Du lavement des pieds au geste de Pilate « qui s’en lave les mains » : dépassant une lecture littérale de l’Évangile, le P. Vincent Klein sj invite à une réflexion plus profonde mais non dénuée d’humour. Et rend hommage à celles et ceux qui « lavent les pieds » de leurs frères et sœurs au risque d’y laisser leur propre santé. 

Pilate réhabilité?

Les évangélistes nous rapportent que Pilate croyait à l’innocence de Jésus, qu’il a essayé de le défendre, mais qu’il le fit condamner sous la pression de la foule en furie, poussée par les grands prêtres et les anciens. « Voyant que cela ne servait à rien, mais que la situation tournait à la révolte, Pilate prit de l’eau et se lava les mains en présence de la foule, en disant : ‘Je suis innocent de ce sang. C’est votre affaire’ » (Mt 27, 24). En faisant cela, le gouverneur romain, un païen, accomplit en fait le rituel prévu par la loi juive et réservé aux prêtres en cas de découverte d’une victime innocente de meurtre :

« Les anciens (…) s’étant approchés de la victime du meurtre se laveront les mains (…) et déclareront : ‘Ce ne sont pas nos mains qui ont versé ce sang, ni nos yeux qui l’ont vu. Absous Israël, ton peuple que tu as racheté, Seigneur, et ne laisse pas l’effusion du sang innocent au milieu d’Israël, ton peuple’. Et ils seront absous de l’effusion de sang. Et tu auras ôté du milieu de toi l’effusion de sang innocent, en faisant ce qui est droit aux yeux du Seigneur » (Dt 21, 6-8).

Et Matthieu, qui est le seul à relater le fameux geste de Pilate, est aussi le seul à nous rapporter que le peuple, et non Pilate, endossera la responsabilité de la condamnation à mort : « Nous prenons son sang sur nous et sur nos enfants » (Mt 24, 26). On pourrait du coup ironiser sur la parfaite efficacité du geste rituel accompli par Pilate le Romain !

En se lavant les mains soigneusement, Pilate essaie de dédouaner à bon compte sa conscience du meurtre cruel d’un innocent. Sur un dessin humoristique – ils sont pléthore sur la toile en ce temps de pandémie -, il y en a un qui réhabilite Pilate, lequel devient un modèle non plus de la lâcheté humaine, mais du geste hygiénique que nous pratiquons désormais tous abondamment chaque jour. En se lavant les mains, celui-ci met à distance et rejette soigneusement ce virus particulièrement contagieux que représente Jésus de Nazareth, victime innocente, que sa lâcheté fera condamner au supplice de la croix.

Hygiène et hypocrisie

Certains passages d’évangile ont tellement prêté le flanc à des interprétations rigides, déviantes, voire aberrantes qu’on en viendrait presque à se demander s’il n’aurait pas mieux valu qu’ils ne s’y trouvent pas. Et que penser alors, en ces temps d’épidémie, du texte suivant :

« Des pharisiens et quelques scribes voient que certains disciples (de Jésus) prennent leurs repas avec des mains impures, c’est-à-dire sans les avoir lavées. En effet, les pharisiens, comme tous les juifs, ne mangent pas sans s’être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens ; en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions ; et il y a beaucoup d’autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés : lavages rituels des coupes, des cruches et des plats » (Mc 7, 1-4).

En matière d’hygiène, Jésus et ses disciples sont, si l’on en croit les évangélistes, tout sauf des modèles. La remarque des pharisiens paraît amplement justifiée et pourtant Jésus entre dans une véritable colère et tancera leur hypocrisie, leur ritualisme extérieur qui cache une raideur intérieure, une froideur de cœur. Certes, les enfants ont pu, non sans une certaine mauvaise foi il est vrai, s’appuyer sur cette scène pour répondre aux remontrances des parents quand ils se mettaient à table sans se laver les mains. Cette attitude de Jésus et de ses disciples en contexte de pandémie est autant inacceptable qu’irresponsable ! Aujourd’hui, plus que jamais, une plus grande attention en matière d’hygiène est louable pour le respect des autres et de soi-même. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’en ce domaine, on tirera quelques leçons de la situation exceptionnelle que nous connaissons aujourd’hui.

Cependant, la critique de Jésus porte non pas sur l’hygiène, mais sur l’hypocrisie des pharisiens. Or, à l’issue de la pandémie que nous connaissons, un hygiénisme, fruit d’une névrose, d’une peur viscérale de la contamination, risque de marquer les relations humaines du sceau de la méfiance et de la peur. Cela pourrait également affecter notre manière de pratiquer notre foi chrétienne. Or, si nous voulons retisser le lien social, il est capital que la méfiance ne prenne pas le dessus dans nos rencontres qui devront rester marquées par la cordialité et la confiance.

Les pieds et le reste du corps

Si Jésus n’a pas mis en avant de manière positive le rituel du lavement des mains et de la vaisselle, il s’est davantage attaché à un autre rituel de purification oriental qui voulait qu’on accueille son hôte en lui lavant les pieds. Dans un texte bien connu, il dit à Simon le pharisien : « Tu vois cette femme ? Je suis entré dans ta maison : tu ne m’as pas versé d’eau sur le pieds, mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux » (Lc 7, 44). Il est clair que laver les pieds de son hôte n’appartient pas à la panoplie des gestes barrière qui nous sont recommandés ces temps-ci. Et à Jésus qui, à la grande surprise de ses disciples, « se lève de table, dépose son vêtement et prend un linge dont ils se ceint, verse de l’eau dans un bassin et commence à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge dont il était ceint » (Jn 13, 4-5), Pierre, après une protestation, réalisant quelque chose de la portée du geste de Jésus, se rebiffe et dit : « Alors, Seigneur, non pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête » (v. 9). Mais Jésus n’obtempérera pas, il renverra plutôt à la portée symbolique de son geste (vv. 10-11).

L’essentiel

Non, décidément, à lire l’Évangile au premier degré, il n’y a pas à retirer grand-chose de l’exemple de Jésus en ce qui concerne le respect des règles d’hygiène que nous nous efforçons de suivre aujourd’hui scrupuleusement. Il représente plutôt un contre-exemple. À moins que… À moins que dans ce geste éminemment eucharistique du lavement des pieds, il ne rende en fait hommage à tous ceux qui se dévouent, hier comme aujourd’hui, pour aider leurs frères et sœurs dans la détresse de la maladie, de l’angoisse et de la solitude : tous ces parents qui apprennent à leurs enfants les gestes barrière et essaient de leur expliquer avec des mots simples pourquoi ils ne doivent pas rendre visite pour le moment à leurs grands-parents qui pourtant en meurent d’envie. Il rend hommage à tous ces gens qui sont attentifs à leurs voisins âgés, font leurs courses et les rassurent. Il met en avant les agriculteurs, les boulangers et les caissières de supermarché ainsi que les innombrables livreurs sur leur scooter ou leur vélo. Il dit mieux qu’avec des mots la louange des femmes de ménage, infirmières et aides-soignantes, médecins et bénévoles qui soignent, pansent les plaies et « lavent les pieds », de leurs frères et sœurs au risque d’y laisser leur propre santé. Car là se retissent les liens d’une humanité nouvelle qui déjà se lève. Et finalement, n’est-ce pas cela l’essentiel ?

Vincent Klein
Dimanche des Rameaux, Avril 2020

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