La chapelle de La Storta, l’expérience d’Ignace

Beaucoup des jésuites qui viennent à Rome pour la première fois rendent visite à la petite chapelle de La Storta. Le 8 novembre 1964, à peu près quarante évêques jésuites présents au deuxième Concile du Vatican se rendirent en pèlerinage à ce petit sanctuaire et concélébrèrent dans la cathédrale voisine. Après que la 33ème Congrégation Générale accepta la démission du Père Pedro Arrupe pour raison de maladie, il se rendit à La Storta avec les membres de la Congrégation, le 4 septembre 1983, pour y prononcer son Nunc dimittis. Le lieu de La Storta est fortement lié à la fondation de la Compagnie. Quelque chose de l’expérience que Ignace de Loyola y a vécu est sentie par le pèlerin jésuite.

lastortaL’expérience de La Storta

En novembre 1537, Ignace de Loyola, le fondateur de la Compagnie de Jésus, faisait route vers Rome avec Pierre Favre et Jacques Lainez, deux des dix premiers compagnons. Durant sa prière dans la chapelle, il eut une forte expérience mystique comparable à celle sur la rive de Cardoner à Manrèse, en Espagne.

Les compagnons, qui se considéraient comme amis dans le Seigneur, avaient d’abord voulu se rendre en Terre Sainte comme « missionnaires ». Quand il devint évident que leurs plans ne pouvaient se réaliser, ils décidèrent de se mettre à la disposition du Pape pour être envoyés là où il y aurait un besoin. Ignace et ses deux compagnons se rendaient à Rome pour y préparer la venue des autres qui se donnaient entre temps à du travail pastoral dans et autour de Vicence dans le nord de l’Italie. La décision de fonder une congrégation religieuse n’avait pas encore été prise, mais à ceux qui le demandaient ils répondaient qu’ils étaient de la « Compagnie de Jésus ».

Au cours de son voyage vers Rome, Ignace eut diverses expériences religieuses, soit de crainte des difficultés qu’il pourrait rencontrer à Rome, soit de confiance que Dieu serait propice au groupe. L’événement à La Storta est rapporté par les premiers compagnons avec quelques divergences. Ignace nous dit dans son Autobiographie qu’il priait Marie afin « qu’elle daigne le placer près de son Fils ». Au cours de sa prière dans la chapelle, il eut l’impression si forte que Dieu le plaçait auprès du Christ, son Fils, « qu’il ne pourrait jamais en douter ». Selon Lainez, « il lui sembla voir le Christ portant la croix sur ses épaules et près de lui le Père qui lui disait, « Je veux que tu prennes cet homme comme ton serviteur », et que Jésus le reçut en disant, « Je veux que tu nous serves ».

Vision de la Storta : “il lui sembla voir le Christ portant la croix sur ses épaules et près de lui le Père qui lui disait, “Je veux que tu prennes cet homme comme ton serviteur” (mosaïque dans la chapelle)

De ce moment, Ignace décida, encore selon Lainez, d’appeler la congrégation naissante La Compagnie de Jésus, à cause de sa grande dévotion à ce nom. Une autre fois, il confia à Lainez et à d’autres parmi les compagnons que Dieu avait imprimé sur son cœur les mots Je vous serai propice à Rome. Ne sachant pas ce que ces mots pouvaient signifier, Ignace dit, « Je ne sais pas ce qui nous arrivera; peut-être serons-nous crucifiés à Rome ».

L’expérience eut une profonde influence sur Ignace lui-même et sur l’orientation de la nouvelle fondation qu’il voulait être totalement consacrée à Jésus, portant son nom et accomplissant son oeuvre. ses membres devaient développer une intime union avec Jésus par la prière, le servant sous la bannière de la croix et travaillant ensemble à la gloire de Dieu au service de ceux qu’ils rencontreraient. Ces idées furent reprises plus tard dans la Formule de l’Institut qui se trouve dans la lettre apostolique Regimini militantes Ecclesiae (1540) par laquelle le Pape Paul III approuva la Compagnie de Jésus.

