Le Jeudi saint, faire de nos vies une éternelle offrande à la louange de la gloire de Dieu
Depuis sa communauté à Paray-le-Monial, le P. Xavier Jahan sj médite sur la signification du Jeudi saint. Il invite à voir la réalité vivante de l’Eucharistie qui ne se joue pas seulement dans la célébration liturgique mais aussi dans la simplicité de nos vies, particulièrement cette année en raison du confinement.
Comme tous les Jeudis saints, nous célébrons aujourd’hui l’institution de l’Eucharistie. Cette année cette célébration aura un goût bien amer à cause du confinement qui nous empêche de nous réunir pour célébrer ensemble. Mais de cette épreuve, de ce jeûne eucharistique forcé, qui peut nous faire réellement souffrir, nous pouvons tirer néanmoins un profit : celui de redécouvrir, de manière avivée, combien la réalité vivante de l’Eucharistie ne se joue pas seulement dans la célébration liturgique mais aussi dans la simplicité de nos vies dès lors qu’elles se donnent dans un acte d’offrande libre et gratuit.
Nous savons tous et avons depuis longtemps remarqué que pour célébrer l’institution de la sainte Cène, le dernier repas du Seigneur, la liturgie nous fait entendre le seul Évangile qui ne nous décrit pas le repas de Jésus comme les trois évangiles synoptiques, mais la scène du lavement des pieds… Nous avons alors pris souvent l’habitude d’assister à nos célébrations à une illustration de ce récit par un lavement formel des pieds de quelques-uns de l’assemblée par le prêtre présidant la célébration. Et en rester là.
« Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi »
Cette année nous pouvons faire davantage attention à l’interpellation finale de Jésus dans cette séquence : « Ce que j’ai fait pour vous, faites-le vous aussi » (Jn 13, 15) et peser les conséquences que cette interpellation entraine. Cette interpellation rejoint la fin du récit de l’institution de l’Eucharistie que rapporte l’évangile de saint Luc : « faites cela en mémoire de moi » (Lc 22, 19), et que reprend saint Paul dans sa lettre aux Corinthiens (1Co 11, 24-25). Cette interpellation de Jésus nous fait comprendre que la réalité de sa Présence qui se joue dans le pain et le vin consacrés par le prêtre, se retrouve de manière similaire dans le geste de service humble que signifie le lavement des pieds.
Autrement dit, quand nous entrons nous-même dans ce geste du service humble des autres, décentré c’est à dire détaché d’une préoccupation enfermante de nous-même, alors la présence du Seigneur y est tout aussi réelle… Ce geste de service a donc une véritable portée eucharistique ! On peut dire alors que la présence réelle qui se joue dans la modalité de la célébration liturgique sacramentelle, est la même qui se joue dans la modalité du service humble et discret du frère et de la sœur que je suis amené à rencontrer.
Ainsi, si ma vie de croyant est nourrie par le pain eucharistique que je reçois lors de la célébration sacramentelle, elle l’est aussi par le geste de service qui s’enracine dans le geste même de Jésus. Mystérieusement, notre communion au Corps du Seigneur se joue aussi dans la réalité de ce service qui est appelé à se déployer dans le secret de ma vie quotidienne, fusse-t-elle confinée. En faisant un pas de plus, nous pouvons dire que nos vies deviennent elle-mêmes eucharistiques dans la mesure où nous entrons à notre tour dans le geste même de Jésus, « Faites ceci en mémoire de moi ».
Concrètement ?
Mais où trouver ce service à faire, alors même que je suis justement confiné, et peut-être même alité sur un lit car souffrant nous-même de la maladie ou même de toute autre maladie ? Dans la mesure de mes forces, je suis appelé à me rendre attentif particulièrement à celles et ceux qui autour de moi peuvent avoir besoin d’un geste, d’une parole de soutien : ne serait-ce qu’une petite conversation téléphonique avec quelqu’un que je sais particulièrement fragile, isolé, prisonnier de la peur, etc.
Mais même si je suis particulièrement affaibli, je me souviens de l’attitude fondamentale que nous rappelle saint Paul dans sa lettre aux Romains : « Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps – votre personne tout entière –, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. » (Rom 12, 1). Cette attitude de l’offrande peut ainsi tout transformer en service. L’offrande de notre personne toute entière (pas seulement une opération mentale) : c’est un véritable sacrifice vivant.
A chacun de trouver sa manière singulière de l’exprimer, mais cela vient prendre tout ce que je suis, tout ce que je vis. Ce geste est le geste eucharistique par excellence, celui de Jésus vers nous : « Ceci est mon Corps livré pour vous ». À chacun donc de le déployer, à son tour, dans le secret de son lieu de vie confiné. Alors ne négligeons pas ce trésor que l’austérité de notre Jeudi saint de cette année 2020 nous fait peut-être redécouvrir avec une vigueur nouvelle : entrons dans le geste même de Jésus, faisons de nos vies des eucharisties vivantes, en commençant simplement et peut-être même sans pouvoir aller au-delà, par l’offrande de nos vies telles qu’elles sont, aussi pauvres et démunies soient elles.
Renouvelons chaque jour sans crainte, sans routine et sans découragement, cette offrande quotidienne, avec le secours et le soutien de l’Esprit Saint. Nous y redécouvrirons une saveur eucharistique que nous pensions inaccessible.
P. Xavier Jahan sj
Communauté jésuite de Paray le Monial
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Article publié le 2 avril 2020