Témoignage de la coordinatrice du JRS France à Saint-Denis
Saint Denis, le 18 novembre dernier. «Tout est fermé, le métro, le tramway, les écoles et les crèches. La mairie demande à toutes les personnes de Saint-Denis de rester chez elles. Nous saluons les efforts de la mairie pour la sécurité. Et nous nous faisons solidaires de pays qui vivent cela au quotidien: la Syrie, l’Afghanistan, le Liban, le Yémen, le Mexique. Nous sommes consternés. Mais nous allons bien. Notre espérance: la haine n’aura pas le dernier mot.»
Marcela Villalobos Cid habite Saint-Denis, «à dix minutes à pied» de l’endroit où a eu lieu, mercredi dernier, l’assaut contre cet appartement qui abritait des organisateurs présumés des attentats de Paris. C’est sur Facebook qu’elle a écrit ces mots afin de rassurer ses amis qui s’inquiétaient de son sort, celui de son mari, Guillaume, et de leur petite fille Kateri.
«Chers amis et amies, l’assaut est fini, les forces de l’ordre sont en train de sécuriser Saint-Denis. Nous sommes reconnaissants d’avoir un gouvernement qui prend des mesures efficaces pour la sécurité des habitants. Merci pour vos messages, vos prières et vos pensées», a-t-elle écrit de nouveau dans son compte Facebook lorsqu’elle a pu quitter sa résidence, vers 14h.
À 4h30, ce mercredi-là, elle fut réveillée par des coups de feu. Ou plutôt un tir nourri – durant 45 minutes, elle n’oubliera pas ces longues minutes – l’a tirée du lit. «Nos volets était fermés et nos fenêtres sont à double vitrage, mais on entendait très distinctement les tirs. Nous n’étions pas angoissés, mais seulement inquiets.» À la télévision, les responsables de la mairie et de la préfecture expliquaient la situation. «Il y a un assaut lié aux actes terroristes de Paris. Il faut demeurer à la maison», donnait-on comme consigne.
Saint-Denis, un choix de vie
Coordonnatrice du pôle Hospitalité auprès du Service jésuite des réfugiés (JRS) et de son programme Welcome en France, Marcella Villalobos Cid, 36 ans, vit à Saint-Denis, un quartier populaire au nord de Paris, depuis un an et demi.
«Nous habitions avant dans le quartier du Marais, à Paris. Mais nous voulions vivre dans un quartier plus populaire, un quartier qui ait du sens pour nous», dit-elle. Habiter Saint-Denis s’est rapidement imposé.
«C’est proche de Paris et du travail, facilement accessible par le transport en commun, près de nos amis. Voilà pour le côté logistique. Mais la vraie raison, c’est que Saint-Denis représente très bien la société, le monde d’aujourd’hui», dit la coordonnatrice de JRS-France. Elle explique que 100 000 personnes vivent dans ce quartier et sont de 170 nationalités différentes.
«On a ici une vie communautaire très riche, il y a une grande concentration de jeunes et c’est la terre d’accueil de nombreux immigrants», dit Marcela. À Saint-Denis, vivent aussi, en très bons termes, «des catholiques, des musulmans, des juifs et des protestants. Toute cette diversité nous a aidés, Guillaume et moi, à choisir Saint-Denis.»
Le couple y a maintenant de nombreux amis. Des amis, de toutes nationalités, qui n’ont pas cessé, le matin du mercredi 18 novembre, de leur envoyer des textos. «On voulait savoir comment on allait, si la famille était en sécurité, si on avait besoin de quelque chose.»
À 14h, la vie a repris son cours à Saint-Denis. «C’est pourtant une ville très animée. Mais jusque-là, on regardait par les volets et on ne voyait pas un seul passant. Puis quand le président François Hollande et le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve ont annoncé que l’assaut était terminé, on a entendu les volets s’ouvrir, on a vu les enfants sortir et prendre le chemin des garderies. Nous, on voulait prendre l’air, promener la petite, puis aller voir des amis. Nous avons marché vers le centre-ville et l’endroit où a eu lieu l’assaut. C’est un chemin qu’on parcourt tous les jours.»
Les attentats de Paris
Les attentats du 13 novembre à Paris ont bouleversé Marcela Villalobos Cid. Elle rappelle qu’en janvier, d’autres attentats avaient aussi ému le monde. Le 7 janvier, la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo était décimée puis, deux jours plus tard, des militants islamistes tuaient des clients d’un commerce juif.
