Jérusalem « addiction » : témoignage du P. Luc Pareydt sj

Le P. Luc Pareydt sj témoigne de sa mission depuis quatre ans en tant que Conseiller pour les affaires religieuses au Consulat général de France à Jérusalem.

Jérusalem Luc Pareydt (3) On devient « accroc » à Jérusalem. Je l’avais souvent entendu dire. Jérusalem fait mal et Jérusalem comble de bonheur. Jérusalem est une amante subtile qui se joue du plaisir et de la douleur qu’elle inflige à l’aimé ! Le dicton est célèbre : « Quand on passe huit jours à Jérusalem, on a envie d’écrire un livre. Quand on y passe huit mois, on a envie d’écrire un article. Quand on y passe plus d’un an, on n’a plus envie d’écrire quoi que ce soit… Alors, que dire après quatre années de cette histoire d’amour ?

On ne peut pas vivre et travailler à Jérusalem en cultivant l’illusion d’un pèlerinage permanent. Si telle était la tentation, la mission qui m’a été confiée me remettrait vite les pieds sur terre. À Jérusalem certes, mais au sein d’une équipe diplomatique qui doit gérer plus souvent des blessures que des miracles, relever le défi de l’espérance plutôt que de s’installer dans les effluves pieuses !

Avec les autres conseillers politiques, le Conseiller pour les affaires religieuses (dont la responsabilité est aussi large et originale que l’histoire de la représentation de la France à Jérusalem depuis quatre siècles) doit quotidiennement gérer l’urgence.

Il ne faudrait pas croire en effet que « religieux » signifie ici « mol oreiller ». Loin s’en faut. Du plus bénin au plus grave, du plus humoristique au plus tragique, les évènements se succèdent. Et il faut tenter de trouver des solutions. Honneur diplomatique français et républicain oblige !

Au quotidien : surprise, urgence, patience, espérance…

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Le Consulat général de France à Jérusalem.

Dans un article précédent, je décrivais le poste qui m’est échu. C’était au début de ma mission. Les quelques flashes qui suivent illustrent le quotidien dont je n’imaginais guère à l’époque qu’il soit si divers, si baroque et si nécessaire à notre pays pour lui rappeler ses exigences.

Le pèlerin français qui s’égare, perd son passeport ou se rappelle qu’il a un corps (tout extatique soit-il devant le Saint-Sépulcre) en se brisant un os sur les pavés fort dangereux de la Vieille Ville de Jérusalem. Des religieuses de l’une de nos communautés « sous protection » (elles sont 50 et cette protection est diplomatique, inscrite dans le droit international depuis François 1er) qui sont mises en joue par un jeune soldat israélien qui les confond avec des musulmanes ; de l’argent à trouver pour des réparations et éviter que les sœurs carmélites françaises périssent écrasées dans leur chapelle… Des réunions qui s’enchaînent pour relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens (la Conférence de Paris, le 15 janvier dernier, nous a occupés durant six mois et il faut maintenant en traduire les applications concrètes sur le terrain, c’est-à-dire essentiellement batailler et résister à une occupation de plus en plus pesante) ; des notes à rédiger, le plus souvent la nuit – faute de temps dans la journée – pour le Quai d’Orsay afin que le gouvernement français soit informé le plus finement possible de la situation (la protection des Chrétiens d’Orient fait l’actualité…) ; les réceptions nombreuses (toutes les composantes de la société française passent à Jérusalem : monde politique, associatif, religieux, ONG…) qui sont l’occasion de présenter notre travail et d’informer sur la situation ; le protocole fréquent (messes consulaires, visites de courtoisie, inaugurations diverses, manifestations culturelles…) qui place la France en position unique sur cette Terre sainte. Voilà, entre bien d’autres choses, le quotidien.

Le bel art du diplomate

Pour tout cela il faut du professionnalisme (trouver des solutions sauf à apparaître comme le « jésuite des petits fours » que l’on sort pour les réceptions à la résidence de France), de l’écoute (sans céder à la panique qui guette toujours sur cette terre), une patience infinie (relancer le processus de paix sous perfusion depuis 70 ans et auquel plus grand monde ne croit, y compris chez nombre de Palestiniens et d’Israéliens, sans parler de notre administration…), de la discrétion (tellement facile de vanter un carnet d’adresses qui s’est particulièrement enrichi depuis quatre ans il est vrai), un tact (qui doit respecter tout autant la laïcité française que les composantes religieuses essentielles aux deux sociétés de Palestine et d’Israël) et du courage, quotidien, pour ne céder ni à l’indifférence, ni à  la fatigue, ni au désespoir qui pointe souvent son nez.

