« Les animaux et les humains », ou l’émergence d’un nouveau lieu théologique : éclairage du P. Éric Charmetant sj

Les animaux ont-ils une valeur propre devant Dieu ? Le P. Éric Charmetant sj, co-directeur de l’ouvrage collectif, L’Église et la cause animale – Vers une théologie chrétienne des animaux (Éditions Facultés Loyola Paris, 2024), fait le point sur l’évolution de la conscience chrétienne sur cette question, sous l’impulsion de Laudato si’ et de son cheminement personnel.

Si la question du statut ontologique et éthique des animaux est ancienne, avec des débats philosophiques et théologiques de l’antiquité grecque à nos jours, elle connaît aujourd’hui un renouveau sur trois plans. En premier lieu, les études en éthologie font découvrir beaucoup de variabilité entre individus et entre groupes au sein d’une même espèce, au point de parler de « cultures animales ». Ensuite, depuis les années 1970, la sensibilité à la souffrance animale, tant dans l’expérimentation, les loisirs (chasse, corrida, etc.), l’élevage ou la mise à mort s’est beaucoup développée, et a permis d’introduire, dans beaucoup de pays d’Europe, un plus grand respect des animaux dans le droit. Enfin, l’écologie souligne, à travers ses études sur les écosystèmes et les milieux, combien la vie humaine est dépendante d’une multitude de relations avec des espèces animales.

Une vision théocentrée de tous les êtres vivants

Nwowe Emmanuel châtelard

À l’écocentre spirituel jésuite du Châtelard, les animaux sont un enrichissement pour l’écosystème et aident à la composition de lieu par les retraitants pour les oraisons. Ici, Nwowe Emmanuel Wanfeo sj.

Depuis les années 1970, des théologiens protestants, en Grande-Bretagne surtout, comme Andrew Linzey ou plus récemment David Clough ont été des précurseurs d’une prise au sérieux d’un point de vue théologique du salut des animaux et d’une éthique chrétienne envers les animaux. Côté catholique, des membres d’associations de protection animale comme Jean Gaillard en France ou Deborah Jones en Grande-Bretagne ont œuvré par des publications à un changement de regard et à une conversion de l’idée que le souci des animaux s’effectue au détriment du soin des humains, et réciproquement. En réalité, il y a un cercle vertueux entre entendre la clameur des pauvres et la clameur des animaux, victimes des maltraitances de nos sociétés : prendre soin des animaux et des humains souffrants, c’est prendre soin du milieu et des liens qui portent conjointement les êtres humains et les animaux.

En 2015, l’encyclique Laudato si’ (LS) a revivifié la conscience chrétienne que les animaux sont des créatures de Dieu et ont de ce fait « une valeur propre devant Dieu » (LS 69), indépendante de leur utilité pour l’homme. Une telle vision théocentrée de tous les êtres vivants interroge en retour vigoureusement aussi bien les modes d’élevage et d’abattage que la diminution de la biodiversité due aux activités humaines.

Importance d’une relation profonde avec les êtres de la nature

© Estela Torres

© Estela Torres

À titre personnel, outre mes nombreux souvenirs d’animaux sauvages et d’élevage dans la région lyonnaise, c’est la rencontre en 1997 des débats philosophiques suscités par les travaux de Peter Singer sur la libération animale, le spécisme (« racisme envers les espèces non humaines ») et sa conception de la personne, qui a éveillé mon intérêt pour la question animale. Depuis 2010, la dimension écologique est venue rejoindre la question animale en soulignant l’importance d’une relation profonde avec les êtres de la nature et en me conduisant à proposer avec d’autres des retraites « Écologie et Exercices spirituels« , dont un des fruits est le livre Parcours spirituel pour une conversion écologique : l’appel de Laudato si’ (2020), écrit avec le F. Jérôme Gué sj.

Plus récemment, des rencontres providentielles avec des militants associatifs catholiques de la cause animale, notamment Jean Gaillard (1935-2022) co-fondateur de Notre-Dame de toute pitié à la fin des années 1960, et Estela Torres, responsable de la Fraternité pour le respect animal, ont fait germer l’idée de journées d’étude sur « L’Église et les animaux » aux Facultés Loyola Paris. Les thèmes abordés, « Les animaux ont-ils leur place dans l’Église ? » (29 mai 2021), « Quel salut pour les animaux ? » (9 octobre 2021), « Quelle éthique chrétienne pour les animaux ? » (27 novembre 2021), « Perspectives chrétiennes sur les animaux d’élevage » (8 juin 2023) ont abouti à la parution en mai 2024 de l’ouvrage L’Église et la cause animale : vers une théologie chrétienne des animaux, qui contient en outre une première partie sur des parcours de militants chrétiens de la cause animale en France et en Europe. Mais l’aventure ne s’arrête pas là : une journée sur la médiation animale a eu lieu en juin 2024 et des recherches sont en cours sur la portance des relations entre humains et animaux intégrant les plantes et les arbres. Un groupe de prière mensuelle est aussi né avec des personnes sensibles aux relations avec les animaux.

P. Éric Charmetant sj P. Éric Charmetant sj

En savoir + sur le livre

L’Église et la cause animale : vers une théologie chrétienne des animaux

Issu de colloques organisés par les Facultés Loyola Paris et deux associations catholiques de protection animale (Notre-Dame de toute pitié et la Fraternité pour le respect animal – FRA) entre 2021 et 2023, cet ouvrage présente les réflexions de militants de la cause animale et d’universitaires dans une perspective oecuménique, sous la co-direction du P. Éric Charmetant sj.

Inédits en langue française, ces travaux interdisciplinaires proposent un panorama des recherches actuelles en théologie animale et des jalons pour des développements futurs.

L’Église et la cause animale, Éric Charmetant sj et Estela Torres (dir.), Éditions Facultés Loyola Paris, 2024.

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