P. Édouard O’Neill (05.04.2024)
Lorsqu’il s’agit d’évoquer Édouard, grande est la tentation de faire donner les violons, ou plutôt le piano cher à Charles-Henri, son cadet : rarement, nous avons rencontré, chez un même homme, tant de finesse, de délicatesse, d’intuition des personnes et des situations, de précision et de fermeté dans le jugement, d’aptitude à créer des liens qui n’assujettissent pas, un tel capital de sympathie, de bonté, de générosité, d’humour aussi : tous ces mots dont débordent les témoignages reçus par sa communauté. Seule la musique pourrait faire écho aux sentiments qui nous habitent quand nous pensons à lui.
Édouard n’était pas un saint, ni un génie. Mais c’était un homme humain. Un virtuose d’humanité. Et il ne « se croyait » pas, comme on dit dans le Midi. Cela, c’est rare. S’il avait une faiblesse, c’était peut-être de ne pas « se croire » suffisamment.
Laissons l’orchestre. Venons-en aux faits, qui intéressent davantage. Fils de marin, Édouard avait passé ses années de collège à l’alumnat de la Pierre-Qui-Vire. La patience de la prière, il connaissait. Lycée à Saint-Louis-de Gonzague. Il retrouvait sa chère grande sœur, ses frères, le grand monde. Une année de préparation à la médecine, mais sans conviction. Il préféra le noviciat de Laval où il acquit en trois ans, une licence ès lettres classiques. Que faire à Laval, sinon lire, et encore lire ? Lire dans les livres peut apprendre à lire dans les cœurs.
Ses talents de pédagogue, au sens le plus large du mot, il trouva d’abord à les exercer à Saint-Joseph
de Tivoli (Bordeaux). D’abord comme régent des « grands » ; puis, après quatre années de théologie à
Lyon, comme professeur de lettres ; puis, après le Troisième An avec Maurice Giuliani, comme
aumônier du lycée. Pendant ces neuf années, de 1970 à 1979, de grandes amitiés se sont nouées. Avec
des élèves, des familles, des frères jésuites brillants pédagogues eux aussi, mais autrement. Certains
ont quitté la Compagnie de Jésus, mais ils sont restés fidèles à Édouard, comme lui à eux. Époque glorieuse : Tivoli, alors, était « lycée expérimental de plein exercice », reconnu et subventionné comme tel par l’État. La personnalité tutélaire, c’était Joseph Duvoisin, qui avait passé vingt ans à Tivoli, préfet puis
recteur. Lorsqu’il fut nommé vice-provincial de Paris, en 1976, Édouard le remplaça comme supérieur.
En 1979, Édouard quitta Bordeaux à son tour pour rejoindre Paris, comme recteur de Blomet (sa vie
apostolique se sera déroulée pendant longtemps entre le Sud-Ouest et Paris).
À partir de 1984, ses dons d’accompagnateur spirituel vont se déployer ailleurs, et de bien des
manières. Au Centre spirituel Notre-Dame des Côteaux, près de Toulouse, dont il sera supérieur, puis
directeur. Il y retrouvera Jean Althabegoïty, autre grand ami et figure tutélaire. Puis il est assistant national de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX) de 1991 à 1997. Puis, toujours parisien, à nouveau supérieur, puis père spirituel, de Blomet. Promoteur des vocations. De 2007 à 2013, il est à Clamart, supérieur et responsable de la candidature.
2013, surprise : alors que son cœur a donné des signes de faiblesse, il accepte, à 76 ans, de partir à La
Réunion comme supérieur. Un autre monde. 2018, retour à l’Europe aux anciens parapets. Ceux du Châtelard, en l’occurrence, largement ouverts sur la société civile et religieuse. Ici encore, Édouard sera le pilier sur qui on peut toujours s’appuyer.
Il n’avait jamais « fait son âge ». Même son médecin n’y croyait pas ! Quelques heures avant sa mort, il le reconduisait sereinement à la porte de son cabinet : « Vous n’avez rien. » Il ne croyait pas si bien dire : Édouard était un pauvre, et un vaillant.
P. Dominique Salin sj,
Communauté Saint Pierre Favre (Paris-Blomet)
Hommage de la Communauté de Vie Chrétienne (CVX)
Article publié le 5 avril 2024