Homélie du P. François Boëdec sj le 31 juillet au Centre spirituel jésuite de Penboc’h

À l’occasion de la clôture de l’année ignatienne, le P. François Boëdec sj, Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone, a présidé la messe célébrée le dimanche 31 juillet, jour de la fête de saint Ignace, au Centre spirituel jésuite de Penboc’h, et a prononcé l’homélie.

Chers compagnons et chers amis,

S’il est vrai que la solennité de saint Ignace marque la fin de cette année ignatienne, année particulière, extra-ordinaire d’une certaine façon, il nous a semblé qu’il était bon d’écouter aujourd’hui non pas les textes prévus pour la fête de saint Ignace, mais ceux du 18e dimanche du temps ordinaire. Car s’il nous est donné dans nos vies des temps extra-ordinaires, comme cette année, et comme en a vécu à plusieurs reprises notre Père Ignace durant son cheminement spirituel, c’est d’abord dans l’ordinaire des jours qu’il s’agit de vivre avec le Seigneur. Il en a été ainsi pour saint Ignace les jours où il n’arrivait pas très bien à savoir comment orienter son chemin, ou d’une autre manière, durant ces longues années, où celui qui se décrivait comme le Pèlerin rêvant de parcourir le monde pour annoncer la vie de Dieu, consentit à rester à Rome comme premier Supérieur général pour organiser jusqu’à sa mort la Compagnie naissante.

Les textes du jour nous parlent de notre vie, partent de ce qui fait l’ordinaire de nos jours. C’est bien concret, bien réel. On demande en effet ici à Jésus de régler un héritage. Du temps de Jésus, on recourait volontiers à l’arbitrage des rabbins, même pour des contentieux qui n’avaient rien à voir avec les Écritures ; et c’est sans doute le prestige de son enseignement qui vaut à Jésus cette demande : « Dis à mon frère de partager avec moi notre héritage ». Dans beaucoup de familles, face à l’héritage, nous savons que la fraternité peut être mise à rude épreuve. Jésus va refuser de se substituer au notaire ou au juge. Mais partant de cette situation, il va élargir son propos, élever le débat, et répondre au niveau du sens de la vie, en d’autres termes dire ce qui lui semble le plus fondamental, à savoir « Gardez-vous de l’envie d’avoir toujours plus », mais aussi « les biens d’un homme ne lui garantissent pas la vie ». Et plus encore « la vie de quelqu’un ne dépend pas de ce qu’il possède ». Tout cela, nous le savons, intellectuellement, intuitivement peut-être aussi, mais avouons que concrètement il nous faire parfois un effort pour orienter notre vie en fonction de cela.

Alors, essayons d’aller plus loin. Que nous dit Jésus avec cette parabole ? N’oublions pas la situation économique et sociale de l’époque. Les contemporains de Jésus vivent dans des conditions sociales parfois très difficiles. La famine, et l’usurpation des terres notamment, menaçaient constamment les petits agriculteurs qui, de plus, enduraient des pratiques fiscales extrêmement pénibles. Dans ce contexte, le propriétaire qui entrepose son surplus de récolte au lieu d’aider les plus pauvres, ne peut évidemment pas avoir la sympathie des auditeurs de Jésus.

De ce point de vue, la parabole est claire. Elle est bien sûr une mise en garde contre la cupidité ; mais l’évangéliste Luc en offre une signification théologique encore plus profonde, qui pose la question du sens de la vie, de ce qu’il y a de plus essentiel. Quelles sont en fait nos vraies richesses ? Et aussi quelles sont nos façons d’être riches devant Dieu ?

Jésus n’a rien contre les riches en tant que tel. Il est capable de louer la générosité de ceux-ci. Il s’agit d’ailleurs ici d’une richesse honnêtement acquise : celle d’un homme dont la terre a bien rapporté. Mais que suscite en lui cette surabondance inespérée ?
D’abord, il veut se mettre à l’abri des aléas. Il va constituer des réserves, et investir dans la construction de nouveaux greniers pour préserver ses richesses. Il veut donc pouvoir échapper à la crainte. Même si une mauvaise année survient, ses réserves seront suffisantes pour que la catastrophe ne le menace plus jamais.
Une autre attitude suit logiquement : puisque le souci s’éloigne, l’homme va enfin profiter : « Te voilà avec quantité de biens pour de longues années. Repose-toi, mange, bois, fais bombance ». Et l’homme s’installe. Il n’a besoin de personne pour vivre. Il se suffit à lui-même.
Rien de plus normal, finalement, que le calcul de cet homme riche, qui mise avant tout sur la sécurité. Mais qui semble agir comme si la mort n’existait pas. Or, rappelle Jésus, il n’y a de sécurité pour personne face à la mort. La mort, nous le savons tous, se présente, obstinée, inattendue, importune, comme la limite absolue qui oblige à donner un sens à la vie, au travail, à toutes les expressions du bien-être, de l’affection et de la joie.

