partage sa passion au risque d’être parfois ridiculisé, ou encore la participation à un projet qui éveille le goût de se donner, lors de soutien scolaire ou de la visite d’enfants en situation de handicap.

Des passeurs de la foi

Avons-nous ici parlé de Jésus ? Non, pas encore. Même pas de pastorale. Parmi les personnes ayant marqué les élèves, on retrouve des croyants chrétiens, mais aussi d’autres religions ou non. Mais tous témoignent du désir et de la joie de « donner gratuitement ce qu’ils ont reçu gratuitement ». Jusqu’à présent, donc, pas d’annonce explicite du Christ, mais de multiples passeurs qui ont mis au centre de leur vie le désir de donner. Dans ce sens, tout acte éducatif, qui est un partage généreux, contribue à un terrain de sens qui appelle à quelque chose de « plus grand ». C’est dans ce contexte que la pastorale s’insère, sans avoir le « monopole du don », mais en essayant d’y concourir humblement. Tout cela n’est-il pas suffisant ? L’annonce de Jésus doit-elle s’ajouter, au risque de brouiller le message ?

Rendre l’espérance concrète

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Le P. Gilles Barbe sj, lors de la rentrée 2024 du Centre scolaire Saint-Michel.

Dans un contexte de plus en plus athée, la mission de la pastorale pourrait bien être de rendre visible (et donc accessible) la source de notre espérance. Cette espérance, nous le savons, c’est Jésus, à l’origine de notre engagement dans le champ éducatif. Il a traversé nos peurs, une fois pour toutes à sa résurrection, et il nous rappelle que dans ce combat « nous sommes déjà les grands vainqueurs ». Comment alors rendre visible, accessible, ce message dans nos institutions, non pas sous la forme d’une restauration, mais d’une façon de le rendre simplement disponible, pour qui voudrait s’y ressourcer ?

Après six ans de pastorale à Saint-Michel, je rêve encore d’un lieu où les jeunes qui le voudraient pourraient se retrouver, pour partager leur foi et faire un bout de chemin avec Jésus. Je n’ai à ce jour pas réussi à constituer un tel groupe, mais seulement l’une ou l’autre proposition qui parfois a pu me sembler bien modeste. Le sentiment généralisé qu’il n’est pas « fun » d’être chrétien n’aide pas. Ce sentiment est exacerbé à l’adolescence, lorsque l’effet de groupe neutralise quiconque voudrait s’afficher à contre-courant. Grande joie pourtant, lorsque, récemment, une ancienne élève me dit son désir d’être baptisée. Et lorsqu’un autre me rapporte combien une de ces propositions que j’avais jugée « modeste » l’avait transformé et ouvert à Dieu, une fois engagé dans la vie étudiante. Et je ne parle pas des multiples expériences et rencontres, chrétiennes ou non, qui ont marqué ces jeunes et qui, restées secrètes, brillent en eux comme une lumière. Celui qui sème n’est pas celui qui récolte, est-il dit. Mais si nous ne semons jamais, si nous ne donnons jamais aux jeunes le moyen de découvrir la source de notre espérance, comment trouveront-ils cette source ?

Jouer collectif

Pour compenser l’effet de groupe, qui décourage les plus convaincus et les plus en attente de choses belles, il est possible de travailler les événements collectifs au sein de l’établissement. Ces dernières années, les rassemblements en niveau entier avaient disparu. Or ils sont le lieu, justement, où peut se rendre visible ce qui anime notre ambition pédagogique. Ainsi, une des grandes joies de ces dernières années fut de chanter, toutes classes réunies à la fin d’une semaine jésuite [1], le chant « En todo amar y servir« . Oui, il est bon de se dire collectivement, et de proclamer ensemble, que « servir » peut être un projet d’espérance pour nos vies. Proclamer en groupe un message engageant permet de nourrir les aspirations individuelles et d’installer entre nous de nouveaux objectifs, plus ambitieux. C’est cela, me semble-t-il, rendre compte de l’espérance que le Seigneur nous donne. La Coordination des collèges et écoles jésuites (Cocéjé) ne s’y est pas trompée, en travaillant, les années précédentes, les ingrédients pour une célébration chrétienne pour tous : des célébrations inclusives, mais où la source, l’Évangile le plus souvent, est citée et souvent commentée. Ainsi, les valeurs qui nous rassemblent de tous horizons, sont bien proclamées. Mais pas au détriment de la source, toujours signifiée, pour celle ou celui qui voudrait y puiser.

P. Gilles Barbe sj

Note

[1] Elle permet de faire mieux connaître les jésuites, leur vie et leurs missions.

Et en France ?

Comment fait-on l’expérience du Christ dans les établissements jésuites ? Demandez d’abord à ceux qui l’ont faite ! Mais on peut aussi demander à ceux qui essaient de la favoriser, de l’accompagner, de la reconnaître :

  • par des propositions pastorales explicites : préparation aux sacrements ; liturgies proposées, parfois imposées ; catéchèse ; sorties dans des lieux marquants ; témoignages exposant des parcours de foi ; exercices d’intériorité ouvrant à la prière personnelle…
  • et par une pratique quotidienne plus diffuse (esprit d’accueil et de bienveillance, qualité d’accompagnement, actions de solidarité, formation au discernement…). Les élèves savent ou pressentent qu’intériorité, confiance, service, compassion, réconciliation, liberté, engagement… sont des  » valeurs fortes » véhiculées dans nos établissements ; et que tout cela a un lien avec l’enseignement de Jésus, voire avec sa vie et sa personne… D’ailleurs, les parcours de culture religieuse (ou de formation humaine) aident à faire ce rapprochement.

Si l’établissement favorise et provoque des expériences, il accompagne des jeunes qui vivent énormément d’autres moments importants en dehors de son cadre institutionnel. Sa mission est donc d’aider les jeunes à relire toute leur vie, pour y lire les signes de la présence de Dieu : en les familiarisant avec la pratique de la relecture, les outiller intérieurement pour reconnaître et décrire les expériences importantes, et peut-être un jour nommer parmi elles la rencontre du Christ Jésus…

Pascal Gauderon sj,
membre de l’équipe AILE (association Ignace de Loyola éducation)

Témoignages

Aux frontières de l’Église, annoncer le Christ
Le P. Marc Dehaudt sj est prêtre accompagnateur de quatre établissements scolaires jésuites de la Loire. Il témoignage de sa mission auprès des jeunes pour leur trouver des propositions afin de les aider à se trouver librement et soutient aussi les différentes équipes pastorales.
> Lire le témoignage

Au collège Saint-Mauront, annoncer le Christ à la manière du Christ
Le P. Jean-Baptiste Roy sj est le référent au collège Saint-Mauront à Marseille. Il témoigne de sa mission de prêtre qui partage sa foi auprès de ceux qu’il accompagne au quotidien dans un contexte interreligieux, la très grande majorité des élèves de cet établissement scolaire étant musulmans.
> Lire le témoignage


Cet article est paru dans la revue Échos jésuites (automne 2024), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement numérique et papier est gratuit. Pour vous abonner, cliquez sur ce lien.

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