L’accordéon du pauvre : rencontre avec le P. Thierry Monfils, jésuite et musicien des rues

Le P. Thierry Monfils, jésuite et musicien des rues, a trouvé dans cette activité une manière de donner forme à son vœu de pauvreté. Dans le numéro 2022-3 de la revue belge Vies consacrées dont nous publions un large extrait, il témoigne de son riche parcours et de ses nombreux engagements, notamment au service d’ATD Quart Monde, de la pastorale des jeunes, de La Viale-Europe et de Click to pray.

Vies Consacrées – Père Thierry Monfils, vous naviguez entre la France, la Belgique, le Grand-Duché de Luxembourg : est-ce dans cette variété qu’on est jésuite aujourd’hui ?

Thierry Monfils (1) P. Thierry Monfils sj : Oui, la mission jésuite m’a « sorti » de ma Belgique natale et m’a permis de me laisser marquer par des façons de faire vécues ailleurs. Sans qu’il faille nécessairement parler d’identités plurielles, car je reste belge, mes racines sont ici. Mais j’ai beaucoup appris dans le mouvement ATD Quart Monde, depuis la France jusqu’au Grand-Duché de Luxembourg. Le Père Joseph Wresinski a marqué ma vie de jeune et dynamise ma vie de prêtre. Récemment par exemple, nous avions un week-end de prière avec des personnes en précarité au monastère bénédictin de Wavreumont en Belgique ; à un moment donné, nous réfléchissions à l’importance de la messe dominicale – « Oui, c’est bien, disait une dame, mais je ne suis pas vraiment à l’aise dans une église le dimanche, comment pourrais-je y aller ? Je ne suis pas chez moi, là ; je n’y vais pas. Sauf l’aumônier du pèlerinage à Lourdes, lui je le connais, alors quand lui dit la messe, j’y vais. C’est caractéristique de la foi des pauvres : elle est communautaire, elle a besoin de médiations, elle est dans la rencontre ; n’est-ce pas l’essentiel ? […]

« Je suis devenu jésuite parce que la Compagnie de Jésus unit la fraternité au quotidien avec les pauvres. La Compagnie de Jésus est capable de réfléchir avec d’autres aux enjeux structurels qui permettent d’assurer aux pauvres un avenir », témoigne dans cette vidéo le P. Thierry Monfils sj.

Vies Consacrées – Vous êtes parfois musicien de rue. Pourquoi ? Qu’y avez-vous donné et appris ?

Pourquoi je suis musicien de rue ? Je dirais trois choses : par complicité avec les pauvres, pour la musique, pour Dieu. En effet, à Luxembourg, les contacts avec M. Romain Benick, catéchiste, m’ont conduit à nouer des liens avec quelques personnes de la rue. Le premier Noël que j’y ai vécu, je l’ai passé avec l’association « Noël de la rue ». Avec Romain, il m’est arrivé d’aller devant l’Abrigado, lieu d’accueil pour des personnes toxicomanes ; si certains me disaient : « Allez jouer un peu plus loin, on ne s’entend plus » – comme lors d’un petit-déj’ de l’Ordre de Malte où un autre m’a dit « de grâce, laissez-moi me reposer… » –, là devant l’Abrigado, un monsieur de passage m’a demandé de jouer My Way de Franck Sinatra. […]

Thierry Monfils (2)

Avec des personnes sans abri. © revue Vies consacrées

Ma musique créée une complicité inattendue, un air de fête, qui dédouane l’humiliation du recevoir de ceux qui donnent – dans la musique nous sommes à égalité. Musicien de rue, c’est finalement, pour moi, une activité menée pour Dieu, à qui j’ai promis la pauvreté : connaissez-vous un métier plus pauvre que musicien de rue ? Il permet d’être heureux seul, avec Dieu, comme le chantait Serge Gainsbourg, à propos de l’Accordéoniste : « Son copain, son compagnon, c’est l’accordéon. Le musicien des ruelles, pour qui la vie est cruelle, qui c’est-y qui l’aide à vivre, à s’asseoir quand il s’enivre, c’est-y vous, c’est moi ? Mais non, c’est l’accordéon. »

Vies Consacrées – Nous sommes en juillet 2022 : c’est la fin de l’année ignatienne. D’après vous, en tous les cas dans votre expérience, quels sont les principaux fruits de cette année ?

