Il y a 30 ans, six jésuites assassinés au Salvador
Dans la nuit du 16 novembre 1989, six jésuites et deux femmes furent brutalement assassinés par des soldats de l´armée dans l´Université centraméricaine. Le motif ? Leur engagement pour la justice sociale. le P. Martin Maier sj, qui travaille au JESC, le Centre social jésuite européen, à Bruxelles, était au Salvador il y a 30 ans.
Certains crimes ont une dimension historique. C’est le cas de l’assassinat de six jésuites et de deux femmes à San Salvador, le 16 novembre 1989. Peu avant, le mur de Berlin était tombé, marquant le début du processus qui mettait fin à la guerre froide. Mais au Salvador, la guerre civile, qui avait éclaté en 1980, était redevenue une guerre « chaude », s’inscrivant par procuration dans le conflit Est-Ouest. Depuis le 11 novembre, la guérilla de gauche menait une offensive militaire nationale et occupait un tiers de la capitale, San Salvador. L’armée se trouvait dos au mur et bombardait sans répit des quartiers entiers de la ville.
« Frapper les insurgés à la tête »
Le haut-commandement de l’armée décida de frapper les insurgés à la tête. Un commando spécial fut envoyé à l’Université centraméricaine (UCA), un établissement fondé et tenu par la Compagnie de Jésus. Arrivés sur place, les soldats traînèrent les jésuites hors de leur appartement, les forcèrent à se coucher face contre terre dans l’herbe et leur tirèrent dessus à bout portant. Outre le recteur de l’université, le P. Ignacio Ellacuría sj, il y avait aussi Segundo Montes, Ignacio Martín-Baró, Amando López, Juan Ramón Moreno et Joaquín López y López. La cuisinière Elba Ramos et sa fille Celina furent aussi exécutées, les soldats ayant reçu l’ordre de ne laisser aucun témoin du massacre.
Les cerveaux éclatés sur le sol devenaient un symbole macabre : tirant dans la tête, on croyait faire disparaître l’esprit. Les auteurs du crime et leurs bailleurs de fonds pensaient qu’en supprimant ces professeurs, on se débarrasserait de leurs idées, qu’ils détestaient.
La lutte pour la foi et la justice
Pourquoi les six jésuites et les deux femmes ont-ils été tués ? La réponse la plus courte peut se lire sur la pierre tombale dans la chapelle de l’université. Y est gravée la mission la plus importante que s’est donnée la Compagnie de Jésus lors de sa 32e Congrégation générale, en 1975 : « Que signifie aujourd’hui être jésuite, compagnon de Jésus ? S’engager sous la croix dans la lutte décisive de notre temps : le combat pour la foi, qui inclut la lutte pour la justice ».
Par cette décision fondamentale, les jésuites avaient voulu répondre à l’injustice mondiale, reconnue comme défi le plus urgent pour le présent. Mais, prophétiquement, la 32e Congrégation avait aussi proclamé : « Nous ne travaillerons pas pour la justice sans en payer le prix ». Cette phrase est également gravée sur la tombe des jésuites martyrs.
Une université au service des pauvres
Le plus connu des six jésuites assassinés est Ignacio Ellacuría. Le recteur de l´université était convaincu que, face à la misère de la majorité de la population salvadorienne qui « criait vers le ciel », on ne pouvait en rester à pratiquer la science pour la science. L’Université centraméricaine devait œuvrer pour des réformes sociales dans le but d’instaurer un ordre social plus juste. Elle devait devenir la voix de ceux qui sont sans voix, ce qui en faisait la cible des riches et des puissants.
De 1976 à 1989, 16 attentats à la bombe furent perpétrés contre l’université. Son imprimerie a explosé quatre fois. C’est là qu’étaient imprimés les livres de la maison d’édition de l’université ainsi que huit magazines. En réponse, le P. Ellacuría sj aimait à citer un poète espagnol qui, sous la censure de la dictature franquiste, disait : « Ils ne laissent pas les gens voir ce que j’écris parce que j’écris ce que je vois ».
Commémoration et réparation du peuple
Bien que l’implication de tous les dirigeants de l’armée dans la planification du massacre soit évidente, le crime n´a jamais été clarifié et puni juridiquement. Mais le peuple salvadorien a ses propres formes de commémoration et de réparation. Des villes où des réfugiés se sont réinstallés après la guerre portent le nom des jésuites. Là où ils ont été assassinés, un massif de roses a été planté. Leur tombe dans l’église universitaire, comme cette roseraie, est devenu un lieu de pèlerinage.
Chaque année, dans la nuit du 15 au 16 novembre, des milliers de personnes se rassemblent sur le campus de l’université. Elles chantent, prient et célèbrent leurs martyrs. Ce sera évidemment le cas cette année, à l’occasion du 30e anniversaire.
Pour en savoir + :
> Article de la revue Études : « Le témoignage des jésuites assassinés au Salvador »
« Il y a tout juste trente ans, six jésuites et deux femmes laïques étaient assassinés par un commando militaire au Salvador. Ils étaient fortement engagés pour la foi et la justice selon la mission que s’était donnée la Compagnie de Jésus. L’émotion qui a suivi leur assassinat a donné une certaine impulsion au processus de paix. Trente ans après, les problèmes du pays sont encore loin d’être résolus. Il importe de conserver en mémoire l’engagement de ces hommes et femmes… »> Lire la suite de l’article
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Article publié le 19 novembre 2019