Et puis, Jésus sait que la richesse isole. L’argent bien sûr. Mais toutes richesses après lesquelles notre monde, et nous-mêmes, nous pouvons être tentés de courir : la réputation, le savoir, les relations… Nos projets personnels aussi qui peuvent occuper tout notre esprit. Tout ce qui peut nous fasciner, nous rassurer et nous tromper aussi. Et nous savons bien que cela peut se nicher dans des tas de recoins, a priori anodins, de nos existences, y compris dans la vie religieuse. Car nous sommes tous riches de quelque chose ; et tous tentés de nous installer.
Les années passent, et l’on engrange des joies, du confort, des réussites ; on entasse des habitudes et des souvenirs, on multiplie ses assurances sur le bonheur, et à force de vivre au milieu des choses, on finit par oublier ce que nous devons à Dieu dans cette réussite : nos talents, nos qualités, notre intelligence, tous des dons de Dieu…. Et on ne veut pas voir qu’elles n’auront qu’un temps. Bien loin de dévaluer les réalisations et les projets de l’homme, Jésus vient rappeler, à ses contemporains comme à nous, parce que nous sommes de la même humanité, que Dieu donne à l’existence tout son prix et à la charité toute son urgence. Car si au-delà de la mort quelqu’un nous attend, si déjà notre passage sur terre peut nous établir dans son amitié, alors chaque journée devient une aventure de fidélité, une page de notre amour pour Dieu, toute remplie de service et d’attention pour nos frères. Si l’on « s’enrichit pour soi-même », comme dit Jésus, rien de ce trésor ne passera dans la vie définitive ; mais si un croyant s’enrichit « en vue de Dieu », s’il met toutes les ressources de son intelligence et de son cœur au service du dessein de Dieu sur lui et sur le monde, un trésor l’attendra près de Dieu. Seul ce que nous aurons vécu et donné par amour traversera la mort. Le reste est illusoire, comme nous l’a rappelé le Livre de Qohèlet dans la première lecture.

C’est à cette aventure, à ce combat spirituel et humain, que Jésus lui-même a connu et traversé, que nous avons à veiller frères et sœurs. Il s’agit bien de l’enjeu de notre propre existence, quel que soit notre choix de vie, qui fait qu’au bout du compte une vie est réussie ou non. Comment ne pas nous souvenir de saint François-Xavier qui, sous l’influence d’Ignace de Loyola, alors qu’ils étaient tous deux étudiants à Paris, l’entendait l’interpeller par cette invitation évangélique : « A quoi sert à l’homme de gagner l’univers, s’il vient à perdre son âme ? ». Oui, ne passons pas à côté de notre vie. Veillons à rester libres et disponibles, face à tout ce qui peut entraver notre marche vers Dieu et vers les autres, comme nous rappelle le Principe et Fondement des Exercices spirituels.

Mes amis, confions-nous les uns les autres au Seigneur, par l’intercession de saint Ignace, au point où nous en sommes de notre existence, pour qu’il nous donne d’être enracinés dans ce trésor qui passe tout, qu’il nous donne de regarder dans notre vie comment concrètement nous pouvons grandir dans cet amour, dans ce cœur de Dieu plus grand que le monde et plus fort que la mort. Amen !

P. François Boëdec sj,
Provincial des jésuites d’Europe occidentale francophone

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Année ignatienne Cette année ignatienne a célébré deux événements importants : le 500e anniversaire de la blessure d’Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus et de sa conversion et le 400e anniversaire de la canonisation de saint Ignace de Loyola et de saint François Xavier. Plusieurs propositions spirituelles ont lieu pendant cette année ignatienne, qui a pour thème « Voir toutes choses nouvelles en Christ ». > Voir le dossier

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