La chapelle de La Storta

À mesure que les premiers compagnons et ceux qui s’adjoignirent à eux prirent connaissance de l’expérience d’Ignace, ils ne manquèrent pas de s’arrêter à la petite chapelle au cours de leurs voyages hors et vers la ville pour réfléchir sur la portée qu’elle avait sur l’esprit de la Compagnie. À la suite des années, ils ne purent que s’attrister du mauvais état de ce sanctuaire bien-aimé, mais il ne pouvait pourvoir à sa restauration puisque la propriété ne leur appartenait pas.

Le village de La Storta se trouvait dans le bourg de Santa Maria di Galeria, patrimoine du Monastère de Sainte Saba concédé par une bulle papale de 1053. En 1276, le monastère céda une partie de ses terres à la famille Orsini qui s’engageait à assurer l’entretien des églises du lieu, dont La Storta.

En 1544 Ignace fait une référence dans son Journal Spirituel à l’expérience qu’il vécut à la petite chapelle de La Storta « d’être placé par le Père près de son Fils ». Cela vint à la suite d’illuminations sur les rives de la rivière Cardoner, si extraordinaires que « toutes choses lui semblaient nouvelles ». Les années passées à Rome jusqu’à sa mort parachèvent l’action divine dans son être. La publication du Journal en 1934 laissa percevoir un aspect de la personnalité d’Ignace jusque là plutôt ignoré. L’homme calculateur, le supérieur exigeant, et l’ascète rigoureux se révéla un contemplatif de sentiments profonds et d’expériences mystiques si fortes qu’il versa souvent d’abondantes larmes. Dans son Journal il mentionne ce don 175 fois.

Quand le monastère cessa d’exister, le Pape Grégoire XIII, suite à une demande de Saint Pierre Canisius, assigna par le décret Postquam Deo placuit (6 août 1571) au Collège Germanique – actuellement le Collège Germanique-Hongrois les revenus de certaines propriétés ecclésiastiques, dont Santa Maria di Galleria. Les Orsini devaient payer chaque année la somme de 1200 ducats d’or, en plus de leurs autres obligations.

C’est seulement après la canonisation d’Ignace et de François-Xavier en 1622 que Ferdinando Orsini, le quatrième duc de Bracciano, de sa propre initiative ou à la demande de ses feudataires, accepta de construire un édifice un peu plus grand, sur la place de la chapelle de la Vision comme on l’appelait alors, où les gens du voisinage pouvaient assister à la messe le dimanche plutôt que d’avoir à se rendre à l’église paroissiale de Isola Farnese. Cependant, le travail avançait lentement. Le bâtiment ne fut complété que quand le Père Oliviera Pensa, recteur du Collège Romain, offrit d’en porter les frais à condition que la nouvelle chapelle fut consacrée au fondateur des jésuites. Ainsi fut fait, et la chapelle fut bénie et ouverte pour les services religieux le 30 juillet 1631.

Après presque soixante-dix ans, l’édifice s’était détérioré au point qu’il risquait de s’écrouler. En ce temps, la fortune des Orsini avait déclinée au point qu’ils furent obligés de vendre une partie de leurs terrains à S. Maria di Galleria que le Collège Germanique (1671) put acquérir. Ceci permit au Supérieur Général, le Père Tyrso Gonzales, de reconstruire la chapelle en 1700. On voit encore sur un mur à l’intérieur la plaque de marbre commémorative de ce geste.

Le travail avait été bien fait mais à la restauration de la Compagnie en 1814 le bâtiment se trouvait de nouveau en mauvais état et, en plus, était passé en d’autres mains ainsi que le terrain alentours. Le Père Général Beckx obtint en 1861 du cardinal Costantino Patrizi Naro, secrétaire de la Curie romaine, le droit de possession de la chapelle. Il ne put cependant rien faire pour la restaurer et ce qui en restait fut fortement endommagé par un bombardement le 18 mai 1944.

storta7Autorisé par le vicaire général, le Père Norbert de Boynes, le Père Tacchi Venturi entreprit les réparations nécessaires. La Sovraintedenza ai Beni Culturali di Roma avait déclaré la chapelle « monument national » en 1930, non pas à cause de sa valeur artistique mais de son importance historique, et s’occupa de superviser les travaux. La chapelle fut de nouveau ouverte au culte le 29 juillet 1945 avec une messe de la fête de Saint Ignace. Toutefois, la situation d’après-guerre ne permettait qu’un travail de réparation provisoire.

