« François, la fraternité sans frontières ? » – numéro sur la question des migrants
Face aux tragédies migratoires et aux tentations de repli identitaire, le pape François défend une conception résolue de la fraternité. Celle-ci divise jusque dans les rangs des catholiques. Cette controverse traverse l’Église mais porte bien au-delà, touchant aux fondements mêmes de nos sociétés démocratiques. Au regard de la tradition de l’Église, que valent les arguments des détracteurs de François ? La Revue Projet se penche sur la question.
Présentation du dossier
Chaque dossier de la Revue Projet se veut un espace de discernement autour des grands enjeux de notre époque. La présente édition s’empare de la question migratoire dans une perspective inédite. Dans ce dossier de plus de cinquante pages sont passés au crible les arguments de trois philosophes catholiques, Rémi Brague, Chantal Delsol et Pierre Manent, opposants parmi les plus influents à la conception de la fraternité développée par le pape François dans l’encyclique Fratelli tutti. Un numéro réalisé en partenariat avec le Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris, JRS France, le CCFD-Terre solidaire, le Secours Catholique-Caritas France et la Fédération de l’entraide protestante.
Pourquoi ce choix ?
Ces trois philosophes se mobilisent dans le paysage médiatique français : Figaro Vox, France catholique, France culture, Front populaire… Leur argumentaire heurte différents piliers qui fondent l’Église : la relation à la Bible (la parabole évangélique du bon Samaritain serait reçue comme une option morale strictement individuelle) ; l’autorité du magistère (le pape outrepasserait ses prérogatives en empiétant sur le terrain politique) ; la fraternité dans sa dimension universelle (laquelle serait une menace pour l’identité nationale). Ces questions méritent examen : le message de l’Évangile peut-il être interprété au gré de chacun, jusqu’à légitimer des positions radicalement contradictoires ? L’Église ne court-elle pas le risque d’être instrumentalisée ?
Pourquoi maintenant ?
Notre époque est marquée par le retour en force des nationalismes. Les politiques migratoires se durcissent sans autre résultat que des situations de détresse et de précarité toujours plus alarmantes. La France n’y échappe pas, la campagne présidentielle ayant déjà commencé dans un climat de xénophobie décomplexée. Quelle place reste-t-il dans le débat public à la question du prochain ? Celle-ci est au cœur de la parabole du bon Samaritain : « Cette parabole bouscule nos perceptions ordinaires, bien souvent limitées aux frontières de ce que nous connaissons ou aimons, et dévoile ce qui nous empêche de voir », souligne le P. Alain Thomasset sj, doyen de la faculté de théologie du Centre Sèvres.« Pour éclairer les liens entre souverainisme et catholicisme, il est utile de se référer à la pensée de Carl Schmitt, dont l’influence auprès d’intellectuels de droite comme de gauche ne cesse de croître », analyse Véronique Albanel, présidente de JRS France.
Pourquoi à plusieurs ?
Dans une première partie du dossier, la parole est donnée à un théologien, un exégète, un historien et trois philosophes. La seconde partie, fidèle à la ligne éditoriale de la revue, apporte un éclairage à partir de l’expérience d’acteurs de terrain. « La pensée sociale de l’Église ne se limitant pas à un corpus de textes et de valeurs surplombantes, il importe de prendre au sérieux les expérimentations démocratiques portées par “le bas” », précise Benoît Guillou, rédacteur en chef de la Revue Projet. Le défi concerne autant les individus que les institutions et nombre d’entre elles témoignent dans ce dossier de l’engagement de l’Église au cœur de la Cité. Car c’est bien là, à l’épreuve de l’altérité, que s’accomplit non seulement le message évangélique, mais la promesse d’un pacte démocratique à refonder en permanence, comme le propose le philosophe Olivier Abel, professeur à la faculté de théologie protestante de Montpellier. Un œcuménisme de l’action, à l’approche de la journée internationale des migrants le 18 décembre prochain.
