« L’Évangile, une boussole pour orienter nos choix » – éclairage du P. François Boëdec sj
A quelques jours d’une échéance majeure pour la vie de notre pays, des sentiments divers peuvent nous habiter : colère, sentiment de gâchis, lassitude voire désintérêt, désir d’en découdre….
Il y a celles et ceux qui sont déterminés dans leur vote, celles et ceux qui ne savent pas ou qui hésitent.
C’est devant un discernement que l’on peut qualifier de spirituel que nous nous trouvons. Il sera spirituel si nous acceptons en vérité de le placer sous le regard de Dieu et de lui demander que son Esprit nous éclaire.
Lorsque l’on regarde la situation actuelle, nous avons devant nous l’image d’un pays profondément divisé, à fleur de peau, qui n’arrive pas à se parler. Cela fait des années que nous voyons cette dangereuse évolution. Les conditions d’un débat raisonné et respectueux qui permet à chaque instant que s’élabore pour un temps un contrat social ne sont plus réunies. Et les institutions semblent ne plus permettre le dialogue républicain. On ne fait plus confiance à l’État. La vie politique en crise s’est emballée, et dans la fièvre médiatique, on pense s’en sortir en forçant l’allure et en bousculant les choses. Nous atteignons aujourd’hui un paroxysme qui risque d’entraîner un blocage du pays. Beaucoup de nos concitoyens se radicalisent, et la violence n’est pas loin. Celle-ci commence par la parole. Il y a un véritable continuum de la violence qui va de la parole à l’acte.
N’acceptons pas des discours de haine, d’accusation, d’exclusion, ne laissons pas se banaliser cette habitude, quels que soient ceux qui les prononcent, et les raisons qui peuvent l’expliquer. Les réseaux sociaux entretiennent cela. Populisme, complotisme, accusation ou désir révolutionnaire de tout poil obscurcissent le jugement et falsifient la vérité. Le mauvais esprit est à l’œuvre en tout cela. La radicalisation n’a jamais apporté les bonnes réponses. Et les sociétés divisées risquent toujours de vouloir retrouver une unité dans la violence. Les adversaires politiques ne doivent jamais devenir des ennemis. L’immense majorité de nos concitoyens aspire au calme, loin de l’excitation, du trouble et du chaos.
Dans ce temps court de réflexion, sans doute pouvons-nous être sensibles à plusieurs éléments.
D’abord, il convient de regarder en face les passions et les sentiments qui peuvent nous habiter face à la situation politique et influencer nos votes. S’ils peuvent s’expliquer, veillons à ne pas en être prisonniers, ne pas les laisser décider de notre choix, et essayons d’élaborer un jugement rationnel explicable face aux enjeux qui se posent.
Ensuite, il y a beaucoup de désolation dans la vie de notre pays. Tout n’est pas au même niveau, mais la plupart de nos concitoyens vivent avec des colères sourdes : véritables difficultés à joindre les deux bouts pour certains, sentiment d’insécurité pour d’autres, peur de perdre son identité face aux changements du monde, sentiment de déclassement devant l’état des services publics… Il y a de la souffrance dans ce pays, et ce sont les causes de ces souffrances qu’il faut combattre, pas les électeurs d’un camp ou d’un autre. Mais le sentiment le plus fort qui rend le présent insupportable est celui, à tort ou à raison, à droite comme à gauche, de n’être pas entendu ou considéré au plus haut sommet de l’État. Nos choix politiques doivent privilégier les personnes qui seront à l’écoute du pays : elles doivent pouvoir faire preuve d’humilité, de modestie autant que de compétence et de sagesse.
L’Évangile n’est évidemment pas une feuille de route électorale mais il peut être une boussole pour orienter nos choix, même si aucun programme ne pourra correspondre à l’horizon évangélique. Il n’en reste pas moins que l’on peut scruter les programmes et les postures des uns et des autres en ayant les valeurs évangéliques comme référence. Ainsi l’attention aux plus faibles, la place de l’étranger, l’égale dignité humaine ne peuvent passer par pertes et profits. A cet égard, l’enseignement social de l’Église depuis toujours peut éclairer les consciences.
Et puis il y a tous les sujets importants qui touchent à notre avenir : quelle Europe voulons-nous alors que la guerre est à notre porte et la cohésion indispensable ? L’engagement écologique sera-t-il vraiment à hauteur des urgences et des basculements qui sont là ? Le respect de la vie, dans toutes les situations, éthiques et sociales, du début à la fin, sera-t-il une ligne de force ?
Sur toutes ces questions, et sur d’autres, chacun met des priorités qui vont orienter son choix. Ne perdons-pas de vue la cohérence des programmes, leur faisabilité, et les conséquences pour la société. En conscience, quels programmes peuvent permettre à notre pays et à tous ses habitants d’avancer ensemble et de faire face à tous ces défis ?
Au final, il s’agit d’aller voter. Car on ne peut se désintéresser de ce qui fait son avenir, celui de ses proches, celui de notre pays. Il s’agit de voter en conscience, en ayant toujours à l’esprit de quoi notre pays a le plus besoin aujourd’hui, en ayant à cœur, au-delà de nos passions, l’intérêt général et la cohésion dont le pays a besoin. Quels candidats et programmes permettront le moins mal cela, et semblent faire preuve de plus de responsabilité ?
La France est un beau pays qui a des atouts extraordinaires, et notre société bénéficie d’avantages que beaucoup nous envient. Prompts à la critique, nous ne nous en rendons pas toujours compte. Il suffit parfois d’aller à l’étranger pour en prendre davantage conscience. Faisons attention à ne pas épuiser notre pays dans des affrontements stériles et dangereux pour l’avenir. Et à ne pas le faire basculer dans un chaos aux conséquences imprévisibles.
Et puis, il y aura après-demain. Au-delà du vote et des résultats, il nous faudra vivre ensemble. Le plus important commencera là. C’est là que les chrétiens ont à être présents, loin de tout enfermement. Au nom même de leur foi, il convient aux chrétiens de permettre que la parole circule, que les conditions du débat soient là, que le bon esprit travaille. Pour faire vivre la fraternité de notre devise républicaine si mise à mal actuellement. Pour empêcher que notre société ne se déshumanise et sombre dans la violence. Sommes-nous prêts à nous engager pour cela ?
P. François Boëdec sj
20.06.2024
Article publié le 21 juin 2024