L’histoire des établissements scolaires jésuites
L’importance du Ratio Studiorum
Jusqu’à un passé récent – les années 1960 – l’identité des collèges jésuites relevait d’une évidence : un collège jésuite était un collège dirigé par un jésuite et animé par une équipe de jésuites. Même si un collège jésuite bénéficie depuis très longtemps de la présence d’enseignants laïcs, les jésuites y assuraient les tâches d’encadrement du corps professoral et des élèves par les fonctions traditionnelles de recteur, préfets, pères spirituels et régents.
Ce système traditionnel trouvait son fondement dans les Constitutions de la Compagnie de Jésus, rédigées par saint Ignace lui-même. La pédagogie des collèges s’était ensuite progressivement fixée, tout au long du XVIème siècle, selon des normes rassemblées dans le Ratio Studiorum de 1599. Toujours disponible à la vente, le « Ratio studiorum » a été réédité en 1997.
Qui était Falloux ?
Après la restauration de la Compagnie au début du XIXème siècle, les jésuites tenteront de remettre en oeuvre le Ratio. Mais la Compagnie de Jésus devait alors inscrire son action éducative dans un cadre scolaire régi par l’Etat, et il faudra attendre la loi Falloux (1850) pour que soit consentie une autorisation d’enseignement secondaire libre.
Au XXème siècle, au cours des années 60, les collèges jésuites ont opéré une véritable mutation du fait de trois facteurs principaux :
- D’abord en 1960, le gouvernement français acceptait de financer les établissements catholiques d’enseignement à condition qu’ils passent contrat avec l’État. Ces contrats desserraient l’étau financier qui pesait sur ces établissements et en compromettait la pérennité, mais les soumettait à un regard extérieur et à des exigences pédagogiques et administratives nouvelles.
- A la même période, le Concile Vatican II accomplissait une profonde mutation ecclésiale. Sortant d’une conception excessivement cléricale, il incitait à donner aux laïcs une nouvelle place dans l’Église, à partager avec eux toutes sortes de responsabilités tenues jusque là par des prêtres ou des religieux.
- Enfin la Compagnie de Jésus, en France notamment, était confrontée à une diminution importante de ses effectifs, ce qui la contraignait à envisager autrement sa participation aux collèges.
L’interpellation du père Pedro Arrupe, supérieur général de la Compagnie
A la suite de ces grands bouleversements dans l’Église et la société, le père Pedro Arrupe, supérieur général de la Compagnie, jugea nécessaire en 1980 d’interpeller les établissements scolaires dans une lettre intitulée : « Nos collèges aujourd’hui et demain ». Au centre de cette lettre il écrivait :
» Un établissement d’enseignement de la Compagnie doit être facilement identifiable comme tel. Beaucoup de choses l’assimileront à d’autres établissements (…) mais s’il est vraiment un établissement de la Compagnie, c’est-à-dire si nous y travaillons poussés par les lignes de force propres à notre charisme, avec l’accent propre à nos traits essentiels, avec nos options propres, l’éducation reçue par nos élèves les marquera d’une certaine « ignatienneté », si vous me permettez ce mot. Il ne s’agit pas d’attitudes snobs ou arrogantes. Il n’y a pas là de complexe de supériorité. Mais c’est la conséquence logique du fait que nous vivons et agissons en vertu de ce charisme et de ce que nous devons fournir dans nos établissements le service que Dieu et lÉglise veulent que nous fournissions. «
Par cette interpellation, le père Arrupe déplaçait le critère traditionnel d’un établissement jésuite. Désormais ce n’est plus parce qu’un établissement possède des jésuites qu’il est authentiquement jésuite. Il y faut des critère « d’ignatienneté ». Et c’est pour les fournir qu’il mandatera dès 1980 un groupe de travail international chargé d’élaborer un nouveau Ratio.
Du fait de la diversité des réglementations scolaires auxquelles étaient soumis les collèges de par le monde, ce document ne pouvait plus prétendre à établir un système unifié d’organisation. Mais il devait en exprimer les finalités communes et relier la démarche éducative à son inspiration puisée dans les Exercices spirituels de saint Ignace.
Les Caractéristiques de l’Éducation jésuite promulguées par le père Peter-Hans Kolvenbach, successeur du père Arrupe.
Ce document contribua à donner à des équipes éducatives d’établissements jésuites un sens renouvelé de leur identité. Lors de sa visite à Toulouse en 1996, père Peter-Hans Kolvenbach interpellait les enseignants de nos établissements français, en ouvrant son discours par ces mots :
» Il y a maintenant plus de quatre siècles que fonctionne un peu partout dans le monde tout un réseau d’universités et d’instituts supérieurs, de lycées, de collèges et d’écoles, qui dans sa déconcertante diversité, se réfère à un projet éducatif de la Compagnie de Jésus ou, en termes plus contemporains, aux caractéristiques de l’éducation ignatienne. On trouverait facilement aujourd’hui 2000 institutions qui se reconnaissent dans cette charte, appelée ignatienne plutôt que jésuite, pour bien marquer qu’une institution peut assumer librement ces orientations ignatiennes sans que soit nécessaire pour autant la présence physique d’un jésuite dans l’établissement. «
Après avoir retrouvé le sens de leur action et la source de leur inspiration dans les Caractéristiques de l’Éducation Jésuite, nombre d’enseignants réclamèrent des repères pratiques pour inscrire leur pédagogie dans cette perspective. Restait à trouver ces orientations pédagogiques générales sans faire fi des diversités nationales ou régionales. Le Père Kolvenbach mandata pour cette tâche une nouvelle commission internationale qui aboutit en 1995 au Projet Pédagogique Ignatien (PPI). Aujourd’hui, en France, plusieurs établissements poursuivent la tradition jésuite ainsi renouvelée.
> Photo : © Poitiers, Bibliothèques universitaires, Fonds ancien