La vie d’un aumônier d’hôpital : témoignage du P. Jean Tuân sj au CHU de Lille

Le P. Jean Tuân sj  au CHU de Lille est aumônier d’hôpital au CHU de Lille depuis 2023. Il témoigne de sa mission d’écoute et de consolation auprès des patients et voit l’hôpital comme le lieu de de grandes souffrances et de fragilité mais aussi de grâces et de réconciliation.

P. Jean Tuân sj hôpital Lille 2 Lorsque j’ai été nommé à Lille, le provincial m’a demandé d’être ministre de la communauté. En dehors de cela, je ne savais pas ce que j’allais y faire. Plus tard, le supérieur de la communauté m’a proposé de devenir aumônier d’hôpital, sous réserve de l’accord de l’évêque du lieu. J’ai accepté assez rapidement cette proposition, même si je n’avais jamais été aumônier de ma vie. Et cette proposition a été confirmée par ma nomination au CHU de Lille par Mgr Le Boulc’h, archevêque de Lille.

Un monde à part à un moment crucial

Avec plus de 16 000 professionnels, le Centre Hospitalier Universitaire de Lille est l’un des plus importants établissements publics de santé au Nord de Paris. Hôpital de référence, d’enseignement, d’innovation et de recherche, il est au service des 6 millions d’habitants de la région des Hauts-de-France. Il possède 3200 lits et forme 3124 étudiants par an. Près de 1,4 millions de patients y sont pris en charge chaque année. Il comprend 10 hôpitaux : hôpital Claude Huriez, hôpital Fontan 1 et Fontan 2, hôpital Swynghedauw, hôpital André Fournier, Institut Cœur Poumon (ICP), hôpital Roger Salengro, hôpital Albert Calmette, hôpital Jeanne de Flandre, et le CIAL (centre de consultation et d’imagerie de l’appareil locomoteur). Je suis employé par l’hôpital public comme aumônier contractuel mais envoyé par l’archevêque de Lille. L’aumônerie du CHU comprend un imam, un pasteur, un prêtre, et six aumônières laïques dont une religieuse fmm. Seulement 5 sites sur 10 ont un lieu de culte. Je suis nommé officiellement à Salengro et à l’ICP, mais suis censé aller partout, là où l’on me demande.

Le CHU ressemble à un campus universitaire où se regroupent des spécialités médicales par pôles : pôle mères-enfants, pôle cœur poumon, pôle psychiatrique, etc. C’est un monde très particulier : les gens ne s’y rendent pas par plaisir mais par désir de guérison, c’est un lieu d’espoir de salut. On peut penser que l’échantillon des malades est assez représentatif de la population française, car, d’une part, toutes les spécialités y sont représentées et, d’autre part, on y traite tous les cas difficiles nécessitant un plateau technique de pointe. Ainsi, le CHU constitue un lieu très intéressant, voire idéal, pour écouter les clameurs de la France profonde.

Par mon travail, il m’est donné de rencontrer des personnes de tous milieux sociaux, de tous âges, de toutes professions, de toutes croyances, et surtout à un moment crucial de leur vie : un moment de souffrance et de fragilité où le doute, l’inquiétude, sont très présents.

Écoute des tranches de vie

Quand un malade vient à l’hôpital il est nommé « patient », et il l’est non seulement parce qu’il souffre, mais aussi, et surtout, parce qu’il doit patienter, attendre souvent longtemps, sauf cas d’urgence, pour être pris en charge. Ensuite il doit patienter encore pour recouvrer sa santé, ou pour sortir et rentrer chez lui, ou bien pour finir sa vie. L’aumônier peut profiter de ce temps pour entrer en relation avec lui. Et quand le malade accepte de vous recevoir et d’entrer en relation de confiance avec vous, c’est alors un moment de grâce. Il vous raconte une tranche d’histoire de sa vie et vous la livre gratuitement.

Parfois vous avez la grâce d’écouter une belle histoire de vie, une vie bien remplie, bien vécue avec des hauts et des bas, et vous y découvrez une très belle âme[1]. Vous en sortez émerveillé et édifié, et vous rendez grâce à Dieu pour avoir été témoin de cette belle histoire. Oui, de telles personnes existent. Et, par le nombre de personnes rencontrées, vous apprenez à reconnaître ce qu’est une belle âme. Elles vous aident à croire, et à garder l’espérance.

À d’autres moments, il vous est donné d’écouter des histoires horribles. Des vies qui sont des concentrés d’horreurs : viols, incestes, maladies incurables depuis l’enfance, suicides, opérations ratées, immolations. Le mal absolu ! Vous vous demandez pourquoi de telles choses existent et pourquoi ces personnes sont venues au monde. En prendre connaissance est un moment de grâce aussi, car il n’est pas facile pour ces personnes de vous les confier. Et vous n’avez aucune raison de mériter leur confiance, surtout en si peu de temps. Vous en sortirez abattu mais heureux d’avoir pu aider ces personnes à se libérer un peu de leur malheur. Par ailleurs, j’ai remarqué que les personnes en fin de vie ont ceci de particulier : elles ne cherchent plus à paraître, à vouloir faire semblant pour séduire, conquérir ou convaincre, elles parlent vrai. Si elles vous font confiance et ont encore leur mémoire, elles vous confieront ce qui fait sens pour elles, ou ce qui les préoccupe et les empêche encore de  » partir ». Vous recueillez ici l’essentiel de ce qui fait le sens d’une vie : le tableau d’une vie vous est donné à contempler. À vous de savoir rendre grâce pour ces paroles ultimes.

