La formation des jésuites au service de la mission
La formation fait partie des feuilles de route établies par la Province EOF en 2021. Le P. Bruno Saintôt sj, Délégué du Provincial à la formation, explique qu’elle a pour premier objectif de préparer les jésuites à la mission, au-delà de la diversité des profils et des parcours. Enjeu essentiel depuis la fondation de la Compagnie de Jésus, elle s’adapte aujourd’hui à des défis nouveaux et permet ainsi à chaque jésuite d’être pleinement acteur de sa formation.
Ceux qui ne savent rien de la formation jésuite savent au moins que c’est long. Et ceux qui connaissent les jésuites savent qu’ils ne sont pas tous des intellectuels. Liés intimement au Christ, ils sont passionnés par le service de la foi, de la justice, de la culture et du cheminement libre des personnes. La formation comporte donc beaucoup d’autres dimensions que les « études ».
Une formation liée à une mission
Après une conversion radicale, Ignace de Loyola vécut une forme d’illumination intérieure par laquelle « Il comprit et connut de nombreuses choses ; aussi bien des choses spirituelles que des choses concernant la foi et les lettres » (Récit du pèlerin, n°30). Spiritualité, théologie, culture ne sont pas séparées mais doivent procéder d’une intégration personnelle. Aussi, lorsqu’Ignace voulut réaliser son projet « d’aider les âmes » alors même qu’il conseillait déjà plusieurs personnes, il décida d’étudier.
Aucune illumination ne dispense de se former pour mieux comprendre, servir, aider en respectant les libertés. L’élan qui naît de l’expérience de Dieu dans la prière et dans le regard contemplatif sur le monde requiert la responsabilité d’apprendre, de comprendre et d’affiner son jugement. Pendant près de dix ans après la fondation de la Compagnie de Jésus en 1540, la formation donnée par les jésuites s’adresse aux jeunes jésuites. Puis elle s’ouvre à d’autres avec la fondation des collèges. Il s’agit d’aider de jeunes hommes à chercher et trouver la volonté de Dieu dans une autre vocation que la vie religieuse. Comment contribuer à structurer intérieurement des jeunes pour qu’ils agissent dans le monde selon l’Évangile ? Les jésuites d’aujourd’hui vivent toujours de ce passage, qui cherchait à habiter un nouveau monde façonné progressivement par l’humanisme de la Renaissance.
Quel humanisme chrétien ?
L’humanisme d’Ignace est modelé par son expérience transcrite dans la Contemplation pour obtenir l’amour : « Considérer comment Dieu travaille et œuvre pour moi dans toutes les choses créées » (Exercices spirituels, n°236). Dieu précède toujours nos pensées et nos œuvres. Cet humanisme est aussi façonné par la finalité qui anime ce groupe d’hommes envoyés en mission : « Se consacrer principalement au bien des âmes dans la vie et la doctrine chrétiennes et à la propagation de la foi ». Quelques manières actuelles de traduire dans la formation cette contemplation et cette mission peuvent être évoquées.
Cultiver l’intériorité et l’unification de la personnalité. Dès le noviciat, les jésuites sont invités à cultiver une intériorité qui n’est pas refuge mais bien accueil de son humanité et entrée en profondeur. Devant les risques de la dispersion, il importe de cultiver la profondeur de la connaissance de soi et la profondeur de la relation à Dieu, et de chercher la profondeur dans la manière d’aider et de discerner. Être profond, c’est être pertinent sans être exhaustif.
S’ouvrir à d’autres cultures. La formation comprend des immersions dans d’autres cultures et dans des milieux défavorisés. La rencontre élargit le regard, développe la souplesse de la relation, donne d’oser se tenir aux frontières des sociétés.
Développer une formation globale. Le parcours conjugue formation intellectuelle, spirituelle, relationnelle, communautaire, apostolique, liturgique, etc. A l’école du pape François, il insiste sur l’écoute conjointe de la « clameur des pauvres » et de la « clameur de la terre ». « Tout est lié » n’est pas un slogan mais une méthode pour décrire, comprendre et agir.
L’audace de penser et d’agir. La formation suscite des choix personnalisés. Elle valorise la pensée personnelle dans la confrontation avec des corpus philosophiques et théologiques. Penser par soi, c’est éprouver la rigueur de penser et d’agir avec d’autres.
Quelques défis nouveaux
Être soi en intégrant le corps apostolique de la Compagnie de Jésus. La valorisation des aspirations personnelles doit se conjuguer avec l’intégration dans un groupe de religieux liés par une forme commune de vocation, de manières d’agir et de gouvernement. Si le parcours est long, ce n’est pas en raison de la formation spécifiquement intellectuelle mais des nombreux stages qui permettent de nouer et vérifier cette relation d’appartenance à un corps apostolique.
Mieux intégrer les cultures. Les étudiants jésuites étrangers sont désormais majoritaires dans la Province. Tout en apportant le spécifique d’une formation européenne, il reste à mieux intégrer cette diversité.
Prendre en compte le scandale des violences sexuelles liées à des abus de conscience et de pouvoir. Si des jésuites ont été coupables de tels abus, les mesures de prévention sont désormais claires. Mais il reste à mieux intégrer l’examen de ces dérives et, plus largement, les connaissances psychologiques et des manières ajustées de parler de la vie affective.
Enfin, puisque la mission ne peut plus s’appuyer sur les acquis d’un temps initial, nous avons encore à chercher des réponses personnelles et institutionnelles au défi de la formation continue. Prendre au sérieux ces quelques défis est pour nous une manière d’honorer la vérité et la joie de l’Évangile.
P. Bruno Saintôt sj,
Délégué du Provincial à la formation,
communauté Saint Ignace à Paris
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci de consulter ce lien.
En chiffres
Témoignages
La formation au Centre Sèvres : témoignage du P. Guilhem Causse sj, Directeur du premier cycle au Centre Sèvres-Facultés jésuites de Paris
La formation a pour premier objectif de préparer à la mission. Vu la diversité de ces missions mais aussi des étudiants du Centre Sèvres, la formation est un défi aussi passionnant que complexe. Pour cela, quatre piliers ont été identifiés (appelés les « 4 C ») : la capacité à analyser un Contexte, l’intégration de Connaissances pour former un jugement théologique, l’acquisition de Compétences (parler en public, rédiger un texte, accompagner un groupe, etc.), tout cela porté par le Charisme ignatien. Ce charisme fait l’objet d’enseignements spécifiques (formation à l’accompagnement, lecture des textes fondateurs) autant qu’il irrigue la pédagogie (tutorat, lecture des grands textes de la tradition, évaluation par des « propositions », disputatio, etc.). > Lire la suite du témoignage
La régence, un temps de service et de formation : témoignage de Florian Cazenave sj, scolastique jésuite
Après deux ans de noviciat et cinq années de philosophie et de théologie, j’ai été envoyé, après un discernement avec mes supérieurs, à la communauté jésuite de Bordeaux. Ma mission principale était de travailler comme formateur dans un organisme de formation professionnelle, fondé par les jésuites il y a presque cinquante ans. Ce fut pour moi le moment de la « régence ». > Lire la suite du témoignage