Nommé directeur de l’école de langue bengali de la Province de Calcutta, le père Christian Mignon était venu au noviciat évaluer nos connaissances de la langue. Le lendemain de nos premiers vœux, nous avons commencé l’année sous ses ordres : il paraissait un maître dur, sans beaucoup d’humour : arrivé de Baitakhana à bicyclette, il l’avait montée sur trois étages, la soutane toute mouillée de transpiration, et il s’était plongé immédiatement dans son enseignement ! Bref un homme de devoir.

Le Père Mignon s’est enraciné dans le sol du Bengale (il était fier de se présenter comme citoyen indien) et était avant tout un jésuite solide, un homme de Dieu, infiniment plus qu’un traducteur ou un écrivain, un homme unifié qui correspond au modèle « contemplatif dans l’action ». Il était l’homme de la générosité sans réserve et d’une obéissance indéfectible. Il a assumé sa charge de traducteur comme un appel divin, écrivant dans les années suivantes : « Oui, le Saint-Esprit était là, m’éclairant, me guidant, agitant en moi ce souffle de vie mystérieux qui est à l’origine de tout événement spirituel ».

Il avait déjà 61 ans lorsqu’il s’est lancé en 1985 dans son œuvre majeure, la traduction de la Bible en bengali – la « Mangalbarta Bible ». Venu en Inde comme régent en 1949, ce n’est que dix ans plus tard qu’il eut rendez-vous avec la langue bengali : il fut chargé de traduire les manuels catéchétiques de Maria de la Cruz. Suivirent douze années de labeur sur Banibitan, le lectionnaire bengali, et la très belle traduction des Psaumes. D’abord à Boitakhana (1962-76), puis à St-François Xavier (1976). Là, son ministère dominical à Geonkhali était une part indispensable de sa vie ; il réussit à y construire l’église. Mais il dut à contrecœur abandonner ce ministère : à partir de 1985, ce fut Mangalbarta et rien d’autre !

J’ai eu le privilège de passer dix-huit ans avec lui en communauté. Tôt le matin, ses exercices spirituels et sa messe quotidienne achevés, du petit-déjeuner au dîner, il était presque inaccessible, dans son bureau encombré de manuscrits – une grosse partie de son travail était écrit à la main –. Mais toujours présent pour la prière du soir, le dîner et la récréation avec les confrères. Nous avons envié son pouvoir de concentration et sa capacité à travailler sans relâche. Quand ses forces commencèrent à décliner, et à baisser son désir compulsif d’écrire, il se prépara à retrouver son Maître et Seigneur face-à-face. Et nous avons vu son vrai rayonnement jésuite, sa docilité à la volonté du Christ, sa totale disponibilité, … ce qui demeure son principal héritage.

Patrick WALSH sj (Calcutta)