Entretien avec le P. Adolfo Nicolàs sj, ancien Supérieur général de la Compagnie de Jésus

Le P. Nicolàs sj se prépare a prendre sa « retraite ». Retour sur ce moment avec ‘interview d’Antonio Spadaro sj, directeur de la Civiltà Cattolica.

Dans une lettre datée du 20 mai 2014, le Père Adolfo Nicolàs sj, préposé actuel de l’Ordre, informait en effet la Compagnie de sa probable démission et l’invitait à « entrer dans un processus de discernement spirituel profond et authentique en ce qui concerne notre vie et notre mission ». Il ajoutait : « Le pape François appelle l’Église entière à un profond renouvellement : regardant les grandes nécessités et les espérances de l’Église et du monde, nous pouvons répondre à son invitation. »

Antonio Spadaro : Père Nicolàs, quel est votre état d’esprit au moment de terminer votre service de supérieur général ?

Le même qui m’habite généralement à la fin d’une mission : j’ai fini d’être utile et je peux commencer paisiblement à envisager ce que je pourrais entreprendre.

Quels ont été, au cours de vos années comme préposé général, les moments les plus significatifs pour la Compagnie ?

Les synodes, la démission de Benoît XVI, l’élection du pape François. Les moments importants pour la Compagnie sont toujours ceux de l’Église.

Votre expérience de supérieur général vous a permis de prendre la température de la vie religieuse ? A-t-elle changé depuis votre élection ? Est-ce que vous percevez de la fatigue ? de la tiédeur ? ou au contraire des signes d’espérance ?

Je n’ai pas vu de changement. La vie religieuse va bien, et elle porte en elle un grand désir de servir l’Église et de répondre avec générosité aux défis de notre temps. Une nouvelle espérance a émergé avec le pape François ; il nous comprend bien, nous les religieux, et il connaît la place et la mission de la vie religieuse.

Le pape François a défini les religieux comme des pécheurs et des prophètes. Comment comprenez-vous ces mots ? Est-il important pour un religieux de se sentir pécheur ? Et qu’est-ce que signifie être prophète aujourd’hui ?

Pour un religieux, c’est important de se sentir pécheur. Nous ne sommes ni meilleurs ni pires que les autres chrétiens et donc nous ne pouvons pas juger les autres. Á chaque fois que par le passé nous nous sommes crus meilleurs, nous avons découvert ensuite des péchés cachés – que nous avons nous-mêmes cachés parfois – qui nous ont humiliés. Je pense avec le pape qu’une Église qui juge les autres montre peu de sagesse et se met à la place de Dieu, l’Unique qui peut voir les cœurs.

Sur la prophétie, je me risque humblement à une distinction. Il y a, d’une part, un service prophétique à l’intérieur de l’Église qui rejoint ceux qui ont la foi : c’est à cela que se réfère le pape quand il parle de « mettre le bazar », de créer une certaine confusion et de donner à penser. D’autre part, il y a le service en direction de ceux qui n’ont pas la foi. Pour eux, la prophétie a peu de sens. Au contraire, ce qui réussit à les toucher, c’est les témoignages d’une sagesse plurielle, humaniste, évangélique, capable de faire réfléchir et de faire surgir des questions : est-ce vrai ? est-ce plus humain, plus authentique ? Telle est la fonction des religieux dans de nombreuses situations aux marges de l’Eglise ou même au-delà de « nos frontières ».

Quel est le langage prophétique pour aujourd’hui ?

Je suis toujours touché par le lien qu’Israël établit entre le prophétisme et sa fin. Dans le livre de Daniel, on reproche la disparition du prophétisme en Israël. La seule raison plausible avancée est que le peuple en exil a perdu la foi. Seul un petit reste de foi est maintenu. Or le prophétisme ne peut exister qu’au cœur d’une communauté de foi. De nombreux religieux vivent maintenant dans des lieux où on ne professe pas la foi. Quel est le langage adapté à ces situations ?

Il est intéressant de remarquer que lorsque le prophétisme disparaît, la sagesse apparaît comme le nouveau langage de Dieu. C’est peut-être là le vocabulaire le plus adapté à une Europe qui a perdu la foi. Peut-être avons-nous besoin de nous inspirer de la sagesse des sages et des peuples pour parler d’une manière que le monde puisse comprendre.

