Journal d’un jésuite libanais en quarantaine à Beyrouth

Le P. Hani Rayès, jésuite libanais, était en « quarantaine » à Beyrouth avec sa communauté. Il relie l’expérience de son confinement à l’une des semaines des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola et invite à « recherche le bien universel dans la prière ».

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos dans une chambre », disait Blaise Pascal. Cette citation de Pascal m’est venue à l’esprit au fur et à mesure que les journées passaient. Demeurer dans une chambre, c’est ce que nous faisons ; mais sommes-nous vraiment en repos ? N’est-ce pas plutôt en inquiétude ? Du coup nous ne sommes plus tout à-fait dans notre chambre, mais ailleurs. Il est vrai que nous sommes sollicités de partout. Les réseaux sociaux nous poursuivent… Comment pouvons-nous demeure en repos ?

Peut-être avons-nous pensé pouvoir nous transformer subitement en Chartreux ; même en recevant nos repas dans nos chambres, cela n’est pas possible. On ne peut pas devenir ce que nous ne sommes pas, alors restons de vrais jésuites.

Pour cela une image de la deuxième semaine des Exercices Spirituels me vient à l’esprit : celle de la Contemplation de l’Incarnation, « la Sainte Trinité qui regarde le monde ». C’est bien à cause de ce qui se passe dans ce monde qu’on nous a demandé de rester en repos dans une chambre ; c’est à cause d’un monde en plein bouleversement, comme saint Ignace de Loyola aimait le contempler, que nous sommes confinés entre ces murs. Au lieu d’aller porter secours aux hommes en détresse, il nous faut demeurer en repos.

En repos, mais pas oisifs, justement pour regarder ce monde inquiet, non seulement à cause d’un virus, mais à cause de tous les malheurs qu’il pourrait entrainer : « Voir les personnes, les unes après les autres. Ceux qui sont sur la face de la terre, si différents … Les uns en bonne santé et les autres malades, les uns naissant et les autres mourant. » Voir les personnes et les présenter au Père « de qui toute paternité… tire son nom. » Présenter Les nôtres, bien sûr, mais tant et tant d’autres aussi. Recherchant le bien le plus universel, même dans la prière. Surtout dans la prière.

« Deuxièmement voir et considérer les trois personnes divines, comment elles regardent toute la face de la Terre et tous les peuples en si grand aveuglement. » Nous étonner devant l’aveuglement, comme Jésus qui s’étonne devant le manque de foi, mais non pas pour mépriser le monde, mais pour désirer qu’il soit sauvé. Regarder le monde avec les yeux de la Trinité pour avoir envers lui la même sollicitude de Dieu, parce que la nôtre n’est pas bien grande. Elle est souvent mélangée d’amertume, de recherche de petits intérêts, de distractions aussi.

Mais peu importe : il suffit de quelques instants, pour sauver une journée de sa vacuité. Même la vacuité et le sentiment de vide, de temps perdu, peuvent être sauvés par Celui qui regarde ce monde avec un regard tellement différent du nôtre ! « Tu aimes tout ce qui existe, tu n’as de répulsion envers aucune de tes oeuvres ; si tu avais haï quoi que ce soit, tu ne l’aurais pas créé. » Sg 11,24

Nous sommes dans nos chambres, mais les rumeurs du monde ne cessent de nous parvenir. Elles nous troublent parfois et nous distraient, écoutons un instant ce que disent les « personnes divines » : « Faisons la rédemption du genre humain. » Ignace ajoute : « etc… » pour que nous prolongions leur discours par des paroles qui viennent de nous.

Réfléchir ensuite afin de tirer profit de chacune de ces choses.

P. Hani Rayès sj
Communauté jésuite de Beyrouth au Liban

> Photo : © page Facebook de l’église Saint-Joseph à Achrafieh

Article publié le 30 mars 2020

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