Yves Thépot D’une famille catholique républicaine, marquée par le Sillon, Yves Thépot est né le 24 juin 1927 à Toulon. Lycéen à Vichy (son père occupe d’importantes fonctions au ministère de la Marine, servant, par devoir, une administration qu’il réprouve), il s’engage, comme ses frères, dans la Résistance (distribuant notamment les Cahiers clandestins du Témoignage Chrétien). Après une année de maths-sup-biologie à Paris, Yves entre au noviciat de Laval en 1945.

Ordonné prêtre en 1958, Yves devient, en 1960, socius du Provincial de Paris, Philippe Durand-Viel, qui restera toujours pour lui le modèle du supérieur majeur. Il est envoyé en 1964 comme aumônier d’étudiants, de la Conférence Laennec d’abord, puis d’HEC à Paris. En 1982, il rejoint le Centre spirituel jésuite de Manrèse, à Clamart, où il donne les Exercices spirituels. Ministère des Exercices qu’Yves poursuivra par la suite à Evreux, où il sera onze ans supérieur de la communauté, au service de paroisses rurales et participant activement au synode diocésain de 1988. Ministère qu’il exercera encore à la communauté de Paris-Monsieur, tout en étant membre du Service Exorcisme du diocèse de Paris. Il accompagne aussi des équipes MCC et CVX, ainsi que des congrégations religieuses, notamment dans les professions de santé. Jusqu’à ce que ses forces l’abandonnent, Yves laboure patiemment la Bible et les Evangiles, à même le texte, ainsi que les Exercices spirituels, notamment avec l’Association de la Bienfaisance, fondée par Maurice Giuliani. Après la fermeture de Paris-Monsieur en 2012, il rejoint l’EHPAD Maison Soins et Repos à Vanves où plusieurs dizaines de personnes continueront longtemps à le rencontrer, bénéficiant de sa sagesse et de son discernement.

Yves se distingue encore parce qu’il a un avis sur tout, sait tout sur tout, persuadé d’avoir très souvent, sinon toujours, raison. Qui s’y frotte, s’y pique, à commencer par ses frères jésuites… Avec la verve, et parfois l’outrance acerbe, qu’on reconnaît aux prophètes (n’oublions pas qu’il est né à la Saint-Jean-Baptiste), Yves ne se lasse jamais d’inviter fermement ses compagnons jésuites (et surtout ses supérieurs) à vivre et diffuser l’incarnation au présent, au cœur du monde, estimant qu’il n’y a pas de vie spirituelle sans vie apostolique. Il fustige une Église et une Compagnie trop molle, timide, sans fibre missionnaire s’adressant à tous, et désire ardemment que les plus jeunes soient envoyés plus rapidement sur un terrain concret, à plein temps, sans se disperser dans des tiers, quarts et autres cinquièmes de temps. Il vitupère contre la concentration ecclésiale qui favorise les grandes villes et les grandes communautés, au détriment des régions et villes moyennes et des petites communautés.

Si l’on avait dû choisir un blason et une devise pour Yves, ç’aurait pu être « Cœur d’or sur fond de gueules » [1]. Ceux qui avaient des yeux pour voir et des oreilles pour entendre percevaient le cœur d’or, estompant le fond de gueules bien souvent bourru et critique. Cœur d’or, lentement meurtri par les diminutions et les pathologies, acceptant les degrés descendants du déambulateur, du fauteuil roulant et de l’alitement, tenant toujours la garde haute jusqu’au dernier moment. Les derniers mois, la rugosité et la rudesse du fond de gueules cédaient plus nettement le pas à la douceur et à la tendresse du cœur d’or.

Au matin du 1er janvier 2023, apaisé, Yves s’en est allé rejoindre le Christ Jésus, à la Parole duquel il n’a cessé de se nourrir et dont il a, toute sa vie, voulu faire connaître l’amour à celles et ceux qui croisaient sa route.

[1] Le gueules est un émail héraldique de couleur rouge.

P. Jacques Gebel sj, communauté Pedro Arrupe à Vanves