Cette sagesse aide-t-elle à rester aux périphéries ?

Oui, nous devons apprendre une nouvelle manière de regarder le monde pour parler aux gens. Aller aux frontières et observer comment vivent ceux qui sont au-delà de nos limites peut être très exigeant, mais c’est aussi très intéressant et attirant, parce qu’il y a du bon dans chaque personne, culture et religion. C’est pour cela qu’il faut, pour aller aux frontières, des hommes ayant une foi profonde, enracinée, cultivée, des hommes capables de parler avec sagesse et de se faire écouter.

Vous avez beaucoup voyagé, vous avez une ample vision du monde. Quels sont, selon vous, les défis les plus grands pour le monde d’aujourd’hui ?

Se demandant pourquoi aussi peu de Japonais se faisaient chrétiens, un évêque japonais avait l’habitude de dire : « Jésus a dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie. » La majorité des religions asiatiques sont des religions ou des spiritualités du chemin : shintoïsme,  confucianisme, bouddhisme, kendo, aïkido… Mais la plupart des missionnaires occidentaux sont venu prêcher et parler de la vérité. Substantiellement, il n’y a pas eu de vraie rencontre avec le Japon. » Plus je voyage à travers le monde, plus je pense que cet évêque avait raison : l’Asie est le chemin. L’Europe et les États-Unis se préoccupent de la vérité, l’Afrique et l’Amérique latine sont la vie et maintiennent vivantes les valeurs que les autres ont oubliées (l’amitié, la famille, les enfants).

Pour nous, jésuites, il est significatif que saint Ignace – si je le comprends bien – se soit plus intéressé au chemin qu’à tout autre chose. Il s’est intéressé à la manière de croître et d’être transformé en Christ. Pour nous, chrétiens, le défi est de réaliser que nous avons besoin de toutes les sensibilités, de tous les continents, pour rejoindre la plénitude du Christ, qui est aussi la plénitude de notre humanité. Cette vision est présente en arrière-fond de tous les appels du pape François en faveur des migrants et des refugiés.

Selon vous, la Compagnie a-t-elle adopté les défis de notre temps ? Comment évaluez-vous la façon dont elle accomplit actuellement sa mission apostolique ?

Je pense que nous, jésuites, qui comme chacun sait ne sommes pas exempts de défauts, traversons une période apostolique heureuse dans la mesure où nous nous soucions de questions importantes telles que la pauvreté, l’exclusion, une bonne éducation pour tous…

Vous aimez le Japon. Qu’est-ce que la mission dans cette grande culture peut nous enseigner ?

La sensibilité musicale. Les Japonais sont parmi les peuples au monde qui ont le plus grand sens musical. La religion y est beaucoup plus liée au sens musical qu’à un système rationnel d’enseignements et d’explications. Les Japonais – grâce aux racines du bouddhisme – vivent avec une profonde sensibilité, une ouverture à la transcendance, à la gratuité, à la beauté qui sous-tendent les expériences humaines. Mais ce sentiment est menacé par une mentalité purement économique ou matérialiste, qui empêche d’atteindre les dimensions plus profondes de la réalité. La mission aujourd’hui au Japon et en Asie peut nous aider à découvrir ou redécouvrir la sensibilité religieuse comme un sens musical, comme conscience et appréciation des dimensions de la réalité qui sont plus profondes que la raison instrumentale ou les conceptions matérialistes de la vie.

Cela concerne donc aussi l’éducation : en éduquant au sens musical, on éduquerait au sens religieux. Les institutions éducatives de la Compagnie ont-elles ici un rôle à jouer ?

Ce serait une tragédie si nos institutions éducatives se limitaient à la rationalité et à l’auto-compréhension de l’être humain caractéristiques de notre monde séculier et matérialiste ! La Compagnie ne s’occupe pas d’éducation pour faire du prosélytisme mais pour transformer les personnes. Nous voulons former un nouveau type d’humanité, qui soit, pour ainsi dire, profondément musical, qui maintienne la sensibilité à la beauté, à la bonté, à la compassion, au-delà des intérêts de l’économie ou de la production matérielle. Le Christ propose une vision de l’humanité complète, qui porte la personne au-delà d’elle-même, au nom du soin et de la préoccupation pour les autres. Il ne se contente pas d’informer, mais il propose une sagesse profonde.

