Les jésuites au Chili : une mission au bout du monde

jésuites chili Un édit de Philippe II d’Espagne en date du 12 septembre 1590 demandait l’envoi de jésuites au Chili. Citons le texte intégral du roi : « Je vous prie instamment d’envoyer Juan Ramón de la Compagnie de Jésus au Chili et qu’il amène avec lui sept compagnons jésuites en vue de convertir et d’instruire dans la foi les indigènes ». Retour dans le temps avec les « missions circulaires » de l’archipel de Chiloé il y a 400 ans. Une méthode d’évangélisation qui a produit des résultats étonnants.

C’est ainsi que, le 11 avril 1593, en provenance du Pérou, les premiers missionnaires jésuites arrivèrent à Santiago. Très tôt, ceux­ci ouvrirent une résidence, un collège, un pensionnat à Santiago; puis vinrent les missions de l’archipel de Chiloé et d’Arauco. Si les difficultés ne manquèrent pas à Arauco et à Nahuelhuapi, la mission des quatre-vingts prêtres jésuites parmi les habitants de la vaste région de l’archipel de Chiloé produisit vite des fruits. Nul doute que la parole de Jésus «Il faut que j’annonce aussi aux autres villes la bonne nouvelle du royaume de Dieu, car j’ai été envoyé pour cela» (S. Luc 4, 43) résonnait dans le coeur de ces dignes fils de saint Ignace de Loyola.

Crucifix en bois de l’église Sainte-Marie de Colo

La simplicité de la méthode missionnaire de ces jésuites évangélisant ces populations dispersées dans les îles lointaines de Chiloé nous émerveille encore aujourd’hui. Reportons-nous en l’an 1609. Éparpillés dans les îles de Chiloé (sud du Chili – 42°30′ parallèle sud), ces aborigènes – alacalufes, chonos, yaganes, huiliches – parlaient tous des langues différentes et habitaient des cabanes de bois et de paille. C’est en décembre 1608 qu’arrivaient parmi eux les pères Melchor Venegas et Jean-Baptiste Ferrufino pour commencer leur travail missionnaire. Année après année, ceux-ci et leurs compagnons jésuites devaient consacrer plusieurs jours à voyager dans des embarcations peu sûres en vue d’effectuer leur mission d’évangélisation. Suivant un plan bien précis, ils parcouraient ces îles dispersées, évangélisant à la manière de Jésus, saint Paul, saint François Xavier et de tant d’autres passionnés de la foi catholique.

Peu après leur arrivée à Castro en 1609, les jésuites entreprirent leur « mission circulaire » et visitèrent quelques-unes des îles de l’archipel, avant de se rendre plus au sud dans les archipels Guaytecas et Chonos (44° parallèle sud) jadis visités par les premiers missionnaires. En plein air et ensuite dans des chapelles toutes simples, les missionnaires parlaient de Dieu à ces populations, s’exprimant dans des langues très diverses, habituées à braver le froid et la pluie, renommées pour leur force physique et mentale ainsi que pour leur habileté à naviguer.

L’expérience missionnaire acquise par la Compagnie de Jésus depuis sa fondation servait de référence à ces prêtres qui arrivaient dans un coin du monde unique tant par sa majesté que par sa diversité. L’exemple et la parole de saint Paul « Dieu notre Sauveur veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Timothée 2, 4) les soutenaient, tout comme l’enseignement de saint Augustin: « Si tu veux aimer le Christ, que ta charité soit à la dimension de l’univers, puisque les membres du Christ sont dispersés de par le monde » .

Écoutons le père José García nous parler de la mission circulaire annuelle: «Le 17 septembre – avec le début du printemps, les pères missionnaires quittent le collège, emportant avec eux les ornements d’autel et le nécessaire pour l’administration des sacrements, même si chaque lieu a son église ou sa chapelle. La pauvreté des gens ne leur permettant pas d’avoir un autel et des statues, cela oblige les missionnaires à transporter dans une caisse le Christ de 5 à 6 empans (un mètre) de hauteur, la Vierge des Douleurs et saint Jean-Baptiste. Disposée verticalement, la caisse sert d’autel principal ….».