Quelques dévots de Saint Ignace décidèrent de construire à La Storta une église plus digne de lui. Un comité fut formé à cette intention en 1923 sous la présidence du Père Léopold Fonck, professeur à l’Institut Biblique Pontifical. À cause du manque d’espace, on décida de laisser la chapelle telle qu’elle était et de construire l’église sur la colline tout près sur une parcelle de terrain donnée par la duchesse Salviati, la princesse Maria Aldobrandini. Ce n’est qu’en 1950, cependant, que l’église fut finalement consacrée avec le changement important qu’elle devenait la cathédrale du nouveau diocèse de Porto et de Sainte Rufina en banlieue de Rome sous le titre des Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie. L’évêque local, le cardinal Eugène Tisserand, informa le Père J-B. Janssens, alors Général, que la chapelle de La Storta était confiée aux soins du curé de la paroisse.

storta8Le Père Pedro Arrupe, vers la fin de son généralat, nomma une commission pour voir ce que l’on pourrait faire pour remettre la chapelle en bon état. On chercha de maintenir un équilibre entre le passé et les adaptations qui s’imposaient. Le Père Eugen Hillengass, économe général de la Compagnie , supervisa les travaux auxquels les provinces jésuites du monde apportèrent leurs contributions. Il introduit du nouveau mobilier et fit installer un système d’éclairage et de chauffage. Le vieil autel de style baroque fut remplacé par une table qui permettait de célébrer la messe face à l’auditoire. Sur le mur de fond, un relief représentant la vision d’Ignace créé par l’artiste jésuite espagnol, le Père Cinto Casanovas, bien connu pour ses sculptures formées d’un amalgame de bronze, de bois et d’acier, prit la place d’un groupe d’images encadrées de la vision d’Ignace au centre et du Sacré-Coeur et de Notre-Dame de Pompéi de chaque côté.

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La chapelle ainsi rénovée fut inaugurée en juillet 1983, en l’absence du Père Arrupe. Deux mois plus tard cependant, le jour où sa démission comme Supérieur Général fut acceptée par la 33ième Congrégation Générale, il se rendit à La Storta pour une messe concélébrée. Son homélie fut lue par un autre. Il y déclara qu’il était venu pour chanter son Nunc dimittis, « même si ma condition physique m’impose le silence ». En conclusion, il souhaita que la collaboration de la Compagnie entière dans le travail de restauration de la chapelle soit le symbole permanent et une inspiration vivace vers un renouveau spirituel, « avec confiance que ne nous manqueront pas les grâces des débuts dont nous gardons le souvenir ici ».

L’intérêt de l’évêque, Mgr Gino Reali, et du curé de la paroisse, Mgr Adriano Furgoni, est particulièrement manifeste à la célébration de la fête de Saint Ignace. Les fidèles assistent à la messe quand elle y est célébrée. Au cours de la journée, des personnes s’ y arrêtent pour une prière. C’est pour cette raison que depuis le début il y a des agenouilloirs en pierre sous les deux fenêtres de chaque côté de la porte.

Après vingt années, un nouvel entretien s’imposait. À l’occasion du triple jubilé que célèbre en 2006 la Compagnie de Jésus , le Père Général Peter-Hans Kolvenbach autorisa certains travaux comme la réfection du plâtre des murs, la réparation du toit, le renouvellement de l’éclairage, du système de chauffage et de l’ameublement. L’évêque bénit la chapelle ainsi rénovée le 18 décembre 2005, quelques jours après l’inauguration de l’année jubilaire à Javier.

Les jésuites se rendent toujours à La Storta pour y chercher, selon les paroles du Père Arrupe citées plus haut, l’inspiration nécessaire au renouveau spirituel du corps de la Compagnie de Jésus, confiants que ne lui manqueront pas les grâces dont le souvenir est gardé ici.

Gregory Naik sj
Traduction de Jérôme Gagnier sj

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Article publié le 28 août 2011

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