Vous êtes Européen mais vous avez passé votre vie en Asie et vous y retournerez à la fin de votre charge. Que représente l’Asie pour l’Église et pour le monde aujourd’hui ?

Une source d’espérance. L’Asie est différente et possède les sources de sagesse les plus anciennes de l’humanité. Si Dieu a été présent, à l’œuvre, au travail comme dit saint Ignace, en quelque partie du monde, il l’a certainement été avec une efficacité particulière en Asie. Nous en avons vu les fruits lors du tremblement de terre associé au tsunami et à la menace nucléaire au nord de Tokyo. Le monde n’a jamais vu une telle maîtrise de soi, une telle discipline, une telle solidarité et un tel détachement ! Cela n’a pas été le fruit d’un effort orchestré politiquement, mais bien la réaction spontanée d’un peuple éduqué, génération après génération, dans ces valeurs. L’Asie a manifesté ce jour-là quelque chose de significatif pour le monde, et je n’ai pas de difficulté à y discerner un message prophétique.

Qu’en est-il de l’Église en Europe ? Quels sont les principaux défis et tensions qui attendent ce continent ? Quels risques doivent être évités ?

Je ne suis pas un expert des questions européennes, il m’est donc difficile de répondre à ces questions. Ceux qui en savent plus que moi parlent de sécularisation, de crise de sens et d’espérance, de manque de joie, en plus de problèmes qui ne sont malheureusement pas spécifiques au continent, comme la pauvreté, le chômage ou la violence. Reste que l’Europe occupe une toute petite place dans le monde, bien qu’elle soit encore importante.

Le problème migratoire est toujours plus marqué. Quelle serait la juste manière de l’aborder ?

Celle du pape. Face à une situation de souffrance et d’exclusion, nous sommes tous capables de solidarité et de compassion. Il s’agit de faire nôtre cette situation et de chercher ensemble une solution d’avenir qui puisse vraiment aider chacun. Jusqu’à ce que nous trouvions une solution définitive juste, nous devrons nous contenter de partager nos recherches.

En tant que jésuite, nous devons aussi toujours rappeler que la communication entre civilisations se fait justement à travers les réfugiés et les migrants. Le monde que nous connaissons s’est formé ainsi. Cela n’a pas été une simple addition de cultures, mais un véritable  échange. Même les religions se sont diffusées de cette manière. Les migrants nous ont ouverts au monde. Sans eux, nous serions restés enfermés dans notre propre culture, vivant avec nos préjugés et nos limites. Chaque pays court le risque de s’enfermer dans des horizons limités, étroits, alors que, grâce aux migrants, il peut s’ouvrir à de nouvelles dynamiques.

Cela implique-t-il de voir le monde autrement ?

Le moment est arrivé où l’humanité doit se penser comme une unité et non plus comme un ensemble de pays séparés par des traditions, des cultures et des préjugés. L’humanité doit se penser comme ayant besoin de Dieu, et cette profondeur ne pourra venir que de l’union entre tous.

Avec l’encyclique Laudato Si’, l’écologie est intégrée à la doctrine sociale de l’Église. Quelle est votre réaction personnelle face à ce texte ?

Je crois que l’intervention du pape a été opportune et que ce thème ne pouvait plus attendre. C’était devenu une urgence. Nous avons tous besoin d’une nouvelle conscience pour accueillir positivement les initiatives qui surgissent partout pour protéger la création. Le lien que le pape établit entre la nature et la situation difficile des pauvres me touche particulièrement, car ils sont les premiers à souffrir des conséquences de notre négligence.

Le premier pape jésuite de l’histoire a été élu en la personne de François. Qu’avez-vous ressenti au moment de cette annonce ? Et comment aborder l’élection d’un nouveau supérieur de la Compagnie (si votre démission est acceptée) alors que nous avons un pape jésuite ?