Soif de réconciliation 

Au-delà des souffrances du corps, il y a des histoires de vie tellement tourmentées que certaines personnes très angoissées ont du mal à « partir ». Elles ont besoin de voir un aumônier, de confier leurs angoisses et de se sentir rassurées. Parfois une écoute attentive ne suffit pas, il faut aussi savoir consoler. Une présence sereine et paisible est précieuse en ces instants angoissants et pourtant si importants avant la fin. Combien de fois j’ai pu être témoin de l’apaisement apporté au patient par le sacrement des malades, et du réconfort apporté à la famille.

Pour d’autres personnes à l’inverse, le temps d’attente paraît interminable, elles attendent avec impatience leur départ pour retrouver leur conjoint(e). Et c’est beau de voir un tel amour rester intact. Parfois, certaines personnes expriment leur amour de Dieu et disent leur hâte de Le rencontrer, mais ce genre de témoignage est rare.

Dans de nombreuses situations, une soif de réconciliation avec Dieu, et/ou avec son entourage, et/ou avec soi-même, semble être une attente, pas toujours exprimable ou avouable, pour pouvoir partir en paix. Ces personnes vous donnent de pouvoir exercer le ministère de réconciliation et d’amener Jésus à leur chevet. À défaut d’une guérison du corps, vous aidez une âme à se réconcilier avec son Dieu, et peut-être avec elle-même.

Apprendre l’amour à travers la croix

À travers ces rencontres, j’ai appris à relire la passion du Christ. Oui, Jésus a accepté de venir en ce monde pour nous témoigner de l’amour du Père, même au prix de sa vie. Et écouter ces histoires, c’est un peu partager le fardeau de la croix de ces personnes accablées par la vie, comme un Simon de Cyrène partageant malgré lui le fardeau de la croix de Jésus. C’est emboîter ses pas pour rendre tangible ici et maintenant l’amour du Père, du Fils et de l’Esprit. Même si ce n’est pas grand-chose, une oreille attentive et compassionnelle permet aux patients de déposer un peu de ce poids de souffrances, trop lourd à porter seuls, et de se sentir soutenus dans ces moments où ils se sentent abandonnés. Il y a des jours où je rentre à la maison, épuisé par tant d’histoires terribles et en même temps heureux d’avoir pu aider ces personnes à « déposer » leur croix. C’est une école de l’amour : apprendre à aimer les accablés et le Christ, à travers la dépose de leur croix, sans idolâtrer la souffrance, ni en être indifférent. Une écoute compassionnelle permet à ces accablés de raconter en vérité leur histoire remplie de violences. Il est juste qu’ils puissent vider le trop plein pour retrouver la paix intérieure avant de partir vers le Père. Ici le Ps 84, 11-12 résonne magnifiquement en écho :

« Amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent ;

La vérité germera de la terre et du ciel se penchera la justice. »

Accomplir la parole de Dieu

Exercer le métier d’aumônier d’hôpital n’est pas toujours simple ni évident, car s’y concentre toute la misère humaine. On y voit l’homme défiguré par la maladie, parfois par la violence portée contre l’homme, à travers des accidents, des crimes, des suicides, des attentats, des amputations, des brûlures. Surtout en soins intensifs ou en réanimation au CHU, où se trouve le dernier recours médical avant la fin. Et, malheureusement, on appelle aussi très souvent l’aumônier juste avant la fin, dans des circonstances généralement dramatiques quand le corps médical s’avoue à demi-mot vaincu. Mais c’est aussi le lieu où il vous est donné de porter la parole de Dieu, d’apporter un peu de foi et d’espérance là où il n’y a plus d’espoir. C’est là que résonne en moi la parole du Christ : « « 34 Alors le roi dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde.  35 Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger ; j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger et vous m’avez recueilli ; 36 nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et vous m’avez visité ; en prison, et vous êtes venus à moi. » [2] C’est aussi un lieu où vous êtes en première ligne, confronté aux questions de bioéthique par rapport à la fin de vie, à la question de l’euthanasie, aux questions du début de la vie, de l’avortement, aux drames du suicide, du viol, de l’inceste et des abus. Je n’ai jamais été autant confronté à la question du mal. C’est là qu’une vie de prière régulière est nécessaire, voire vitale, pour ne pas sombrer dans la désespérance ou le cynisme.

À travers cet apostolat inattendu, il m’est donné de suivre le Christ de près, d’emboîter ses pas en m’approchant des éclopés de la vie, tout en alternant les rôles de l’écoutant consolateur et de l’orant en quête de Dieu. Leurs récits m’apprennent l’écoute patiente du prochain, de Dieu et de moi-même. Ils me donnent de la matière pour prier Dieu et pour méditer le sens de la vie. Aumônier dans un hôpital, vous y rencontrerez des pauvres, et ils vous conduiront vers Dieu.

Bon temps de l’Avent à vous tous !

P. Jean Tuân sj P. Jean Tuan sj,
jésuite de la communauté de Lille (Montebello)

Notes

[1] Je vous recommande à ce sujet un petit livre : F. Cheng, De l’âme, éd. Albin Michel, 162p.

[2] Matthieu 25 :34-36.

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Article publié le 1 décembre 2024

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