Petite histoire de la maison rue de Grenelle par le P. Guillocheau sj
Contraints de quitter la France au début du XX ème siècle, les jésuites, dont un bon nombre avaient rejoint les « poilus » dans les tranchées, rentrèrent en France à la fin de la « Grande Guerre ». A Paris, ils se répartirent d’abord discrètement en communautés restreintes, au hasard des appartements disponibles.
Bientôt, alors que les relations se détendaient peu à peu entre la République et l’Église, les Supérieurs de la Compagnie décidèrent de rétablir plus visiblement la vie régulière. Ils acquirent les immeubles du 42 rue de Grenelle – datant pour la plupart du 19 ème siècle, avec des restes des 17 ème et 18 ème – et, en 1936, lancèrent la construction du grand bâtiment, qu’avec sa façade de brique, ses étages et sa terrasse, on discerne mieux du haut de la Tour Montparnasse que de la rue.
La réalisation du projet initial fut contrariée lorsque se présenta l’occasion inattendue de récupérer, avec son église, la résidence du 33 rue de Sèvres, qui était sous séquestre depuis 1906. Les premiers jésuites français, après le rétablissement de la Compagnie de Jésus en 1814 par le pape Pie VII, s’y étaient installés dès 1820. Les Supérieurs, respectueux du passé et confiants en l’avenir, décidèrent de garder les deux communautés au prix de certaines réductions du plan initial pour la rue de Grenelle. En résulta la coexistence de deux grandes communautés à quelques centaines de mètres l’une de l’autre. Dans les années 70, la vieille résidence de la rue de Sèvres fit place, comme on sait, au Centre Sèvres, Faculté des jésuites à Paris.
Au fil des ans
Peu avant le début de la Seconde Guerre Mondiale, donc, les pères et frères investirent leur nouvelle résidence : quelque cinquante chambres dans le bâtiment principal et presque autant dans les immeubles ayant échappé à la démolition. Ce fut le commencement d’une histoire… qui n’est pas terminée. Prédicateurs, théologiens, aumôniers en tout genre, professeurs et spécialistes en sciences diverses se côtoyaient dans la ruche active et silencieuse à la fois. Tous, avec des charismes divers, ont bien travaillé dans la vigne du Seigneur ; quelques-uns ont atteint la notoriété, comme le Cardinal de Lubac ou le Père Riquet. Le 42 a été pendant longtemps la résidence du Supérieur Provincial de Paris avant que les quatre « Provinces » de France ne soient réunies en une seule.
Dès ses débuts, la rue de Grenelle eut une vocation hôtelière. Les jésuites du monde entier savent qu’ils peuvent loger au 42 lorsqu’ils passent à Paris, que ce soit pour une nuit ou pour trois mois. Le 7 ème étage, conçu spécialement pour les hôtes, se révéla rapidement insuffisant, mais, dans le dédale des couloirs, le P. Hôtelier découvre toujours une chambre disponible. A la fin des années cinquante, un bon nombre de jeunes jésuites tant français qu’étrangers, venaient à Paris envoyés par leurs Supérieurs pour préparer diplôme ou doctorat. Pour les recevoir en communauté, des étages furent ajoutés au-dessus de la chapelle, de la bibliothèque et des communs. Ce « juvénat scientifique » eut sa double décennie de prospérité. Les effectifs permanents de la communauté dépassèrent alors la centaine. La maison continue d’ailleurs d’être le siège de ce qu’on appelait les « procures », c’est-à-dire des bureaux au service des anciennes « missions » de Chine, du Proche-Orient, d’Afrique, de Madagascar ; par la grâce de Dieu, toutes ces régions sont aujourd’hui des « Provinces » à part entière. Tout cela fait qu’on entend pas mal de langues en plus du français, au 42, notamment l’espagnol et l’anglais.
La période après le Concile et 1968 fut une phase difficile, avec une activité jamais ralentie, mais un processus inéluctable de vieillissement. Une étape importante fut la création en 1992 d’un secteur médicalisé, nommé « Soins et Repos », avec un directeur et un comptable laïcs, un médecin attitré et un personnel infirmier à l’avenant, le Supérieur de la communauté gouvernant bien entendu l’ensemble. Cette évolution délicate a profondément marqué la physionomie de la maison, même si, et il faut y insister, continuent des activités apostoliques diverses ; liens avec l’Afrique, le Proche-Orient, l’Asie, Madagascar, hôtellerie, réunions de groupes animées par des membres de la communauté dans les salles disponibles. Depuis quelques années la Communauté Soins et Repos n’existe plus. Actuellement la communauté compte, quasiment une quarantaine de membres qui ont un âge respectable mais toujours une saine vitalité, avec quelques membres moins âgés.
Au quotidien
Les échanges ont toujours été importants entre compagnons, échanges d’idées, d’expérience… Le jésuite d’un certain âge qui est nommé dans la communauté du 42 après une vie apostolique très active, apporte avec lui une riche expérience humaine et spirituelle. Il y retrouve des frères qu’il connaît généralement mais qui ont eu souvent des parcours très différents. Et il lui arrive de constater que les options ou convictions des uns et des autres, au plan apostolique ou spirituel, divergent parfois des siennes. Les personnalités se complètent, s’affrontent parfois. La fraternité résiste, s’approfondit, jusqu’au dépouillement. Tous restent compagnons de Jésus, fils de saint Ignace. Tous sont disponibles pour les services qu’ils peuvent rendre, dans la maison ou à l’extérieur.
L’Eucharistie plus que jamais est au centre de la vie de la communauté. Chacun y participe de manière à la fois très fraternelle et très personnalisée. La messe du dimanche réunit tous les compagnons présents. L’homélie est faite à tour de rôle. En semaine, la messe de midi attire quelques fidèles de l’extérieur. Celle de 8h du matin, plus discrète, voit aussi ses habitués de l’extérieur qui l’apprécient avant de se rendre à leur travail.
Les responsables, Supérieur et Directeur, et tous les autres, tant laïcs que jésuites, se dépensent pour la communauté : fêtes communautaires (les « jubilés » sont nombreux !), conférences, communications diverses délivrées par des invités compétents, souvent non jésuites, excursions communautaires. Bref, la maison connaît un mouvement incessant.
Pendant l’année universitaire, la jeunesse n’est pas tout à fait absente. Les étudiants qui fréquentent le « Centre Saint-Guillaume » – l’aumônerie de Sciences-Po – ne passent pas inaperçus, même si le Centre, locataire en façade du 42, est animé par un jésuite qui n’est pas de la communauté. Et chaque année l’orchestre de Sciences-Po nous joue un concert.
De temps en temps, l’un de nous arrive au terme de sa vie terrestre. Ceux qui restent se réunissent autour de son cercueil pour l’eucharistie d’adieu, l’absoute, l’inhumation. Quel que soit le nombre des parents et amis qui se joignent à la prière de la communauté, tout se déroule dans le recueillement, l’espérance, la paix.
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Article publié le 12 septembre 2011