Nouvelle bande dessinée sur le missionnaire jésuite Matteo Ricci
Roland Francart sj, géographe et directeur du Centre Religieux d’Information et d’Analyse de la BD (CRIABD), et Philippe de Mûelenaere, son président, reviennent sur la parution d’une nouvelle bande dessinée sur le jésuite missionnaire Matteo Ricci aux Éditions Dargaud et Fidélité.
L’album tant attendu de Martin Jamar et Jean Dufaux (le duo qui a si bien raconté Vincent de Paul et Charles de Foucauld) est enfin paru. Nos lecteurs se souviendront que cette bande dessinée est le fruit d’un projet initié par le CRIABD et Alain Deneef, président du pouvoir organisateur du nouveau collège jésuite Matteo Ricci implanté à Anderlecht.
Rencontrer Matteo Ricci
Il est bon de faire connaissance avec ce jésuite inconnu de la plupart d’entre nous. Parmi d’autres deux livres d’auteurs américains nous le font découvrir : Matteo Ricci, le sage venu de l’Occident par Vincent Cronin, traduit chez Albin Michel en 1957 (376 pages en format poche) et Chinois avec les Chinois, le Père Ricci et ses compagnons jésuites dans la Chine du 17è siècle par George H. Dunne, traduit aux éditions du Centurion en 1964. On citera également un ouvrage plus récent, Matteo Ricci à la cour des Ming de Michela Fontana publié en 2010 chez Salvator.
Matteo Ricci est prêtre jésuite en Chine et il n’est pas seul, mais son travail missionnaire est d’inculturation, c’est-à-dire d’observation et de compréhension d’un autre peuple, une autre civilisation, une autre culture. Bien après le Vénitien Marco Polo (1254-1324) qui avait révélé partiellement la Chine de l’Empire mongol, dans la ligne de saint François Xavier (1506-1552), co-fondateur des jésuites et patron des Missions (après l’Inde, l’Indonésie et le Japon, il est mort dans une île chinoise proche du continent) vient Matteo Ricci (1552-1610) de Macerata dans les Marches en Italie Centrale, alors États Pontificaux. Entré dans la Compagnie de Jésus en 1571, il suit les cours du mathématicien Clavius à Rome puis à l’Université de Coimbra au Portugal. Il arrive en Inde en 1578 où il est ordonné prêtre, puis à Macao quatre ans plus tard, où il apprend le chinois. Après avoir fondé quatre résidences, il arrive à Pékin en 1601 et y meurt en 1610. Pour la première fois dans l’histoire de Chine, l’empereur permit qu’un étranger soit inhumé à proximité de la Cité interdite, où sa tombe est aujourd’hui encore visitée.
« Li Matou » à la cour de l’Empereur
La BD de Martin et Dufaux ne donne pas de détails sur la vie en Chine de Matteo Ricci durant les dix-huit années qui précèdent son arrivée à Pékin où il fut considéré comme un mandarin. Elle fera connaître les relations de Li Matou (son nom chinois) avec les eunuques très puissants, les ambassadeurs au Palais des Barbares. Il désire voir l’Empereur, mais cela n’arrivera pas. Cependant ses cadeaux (horloges, mappemondes, tableaux, etc.) seront bien reçus et appréciés par l’empereur lui-même.
Li Matou, ses compagnons (Michele Ruggieri et Diego de Pantoja) et ses successeurs jésuites l’allemand Adam Schall von Bell (1592-1666), le flamand Ferdinand Verbiest (1623-1688), le namurois Antoine Thomas (1644-1709), tous mathématiciens et astronomes, ont changé la mission de baptême par une mission d’amitié. Leur influence fut grande mais critiquée. La suppression de la Compagnie de Jésus en 1773 mit à mal ce projet. Au XXe siècle, on retrouvera une continuité sciences et amitié avec le français Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955) qui sera à Pékin en 1923-24, 1926 et 1939-46. Quatre instituts Matteo Ricci fondés par des jésuites font vivre l’esprit de dialogue entre les civilisations chinoise et occidentale et se consacrent à la culture chinoise à Taipe, Paris, San Francisco et Macao.
Le récit d’une aventure plutôt qu’une hagiographie
Le duo Dufaux et Jamar est l’auteur de deux séries, Les Voleurs d’Empire en sept albums publiés chez Glénat et Double Masque en six albums chez Dargaud. Ils nous ont aussi donné chez le même éditeur Vincent, un saint au temps des mousquetaires, en 2016, et Foucauld, une tentation dans le désert, en 2019. Dans la même veine, le scénario se refuse résolument à faire de cette BD une hagiographie comme il en existe tant. L’album fait le récit d’une aventure qui tient le lecteur en haleine pour narrer ces neuf années durant lesquelles Matteo Ricci devient le premier occidental à être admis dans la cité interdite et à franchir les portes de la Suprême harmonie et de la Céleste Pureté.
L’album se lit comme une aventure pleine de péripéties, avec des bons et des méchants, de l’action et de la sagesse. Les détails du dessin réaliste de chaque case sont extraordinairement précis et les couleurs magnifiques. Pour rythmer le récit, le scénariste introduit des personnages fictifs comme cette jeune fille Lin Yu destinée à être offerte comme esclave à l’empereur et sauvée de ce destin par Matteo Ricci, qui la prend sous sa protection, ou encore comme l’inquisiteur espagnol Don Herrera, qui représente ses ennuis avec Rome. Il sauve également un enfant d’une affaire de fausse malédiction.
Roland Francart sj, géographe
et Philippe de Mûelenaere, président du CRIABD
Pour approfondir
- « Matteo Ricci – Histoire et religion tout au long d’un périple fait de tolérance… » : billet du blog « Chroniques » de Jacques Schraûwen