Nous autres jésuites pensions qu’il serait impossible à l’un d’entre nous d’être élu pape deux cent ans seulement après la suppression de la Compagnie et vingt-cinq ans après l’intervention pontificale sur notre gouvernement ! Mais l’improbable s’est produit. L’élection d’un général sous le pontificat de François, lui-même jésuite et connaissant de nombreux jésuites, prend ainsi effectivement une signification spéciale. Je dois dire que depuis le début il s’est montré très respectueux des Constitutions de la Compagnie et très lié à sa manière de faire.

Pour le pape François, un « jésuite doit être une personne à la pensée incomplète, à la pensée ouverte » (voir l’interview du pape aux revues culturelles jésuites de 2013). Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Cela signifie quelque chose de très important et de très profond. En toile de fond, il y a cette conscience, parfois oubliée, que Dieu est un mystère, ou plutôt « le mystère des mystères ». Il est évident que si nous y croyons, nous ne pouvons pas nous considérer en possession d’une parole définitive sur Dieu et sur les mystères dans lesquels nous nous débattons (la personne humaine, l’histoire, la femme, la liberté, le mal, etc.). Notre pensée sera toujours incomplète, ouverte à de nouveaux éléments, de nouvelles compréhensions, de nouvelles opinions sur la vérité, etc. Nous avons tant à apprendre du silence qui vient de l’humilité, de la simple discrétion !

Le jésuite, comme je l’ai dit une fois en Afrique, doit avoir trois odeurs : celle des brebis, c’est-à-dire du vécu de son peuple, celle de sa communauté  et des livres, c’est-à-dire de la réflexion profonde, et celle du futur, c’est-à-dire d’une ouverture radicale à la surprise de Dieu. Voilà ce qui peut, je le crois, faire du jésuite un homme à la pensée ouverte.

Quelle est la place de l’eucharistie et des sacrements dans la vie d’un jésuite ?

À propos de l’eucharistie, nous avons tant insisté sur la présence réelle que nous en avons oublié de nombreux autres aspects qui touchent notre vie quotidienne. L’eucharistie est un échange de dons : nous recevons le pain comme notre nourriture quotidienne et, prenant une part de ce pain, nous l’offrons à Dieu. Le Seigneur transforme ce pain et nous le rend. L’eucharistie est un échange de dons qui ne s’interrompt jamais et qui peut changer nos vies. Elle nous aide à être généreux et ouverts. Saint Ignace a vécu cette réalité et il a pris les décisions les plus importantes lors de la célébration de l’eucharistie.

Je suis touché par la manière de célébrer du pape François : avec des pauses, de la dignité, un rythme qui invite à la méditation et à l’intériorisation. C’est ainsi que les jésuites célèbrent.

Dans son homélie à l’église du Gesù (Rome) le 3 janvier 2014, le pape a dit : « C’est seulement en étant centré sur Dieu qu’il est possible d’aller aux périphéries. » Quelles sont ces périphéries ?

J’ai toujours été convaincu que les défis de la Compagnie sont ceux-là mêmes de l’humanité, et donc la pauvreté, le chômage, le manque de sens, la violence et l’absence de joie. La question est de savoir comment affronter ces défis. Et c’est là qu’intervient ce qui compte le plus : la préférence pour l’autre et le détachement qui permet d’aller là où manque la sécurité à laquelle nous sommes habitués.

Vous avez vécu directement les deux synodes sur la famille. Avez-vous noté des différences par rapport aux précédents synodes auxquels vous avez participé ?

Les synodes ont beaucoup changé. Avant de participer aux synodes sur la famille, j’avais participé à celui sur la nouvelle évangélisation. Ce synode s’était déroulé normalement et nous étions arrivés aux recommandations, sans tension ni grande illumination. Ses limites découlaient du fait que nous voulions parler de nouvelle évangélisation sans évaluer les succès et les erreurs de la vieille évangélisation.

Par contraste, lors du synode sur la famille, le thème touchait tout le monde dès le départ et chacun était appelé à proposer ses meilleures réflexions. Le pape lui-même a dit qu’il ne voulait pas se retrouver à marcher seul devant lors du synode, mais avec les évêques. François aurait pu procéder seul, plus rapidement, et prendre des décisions qui auraient été bien accueillies par l’Église. Mais il n’a pas voulu le faire, pour valoriser les contributions de chacun. Il est donc bien dommage qu’il n’ait pas reçu le même respect de la part de certains de ceux qui occupent des postes de commandements dans l’Église pour guider les fidèles par la parole et par l’exemple.

