Jim Duncan Le temps nous a manqué pour satisfaire notre curiosité et découvrir ce qu’aura été la vie de Jim Duncan. Mais qu’importent le temps et les recherches, on peut croire, de toute manière, que cet homme restera très secret, quasi inaccessible… C’est ainsi que nous ne comprendrons sans doute jamais très bien ce qui a pu conduire vers le catholicisme oriental un Américain né en 1932 dans une famille protestante d’origine écossaise. On a bien quelques dates officielles, on connaît les pays où Jim a séjourné et enseigné – il a dû faire plusieurs fois le tour du monde – mais, là encore, que sont
des dates et des lieux pour éclairer le mystère d’un homme aussi indépendant et peu communicatif ?

Études à l’université de Seattle (sa ville natale) ; expérience professionnelle dans le tourisme et l’aviation, puis études à Rome au Russicum ; ordination par un évêque allemand dans le rite byzantin ; diplômes à l’Institut Oriental. Entrée au noviciat jésuite à Wépion, alors qu’il a déjà près de 50 ans ; premiers vœux en Égypte. Il vit son Troisième An, à Moscou. Suivent toute une série d’années d’études linguistiques à Tokyo, Taiwan, Hong-Kong… Était-ce pour enseigner ? Mais Jim approchait dangereusement de l’âge de la mise en retraite professionnelle… Un jour, lui qui était pourtant avare de confidences, il a reconnu sa passion pour ce que l’on pourrait appeler « la spiritualité comparée » : s’il avait appris tant de langues, c’était pour pouvoir en lire les auteurs spirituels, qu’ils soient juifs, musulmans, chrétiens, bouddhistes ou autres, c’était pour en débattre, dans leur propre langue, sur leur terrain culturel, avec des croyants du monde entier.

Par la suite, en Russie, en Ukraine, en Albanie, à Rome encore, il fut invité à enseigner la théologie catholique orientale et, comme dans les Actes, « chacun l’entendait dans sa propre langue annoncer les merveilles de Dieu ». Pendant toutes ces années, il faut le dire, les jésuites de sa communauté officielle à Bruxelles n’ont jamais pu le connaître ; ils n’ont fait que croiser – souvent aux heures les plus insolites – cet homme au physique de starets et aux mœurs d’ermite de Haute Égypte.

En 2018, à cause de graves ennuis de santé, il fallut imposer à Jim de rejoindre la Colombière. Parmi d’autres compagnons âgés et malades comme lui, on peut presque dire que, pour la première fois peut-être, Jim a accepté d’apprendre les réalités de la vie de communauté, avec ses rites, ses horaires. L’apprentissage a dû être rude…

Nous pouvons témoigner qu’avec le temps, il a porté ses fruits jusqu’à ces dernières semaines où, totalement épuisé, notre compagnon a renoncé à son farouche isolement, s’est laissé soigner, cajoler même. Un peu de douceur marquait, au-delà de l’épuisement, son visage décharné. Soutenu par des soins palliatifs, il s’est endormi dans la paix.

P. Philippe Robert sj,
Bruxelles-La Colombière