Procession avec l’image du «Nazaréen» à Caguach

« Sur la plage, les gens de l’endroit attendent les missionnaires en rangs, la croix ouvrant la procession. Sans tarder, on déballe les statues et on se rend à l’église en chantant le «Notre Père» et l’ «Ave Maria». Selon un ordre bien établi, chaque groupe se charge de transporter son saint ou sa sainte: les enfants le Sacré-Coeur de Jésus, les hommes célibataires saint Jean, les hommes mariés saint Isidore, les filles Notre Dame des Douleurs, les dames mariées sainte Notburga, les notables le Christ. Dès leur arrivée à l’église ou à la chapelle, les missionnaires préparent les trois autels, et le gardien de l’église, homme reconnu pour sa sagesse, doit veiller au bon maintien du lieu, des lumières, du silence, ce qui inclut éloigner les chiens. » À chaque endroit, les missionnaires demeuraient trois ou quatre jours, parfois une semaine ou davantage. Le temps était bien rempli: enseignement de la doctrine chrétienne aux enfants et aux adultes; administration des sacrements et prédication de la Bonne Nouvelle. On devait aussi s’assurer d’instruire et de bien former les bedeaux, pour qu’en l’absence des missionnaires ils puissent administrer dignement le sacrement du baptême; enfin les missionnaires portaient toujours un soin particulier au règlement des différends et querelles qui pouvaient surgir dans ces communautés indigènes.

Crucifix en bois de l’église de Dalcahue. La dévotion populaire est très développée dans cette région, comme dans toute l’Amérique latine.

Tous les ans, on reprenait le même enseignement. Un système pédagogique qui donnait de bons résultats, la répétition permettant d’approfondir la doctrine et de mieux saisir le message central de l’Évangile, fondement d’une vie chrétienne authentique. En bref, on visait à une évangélisation en profondeur. Encore aujourd’hui, Chiloé maintient la tradition des chants et de la musique sacrée, en particulier celle des hymnes liturgiques apprises au 17ème siècle du temps des jésuites. Ces missions annuelles ont produit de grands fruits au cours des années, ce qui provoque encore de nos jours l’émerveillement.

Le missionnaire tenait aussi un registre démographique des indigènes de chaque village ou endroit. Ce qui permettait de connaître sur une base annuelle le nombre de naissances, mariages et décès de chaque région. C’est ainsi qu’on peut parler de 83 endroits appelés « villages d’indigènes » dont la chapelle toute simple constituait l’élément d’unité. Entre les visites annuelles des missionnaires, les communautés devaient prendre en charge elles-mêmes le maintien de leur foi récemment acquise. C’est ainsi qu’est apparue la fonction du « bedeau » qui perdure jusqu’à nos jours.

La dernière « mission circulaire », celle de 1767-68, fut l’oeuvre des pères Miguel Meyer et José García Marti, avec l’aide occasionnelle du père Cristobal Cid. Elle se termina de façon abrupte le 8 décembre 1767 en la chapelle du Curaco quand les officiers du gouvernement signifièrent aux pères Meyer et Marti leur arrestation et leur exil. Le lendemain, le père Meyer posa un dernier geste en bénissant deux mariages. (Hartes, S.J., José: « Los Jesuitas en Chiloé. 1610-1767 ». Separata Revista « San Javier ». Ano IV. Abril 1931. Puerto Montt) Ce ne fut pas un événement isolé, puisque leurs compagnons jésuites oeuvrant à Santiago, Concepción, Valdivia, Rece, Bucalemu, Talca, etc. durent faire face à la même épreuve. Les douze jésuites de Chiloé se retrouvèrent prisonniers à El Callo au Pérou et furent remplacés par les franciscains.

Ces « missions circulaires » prônaient la responsabilité laïque et une foi incarnée dans la vie de tous les jours. Chaque petite église locale développait ses dévotions typiques à Marie et à ses saints préférés.

Cette forme d’apostolat d’il y a 400 ans illustrait déjà « cette disponibilité pour la mission universelle de l’Église qui marque la Compagnie de Jésus d’une manière particulière, qui donne un sens à son voeu spécial d’obéissance au Pape et fait des compagnons jésuites un unique corps apostolique consacré à servir, dans l’Église, les hommes et les femmes en tous lieux. » (35ème CG, décret 2, 16).

Eduardo Tempe Maldonado sj
Traduction de Marc Brousseau sj

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> Photo : © Jésuites du Chili

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Article publié le 12 septembre 2011

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