«Ces attentats étaient très ciblés. On en voulait aux caricaturistes et aux juifs. Cela nous a choqués et nous avons participé aux manifestations contre ces gestes. Mais cette fois, vendredi, tous étaient ciblés. Au Bataclan, une de mes amies y était. Grâce à Dieu, elle en est sortie vivante.»
Elle dit que «chaque Français connaissait quelqu’un qui était là. C’était l’enfant d’un ami, un cousin, sa copine. Et cela aurait pu se passer dans n’importe quelle petite salle parisienne. Tous étaient ciblés. C’est choquant.»
La coordonnatrice de JRS-France rappelle que ces attentats, «c’est la vie au quotidien dans d’autres pays. Cela doit nous rendre plus sensibles à la situation des gens qui vivent en Syrie, en Afghanistan, en Irak, en Ukraine. Ce sont des pays qui connaissent la terreur depuis des années et cela, tous les jours».
L’accueil des réfugiés
Cela fait cinq ans que Marcela habite en France. Auparavant, c’est à Montréal qu’elle a travaillé et vécu. Elle a été membre de Développement et Paix et elle a œuvré auprès des travailleurs saisonniers mexicains. Durant cinq ans, elle a travaillé dans le quartier Centre-Sud de Montréal à titre de responsable de la pastorale sociale pour l’archidiocèse de Montréal.
Elle s’intéresse toujours à l’actualité de l’autre côté de l’Atlantique. Elle se désole d’apprendre qu’une pétition pour contrer l’arrivée de réfugiés syriens ait été lancée au Québec. «J’ai vu passer cette nouvelle et ça nous a fait de la peine», dit-elle. «Cela montre l’ignorance des gens.»
La coordonnatrice du programme Welcome en France est catégorique. «Il ne faut pas faire d’amalgame entre les personnes qui ont commis ces gestes horribles et les réfugiés qui fuient précisément ces personnes radicales.»
«Nous qui travaillons quotidiennement avec des réfugiés, penser qu’un djihadiste va infiltrer des réfugiés pour entreprendre cette longue route vers l’Europe pour entrer dans un pays, c’est du n’importe quoi. C’est pénible, cette traversée. C’est dégradant. C’est indigne. Pensez à tous ceux qui sont morts en voulant traverser la Méditerranée. Alors imaginer que ceux qui veulent faire le djihad vont entreprendre cette traversée, cela n’a pas d’allure, comme on dit au Québec», lance-t-elle.
«Les musulmans qu’on accompagne au Service jésuite des réfugiés sont hyper sympathiques, critiques de leurs pays d’origine et même critiques de l’Islam», note Marcela. Chaque année, le JRS, avec l’appui de familles et de communautés religieuses, accueille jusqu’à 500 réfugiés en France. De plus, quelque 1000 réfugiés bénéficient des différents services de l’organisme, dont les cours de français et l’aide juridique.
«Quand j’apprends qu’il y a des frappes en Syrie, j’écris à des réfugiés pour savoir s’ils ont des nouvelles de leur famille. Cette semaine, ce sont les réfugiés qui ont pris soin de m’envoyer un texto le jour de l’assaut de Saint-Denis pour savoir comment j’allais. Une telle solidarité, cela n’a pas de prix», dit, émue, la responsable de JRS-France.
«Le samedi, le lendemain des attentats de Paris, des réfugiés syriens en France m’ont écrit pour condamner ces gestes et dire qu’ils avaient peur que la société fasse des amalgames. Cela fait des années qu’ils endurent la guerre, ils ont réussi à entrer en Europe malgré toutes les difficultés, et lorsqu’ils obtiennent le droit d’asile, ils voient cette violence se reproduire.»
Artisans de paix
Au lendemain des attentats, les autorités religieuses de Paris et de Saint-Denis ont eu des paroles semblables, a noté Marcela Villalobos Cid. «Le cardinal Vingt-Trois de Paris et Mgr Pascal Delannoy, de Saint-Denis-en-France, ont demandé que ‘par nos prières, nos paroles et nos actes, on soit des artisans de paix’.»
«Être un artisan, c’est être un acteur. On ne peut pas demeurer chez soi. Que l’on soit à Saint-Denis, à Paris, en France ou ailleurs, il faut se demander comment devenir de véritables artisans de paix, comment on va construire un monde plus juste», lance-t-elle.
Photo : © KTO
Sources : site canadien Présence / Information religieuse
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Article publié le 1 décembre 2015