Mon frère Philippe est né cinq ans et demi avant moi. C’est lui qui, un jour de Saint Nicolas, m’a dit : « Michel, saint Nicolas, ce sont nos parents ! C’est eux qui nous offrent les cadeaux ! » Philippe s’est donc voué très tôt à la démythologisation.

Lorsque j’ai envisagé de devenir jésuite – il l’était déjà depuis 5 ans – je lui ai dit : « Ne crois-tu pas qu’il y a quelque chose de psychologiquement anormal dans une famille où deux enfants sur trois deviennent jésuites ? ».  Il m’a répondu : « Sûrement… mais les quatre premiers disciples de Jésus étaient deux fois deux frères ». Très tôt, ce démythologisateur de frère a eu aussi le don de rassurer en fondant cette assurance sur l’Evangile.

Philippe était un pédagogue-né, et ce talent il l’a découvert au cours de sa formation, en étant, deux ans durant, professeur d’une classe d’élèves de 14 ans. Avec ce genre d’auditoire, il n’est pas possible de tricher.

Philippe a choisi de faire sa thèse de doctorat sur saint Irénée, un penseur qui a eu la liberté de penser avant que les choses ne se figent en formules trop dogmatiques. Devenu théologien, il a enseigné à Lumen Vitae. Il a donné des conférences. Avec Odile Ribadeau Dumas, il a animé de multiples groupes. Ils ont publié ensemble afin de rendre l’Evangile accessible au plus grand nombre. Durant plusieurs années, trois jours par an, Philippe est venu animer un groupe d’assistants de l’Arche de Jean-Vanier dont je faisais partie. Il nous écoutait attentivement partager sur notre vécu. Puis il faisait le lien avec l’Evangile en nous partageant sa propre expérience de vie.

Quelques mois avant son décès, alors qu’il était alité, je lui ai lu des passages de l’exhortation « La joie de l’amour – Amoris Laetitia », publiée par le pape François suite aux synodes sur la famille. C’étaient les passages relatifs au « discernement des situations dites irrégulières ». Philippe jubilait. Il m’a dit : « Cette fois, la résurrection est entrée dans cette maison. La résurrection est en moi. Je me sens vraiment en accord avec un pape ». C’était comme la consécration de sa vie : le respect du jugement de conscience reconnu par la plus haute autorité ecclésiale.

Lorsqu’il était sur terre, notre papa n’a pas eu le bonheur de croire en la résurrection. Ce bonheur il m’est donné d’y avoir accès, et ces derniers échanges avec Philippe ont encore davantage renforcé ce bonheur.

Nous sommes trois frères. L’aîné, père et grand-père, est veuf. Les dernières années, nous nous sommes retrouvés une fois par mois chez lui, pour prendre le repas de midi ensemble, à trois. Philippe s’y montrait lui-même, simple, présent, sans chichi, comme on peut le voir sur la photo souvenir, le regard vif, la mèche tombante, le col en bataille, attentif à chacun.

Michel BACQ sj (Louvain-la-Neuve)