Avec Amoris laetitia, la nécessité d’un discernement pastoral est apparue clairement. Le discernement est un des piliers de la spiritualité ignacienne. Pouvez-vous l’expliquer ?

Tout d’abord, j’aimerais dire que cela a été un grand privilège de participer à un synode des évêques sans être moi-même évêque. Cependant, je ne peux ignorer que des éléments manquent à la formation des prêtres. Premièrement, une lecture plus exigeante du Nouveau Testament. Pour que l’enseignement du pape soit une réalité vivante, il faut changer la formation du clergé en une « formation au discernement ». Saint Ignace est allé vraiment en profondeur dans son propre discernement afin de mieux aider les personnes.

Le pape François est relié à la fameuse phrase tirée d’un éloge funèbre de saint Ignace  : « Ne pas être enserré par le plus grand, être cependant contenu tout entier dans le plus petit, voilà qui est chose divine. ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Il y a diverses théories. Je la lis comme un éloge de la liberté intérieure. Ne comptent ni l’œuvre que nous accomplissons ni sa grandeur ni même sa répercussion sociale ; ce qui importe, c’est la volonté de Dieu, rien d’autre. Et l’homme est capable de s’y associer, de se réjouir de la reconnaître et de l’accomplir, même si personne ne peut prétendre connaître avec certitude la volonté de Dieu. Nous sommes tous en recherche et toujours obligés de discerner où est cette volonté.

Qu’attendez-vous personnellement de la Congrégation générale ? Quels sont vos désirs ?

Tout d’abord, que soit élu un bon supérieur général, ce qui n’est pas si difficile vu que la Compagnie a survécu à ma présence ! Je pense que la Congrégation discernera sur la manière d’améliorer notre vie religieuse et notre service auprès de l’Église et de l’Évangile, pour mieux « servir les âmes », comme le voulait saint Ignace. Ainsi, j’espère que le fruit de la Congrégation sera une meilleure vie religieuse, dans l’esprit de l’Évangile et une imagination renouvelée. Les temps ont changé depuis la Congrégation précédente. Nous avons besoin d’audace, de fantaisie, de courage pour affronter notre mission qui fait partie de la plus grande mission de Dieu dans notre monde. J’espère aussi que le pape s’adressera à la Congrégation en lui exposant son sentiment et ses préoccupations.

Comme votre prédécesseur le Père Kolvenbach, vous laissez votre charge. Benoît XVI, de son côté, a renoncé au ministère pétrinien. Faut-il en déduire que la règle de l’Ordre du généralat « à vie » doit changer ?

Je le pensais, mais le pape François m’a fait remarquer qu’il y a désormais suffisamment de souplesse dans les règles de la Compagnie pour qu’un préposé général puisse quitter sa charge, comme l’ont fait les trois derniers supérieurs généraux. Le pape a aussi suggéré que les quatre assistants choisis pour cela puissent assumer un rôle plus actif pour suggérer au général que l’heure de la démission est arrivée. Avec les progrès de la médecine et l’allongement de la vie, il n’est plus envisageable qu’un groupe désireux de servir, et qui a besoin pour ce faire de se mouvoir avec agilité, soit obligé de supporter les trois ou cinq dernières années de faiblesse de son supérieur général.


Il est temps de nous quitter. Je remarque cependant que la question sur le prophétisme et la sagesse continue à retenir l’attention du Père Nicolàs. Il m’explique que ce thème le travaille intérieurement. Dans un monde qui semble avoir congédié la foi, mais où Dieu est encore à l’œuvre, comment parler de lui ? Le langage de la mission est bien celui de la sagesse, elle-même le fruit d’une pensée ouverte, qui se sait incomplète, et d’une foi qui sait reconnaître le Seigneur là où il se manifeste et non là où nos habitudes le cherchent. Je note là une profonde harmonie entre le pape et le supérieur général des jésuites. Le passage de témoin entre Pères généraux se fera peut-être sur ce point.

 

Antonio Spadaro, s.j.

(traduit de l’italien par Vincent de Beaucoudrey, s.j.)

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