Lire l’introduction au dossier
« Lors d’un récent voyage, le pape François appelait les Hongrois à rester à la fois « ancrés et ouverts, enracinés et respectueux ». Son message s’inscrit clairement dans la continuité de sa dernière encyclique Fratelli tutti, où il défend une conception de la fraternité en prise avec les défis mondiaux, notamment les migrations. Une réflexion politiquement foisonnante et ambitieuse qui s’inspire, dans une large mesure, de la parabole évangélique du bon Samaritain. »
> Lire la suite de l’introduction au dossier écrite par Benoît Guillou, Rédacteur en chef de la Revue Projet.
Ecouter le replay du Mardi d’éthique publique « Rejet de l’étranger et valeurs chrétiennes »
Le 7 décembre au Centre Sèvres, un Mardi d’éthique publique a été organisé sur le thème « Rejet de l’étranger et valeurs chrétiennes ». Un débat animé par Jean-Luc Pouthier, le P. François Euvé sj et Stéphanie Gallet, rédactrice en chef Culture et Société RCF.
Avec : Véronique Devise, présidente du Secours catholique – Caritas France ; P. Alain Thomasset sj, théologien ; Véronique Albanel philosophe et présidente du JRS France.
Retour sur la conférence de presse de présentation du dossier
Le 29 novembre dernier, une conférence de presse était organisée au Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris, pour présenter ce dossier de la Revue Projet. Voici quelques extraits des échanges.
Benoît Guillou, rédacteur en chef de la Revue Projet
« À l’approche de l’élection présidentielle, la question de la fraternité nous semble absolument essentielle. On touche à un point faible de nos sociétés : ne rester qu’avec ceux qu’on a choisis. Or, comme le souligne Olivier Abel dans ce dossier, nous avons besoin du “correctif de la fraternité, tant biblique que républicaine, dont la force est d’énoncer la solidarité avec ceux qui sont là et que nous n’avons pas choisis”. »
« Il ne s’agit pas d’un dossier à charge, ni d’un dossier pour défendre le pape ou les jésuites… En revanche, cette controverse nous permet d’aborder des questions de fond. »
P. Étienne Grieu sj, recteur du Centre Sèvres
« Du côté du pape, il y a vraiment la conscience que, plus on est enraciné dans l’amour de son pays, plus on est disposé à accueillir l’autre. C’est faire un mauvais procès au pape que de lui reprocher une fraternité éthérée, loin des identités de chacun. »
« Qu’est ce qui unit une communauté ? L’Église se retrouve autour de la figure du crucifié, du plus faible. Cela cultive une sensibilité en nous. Nous faisons l’expérience d’une communion possible en nous réunissant autour du plus fragile. Si l’Église ne porte pas cet esprit-là, elle perd son âme. »
Véronique Albanel, présidente de JRS France
« La question n’est pas tant celle des frontières (qui sont là, qui sont nécessaires), que celle des murs, qui symbolisent l’ennemi. Les murs fleurissent, avec du béton, des drones… Jusqu’où irons-nous ? Le mur montre la fin de la relation, l’ultime fermeture : le migrant ne vient plus. Le mur va démanteler à terme toutes les conventions internationales qui ont permis d’ériger des pratiques moins barbares. C’est ce à quoi on assiste. »
Jean-François Dubost, directeur du plaidoyer au CCFD–Terre solidaire
« Les détracteurs du pape François s’opposent à ce que la doctrine sociale de l’Église sur les migrations s’applique aux États, au nom d’un certain réalisme (géopolitique, culturel, économique…). Mais l’action de celles et ceux qui sont aux côtés des personnes migrantes est, elle dans le réel. Le CCFD-Terre Solidaire se situe clairement dans ce réel, celui de la souffrance des personnes, de l’atteinte à leurs droits mais aussi celui de l’espérance d’un autre possible. »
> Lire et télécharger le verbatim de la conférence de presse
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