Jésuite, ni plus ni moins…

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Dans un camp de réfugiés palestiniens.

Faut-il donc être parfait pour occuper un tel poste ? Certes pas. Il importe d’être soi-même, bien humain et bien jésuite avec sa passion (comment rester insensible dans cette ville sainte et dilacérée ?), avec ses doutes (la question, lancinante, revient souvent : à quoi bon travailler pour la justice et la paix si rien ne semble aboutir ou progresser ?), avec son émotion également (combien de belles rencontres, d’heureux événements et de joyeux moments partagés avec les amis palestiniens, israéliens et collègues français !). Je peux dire que jusqu’à présent cette mission m’aura appris à être très modeste, meilleur lecteur des situations, plus audacieux et moins bouffi par ma tradition religieuse qui n’a pas plus que d’autres le dernier mot sur la ville du Christ, d’Hachem et de Mahomet.

Il m’importe aujourd’hui de dire à mes compagnons jésuites que c’est cela qui doit nous caractériser, ici et partout. Pour cela, habiter dans une communauté internationale où l’Indien du fin fond de Ranchi (pour lequel le musulman est un ennemi) côtoie l’Américain de Boston (pas loin de se réjouir de la victoire de Trump), l’Italien de Rome (qui ne jure que par les universités pontificales), le Libanais de Beyrouth (qui se damnerait pour les Palestiniens), l’Israélien de tel Aviv (qui veut la paix mais qui reste israélien) ou le Français de Paris (qui croit un peu trop souvent que son pays est le centre du monde) est un Troisième an à nouveau. Apprendre à rendre compte de sa conscience et de sa mission dans une autre langue que la sienne, accepter des opinions différentes (souvent tranchées comme toute chose ici), construire ensemble une communauté et édifier la mission de la Compagnie de Jésus alors que les engagements des uns et des autres sont si divers est un noviciat permanent. Et tout cela est heureux.

Continuer ?

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Lors d’une messe consulaire.

Au moment même où j’écris ces lignes, d’autres défis se présentent. Préparer une rencontre avec les grands rabbins d’Israël. Aller sur l’un de nos domaines nationaux français pour estimer comment préserver d’urgence une mosaïque byzantine à l’abandon. Filer à l’hôpital français pour prendre des nouvelles d’un pèlerin en infarctus qu’il va falloir rapatrier. Corriger une note pour Paris. Peaufiner le discours que le Consul général de France doit prononcer pour l’inauguration d’un bâtiment de l’École biblique des dominicains. Recevoir des évêques français et les persuader que l’Islam n’est pas le premier des dangers ici… Partager le repas de midi avec de jeunes volontaires français (une vingtaine en ce moment) qui œuvrent dans nos communautés et institutions sous protection diplomatique. Représenter le Consulat général aux célébrations de la semaine pour l’Unité des chrétiens alors que l’œcuménisme est ici un dossier qu’il vaut mieux ouvrir avec doigté… sans parler de l’interreligieux. Éparpillement ? Pointillisme ? Au travers de tout cela, il y a un fil rouge : ne rien lâcher pour la justice, ne rien laisser entre les mains des fondamentalistes de tous bords et de toutes croyances (et des chrétiens d’ici ou venus de France n’y font pas exception), ne rien céder sur le courage et tenir parole auprès de celles et ceux qui sont depuis trop longtemps victimes de l’indifférence d’une communauté internationale « qui a « les mains propres parce qu’elle n’a pas de mains ».

Zoom sur les jésuites à Jérusalem

La maison jésuite de Jérusalem, seule résidence jésuite de Terre Sainte, comporte deux implantations : la maison de Jérusalem et un appartement à Bethléem où résident deux compagnons de notre communauté. Nous formons une seule communauté jésuite en Israël-Palestine. La communauté
proprement dite est sous la juridiction du Provincial du Proche-Orient qui réside à Beyrouth et dont l’autorité couvre le Liban, l’Égypte, le Maghreb et la Turquie. La maison de Jérusalem, fondée en 1928, sous la protection conjointe du Vatican et de la France, comporte deux entités : la communauté
jésuite et l’extension de l’Institut Biblique Pontifical de Rome. C’est à ce titre que nous recevons des étudiants de l’Institut Biblique qui passent généralement quatre mois sur place et suivent un programme spécifique à l’Université hébraïque, programme fondé par le Cardinal Martini sj. Nous recevons des visiteurs du monde entier, jésuites et autres.

P. Luc Pareydt sj,
Conseiller pour les affaires religieuses
au Consulat général de France à Jérusalem

Cet article est issu de la revue Échos jésuites (automne 2017), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour cela, merci d’envoyer votre mail et/ou votre adresse postale à communicationbxl [at] jesuites.com.

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