« Ne laissons pas des mesures électoralistes empêcher une vraie politique d’intégration » : tribune du JRS France sur le projet de loi immigration
Le texte du projet de loi immigration est arrivé le 27 novembre 2023 en commission à l’Assemblée nationale. Dans une tribune du journal La Croix parue ce même jour, Véronique Albanel, présidente du Service jésuite des Réfugiés en France (JRS France) et Guillaume Rossignol, directeur, demandent à ce que l’application de ce texte qui vise à contrôler l’immigration et améliorer l’intégration, soit assouplie au nom du respect des droits fondamentaux et de la dignité des personnes exilées.
« Il se peut que les révolutions soient l’acte par lequel l’humanité qui voyage dans un train tire le frein d’urgence ». Walter Benjamin
Sur les questions d’immigration, nous en sommes convaincus, il y a bien des enjeux de contrôle et de respect des principes de la République à tenir fermement. Mais on ne peut espérer le faire en allant contre ces mêmes principes et en rompant la digue des droits fondamentaux. C’est le cas lorsque le débordement de mesures répressives affecte l’ensemble des personnes exilées, du seul fait qu’elles sont exilées.
Face aux manifestations de xénophobie et de violence qui divisent notre société ; face à l’atteinte aux droits fondamentaux qui se banalise et se cristallise dans le projet de loi asile et immigration¹ ; face à des politiques publiques qui manquent de vision et d’ambition car elles n’intègrent pas pragmatiquement le fait, nécessaire, de l’immigration ; et parce qu » »une vie est une vie, par-delà les origines, les parcours, les croyances, les choix », comme le rappelait récemment le président Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français datée du 11 novembre, nous appelons nos députés à mettre le frein d’urgence.
Des conséquences sur la santé mentale
Nous côtoyons au quotidien des demandeurs d’asile et des réfugiés dont les vies sont abîmées par la mise en œuvre de règles qui peuvent porter atteinte aux droits fondamentaux et au droit européen. Il en est ainsi de plusieurs milliers de personnes, en majorité afghanes (mais pas uniquement), à qui le statut de réfugié finit par être accordé mais qui sont préalablement, pendant toute une partie de leur procédure d’asile en France, privées de toute allocation et d’hébergement sans avoir par ailleurs le droit de travailler. Les conséquences sur leur santé physique et mentale sont graves, parfois indélébiles. La France est le seul pays de l’UE à sanctionner ainsi ces personnes entrées ou passées par un autre pays de l’Union Européenne (les « ex-Dublinés »), qui décident, après un certain délai prévu dans le règlement Dublin, de solliciter la protection de la France.
M. N., demandeur d’asile en procédure d’asile en France après une procédure Dublin, témoigne : « Depuis que je suis en France, je ne travaille pas. Je n’ai pas les papiers qui me le permettent. J’aimerais travailler, j’aimerais avoir une vie normale, avoir de quoi manger à ma faim, m’habiller, dormir dans un endroit fermé. Vivre à la rue est difficile. Je ne me sens pas en sécurité. Certaines nuits, je reste assis sur une chaise près des agents de sécurité d’un l’hôpital, parce que je crains d’être agressé de nouveau. Ma vie est en pause. »
Conformité avec les droits fondamentaux
Mettre le frein d’urgence, c’est veiller à ce que, si nouvelle loi asile et immigration il y a, ce soit en toute conformité avec les droits fondamentaux. C’est veiller à ce que le droit ne permette pas de porter atteinte à la dignité des personnes, car nous risquons alors de fabriquer nous-mêmes le mal dont nous serons victimes : nous détruisons nous-mêmes le socle de nos valeurs républicaines. N’est-ce pas paradoxal à l’heure où des mesures sont prises pour retirer leur titre de séjour aux personnes qui contreviendraient à nos valeurs ?
Mettre le frein d’urgence, c’est ne pas laisser des mesures électoralistes empêcher la mise en place de politiques économiques et sociales efficaces, construites sur une vision à long terme, prenant en compte la réalité de notre société (besoins de main-d’œuvre, déficit d’attractivité, difficulté de la France et de l’Europe à avoir une parole audible dans le monde…) ; c’est ne pas laisser des mesures électoralistes empêcher une politique d’intégration vraiment ambitieuse, qui puisse s’appuyer sur les talents venus d’ailleurs, y compris dans nos politiques publiques (santé, éducation, culture, etc.).
Une solution européenne
Notre gouvernement a signé un accord en juin 2018 avec le Conseil de l’Union Européenne, le Parlement et la Commission européenne pour adopter une nouvelle Directive européenne Accueil. Il s’est alors engagé à mettre en place un minimum de mesures à la fois pragmatiques et respectueuses des droits fondamentaux, telles que l’accès effectif au marché du travail, à l’entreprenariat, aux cours de langue et aux formations professionnelles pour les personnes qui nous demandent une protection internationale. Si nouvelle loi asile et immigration il y a, elle doit permettre de mettre en place de telles mesures.
Mettre le frein d’urgence, c’est permettre de changer de direction et faire surgir du nouveau : ouvrir des voies vers plus de justice en répondant aux grands enjeux climatiques, économiques, sociaux ainsi que d’accès à l’éducation, à la culture et aux soins. Loin d’être un vœu naïf, nous le constatons dans notre accompagnement au quotidien des réfugiés : ensemble, nous ouvrons déjà ces chemins.
Note : ¹ Le projet adopté par le Sénat prévoit, entre autres mesures : la suppression de l’Aide médicale d’État (accès aux soins), la restriction du droit de vivre en famille, la suppression des articles portant sur l’accès au travail des demandeurs d’asile ou sur la régularisation de personnes vivant, travaillant et intégrées depuis des années en France, la réduction de plusieurs garanties procédurales essentielles.
> Source de l’article : La Croix.com