Les nombreuses vidéos de Prie en chemin à découvrir sur leur chaîne Youtube.

Tant de belles choses sont vécues en cette année ignatienne [qui s’est ouverte en mai 2021 à l’occasion du 500e anniversaire de la blessure d’Ignace de Loyola à la bataille de Pampelune]. Beaucoup de créativité et un grand sens de la réconciliation. La créativité se partage en notre ère 5.0 via de belles initiatives en ligne (le Cardinal Hollerich, archevêque de Luxembourg et également jésuite, a comparé l’entrée dans le monde numérique à l’ère nouvelle permise par l’introduction de la roue). La plateforme de spiritualité ignatienne Prie en chemin réalise maintenant aussi des vidéos. À Luxembourg, la communauté dominicale du Christ-Roi a (re)découvert de la spiritualité ignatienne de façon très branchée, avec durant le Carême « Quarante jours pour dépoussiérer nos images de Dieu avec la spiritualité ignatienne », et plus tard, une récollection appelée « Oasis de silence avec Dieu » (pourriez-vous dire non à une telle proposition ?), puis bientôt une nouvelle édition du Camino ignaciano. Tant d’initiatives si créatives. Et dans un contexte ouvert aux vocations de chacun. Pour cela, le P. François Boëdec sj, Provincial, nous invite à valoriser nos contacts avec les familles ; le P. Christian Motsch sj, responsable de notre chapelle, a mis sur pied à Luxembourg une équipe de jeunes professionnels, une équipe Magis et développe dans le Grand-Est de la France une dynamique ignatienne où les amis laïcs sont très actifs et portent la spiritualité ignatienne, en donnant des retraites, en offrant un accompagnement, en ouvrant des possibilités de discernement. […]

Vies Consacrées – Voyez-vous autre chose d’important à communiquer à nos lecteurs ?

Le changement d’époque va nous mettre au défi de vivre les secousses de manière évangélique : accueillir les réfugiés du climat en considérant que notre Terre est à tout le monde (« accueillir, protéger, promouvoir et intégrer »). Notre égoïsme y fera obstacle, mais nous pouvons compter sur Jésus-Christ, sur les pauvres et sur la société civile pour stimuler notre sens des responsabilités. Le Seigneur continue de porter dans ses mains ce monde souffrant et en crise. […] Des signaux s’agitent, disant : « fin du monde, fin du monde ». Fin d’un monde, oui ; mais confiance, il vaut la peine de vivre l’idéal de l’Évangile. Le pape François nous en ouvre la voie, lui qui a si bien intégré la mondialisation : faire la guerre est devenu obsolète. Et bannir un ennemi ne sert à rien, il est avant tout un frère qui s’égare ; il va devoir être jugé, peut-être, sans haine, mais en attendant je vais aller lui parler pour lui montrer qu’il ne doit pas se replier sur des frustrations du passé. Il est quelqu’un. Mais être quelqu’un invite à laisser vivre les autres. […]

Propos recueillis par Noëlle Hausman, s.c.m.
pour la revue Vies consacrées

> Source : article de la revue Vies consacrées n°2022-3, juillet 2022

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revue vies consacrées Vies consacrées est la seule revue internationale en langue française sur toutes les formes de vie consacrée qui éclaire et accompagne des engagements toujours plus évangéliques dans toutes les formes de la vie consacrée. Fondée par deux jésuites, un français et un belge, la revue est issue d’une longue tradition qui a connu divers titres (Revue des Communautés en 1925, Vie consacrée en 1965 et Vies consacrées en 2004). Elle a pu compter sur la collaboration des jésuites d’abord, auxquels se sont ensuite joints d’autres membres de toutes les formes de vie consacrée connues dans l’Église catholique. À l’occasion de l’année ignatienne, Vies Consacrées donne accès à plus de 26 articles sur le thème de la spiritualité ignatienne, dont la plupart sont en accès libre, et à plusieurs recensions d’ouvrages.
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Article publié le 22 juillet 2022

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