P. Pierre-Jean LABARRIERE sj (12.07.2018)

Dernier d’une fratrie de onze, Pierre-Jean LABARRIÈRE est né à Norolles dans le Calvados le 21 juin 1931. Il a grandi dans le château de Malou (datant du XVème siècle), en Normandie, où demeurait sa famille. Il aimait montrer la photographie de ce château auquel il était resté très attaché. Sa mère est décédée dans un accident de voiture à Vienne en Autriche, alors qu’il était âgé de 16 ans. Il avait des liens très forts avec elle, et Pierre-Jean ne se remettra jamais vraiment de sa disparition, ce fut une « douleur de toute la vie ».

Enfant précoce, Pierre-Jean sut lire très tôt. Mais c’est tôt aussi que son désir de se mettre à la suite du Christ prit corps. A 6 ans il manifestait déjà son désir d’être prêtre. Brillant dans les études, doué pour les mathématiques autant que pour la littérature, il est entré en 1949, à 18 ans, au noviciat de la Compagnie. Sa formation achevée, il sera ordonné prêtre en 1963.

Celles et ceux qui l’ont connu ne peuvent oublier son calvaire long et douloureux : pendant les sept dernières années de sa vie, ce compagnon brillant a peu à peu sombré dans le silence, s’éloignant ainsi apparemment de tous. On peut d’autant moins oublier ces années terribles que Pierre-Jean fut un homme extraordinairement doué à bien des égards. Sportif vigoureux, musicien talentueux, cinéphile averti, poète à ses heures (il a publié plusieurs recueils de poésie, dont Odes à la nuit 1984 ; il frappait par son intelligence exigeante et rigoureuse. Il fut un des meilleurs spécialistes français de Hegel, car, disciple des jésuites hégéliens du scolasticat de Chantilly dans les années 50, il devint un traducteur remarqué avec la collaboration appréciée de Gwendoline JARCYK, mais aussi un interprète original d’une pensée difficile. Il est aussi titulaire d’une double thèse en philosophie, l’une à la Grégorienne de Rome, l’autre à Paris-Nanterre sous la direction de Paul Ricoeur en 1980 qui sera publiée sous le titre Le Discours de l’altérité : une logique de l’expérience (PUF, 1983).

Jeune jésuite, il n’avait pas craint de s’affronter à un auteur, Hegel, qui, à ses yeux, a tellement marqué la pensée moderne, qu’un intellectuel catholique ne pouvait pas se dispenser d’affronter une telle philosophie. Non pour la confondre ou pour la ‘récupérer’, mais pour aider le croyant à s’ouvrir à des perspectives essentielles pour vivre la foi de manière sensée dans le monde contemporain. Il a ainsi aidé beaucoup d’étudiants à s’ouvrir à cette grande œuvre, en autres par son Introduction à la lecture de la Phénoménologie de l’Esprit (Aubier, 1992).

D’ailleurs Pierre-Jean ne s’est pas contenté de commenter et de traduire, il conçut lui-même une œuvre remarquable, comme Dieu aujourd’hui, cheminement rationnel, décision de liberté (Desclée 1977), L’unité plurielle : éloge (Aubier 1992) ou encore Croire et comprendre : Approche phénoménologique de l’expérience chrétienne (Cerf 1999). Loin de se limiter à Hegel, son goût pour la spiritualité l’attira vers la mystique rhénane (par exemple Maître Eckhart ou l’empreinte du désert, Albin Michel, 1995 ou ses traductions du même) et vers Jean de la Croix auquel il a consacré plusieurs séminaires ou cours. Pierre-Jean rayonna aussi par ses enseignements aux Facultés jésuites de Paris (Centre Sèvres), à l’Institut Catholique de Paris, et pendant de nombreuses années, il prit part aux travaux du Collège International de Philosophie, ce qui le conduisit à participer à de nombreux colloques à l’étranger. Ami pas toujours commode, mais constamment avenant, Pierre-Jean restera un grand témoin de cette audace de pensée sans laquelle la foi chrétienne s’étiole en pratiques rituelles ou en replis frileux.

Paul VALADIER sj (Paris-Grenelle)

Article publié le 25 septembre 2018

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