L’œuvre artistique du P. Pierre Defoux sj

Le P. Robert Myle sj rend hommage au Père Defoux et à son œuvre artistique.

BD Saint François-Xavier

Introduction

Il y a dix ans, les éditions Coccinelle à Durbuy clôturaient une œuvre commencée cinquante ans plus tôt par un jeune jésuite belge, étudiant en théologie à Enghien, Pierre Defoux. Son supérieur lui avait demandé de dessiner, durant ses temps libres, une vie de Saint François-Xavier, compagnon de St Ignace et patron des missions, à l’occasion du 4ème centenaire de sa mort aux portes de la Chine. A raison de deux pages par semaine, cette biographie avait paru dans le beau journal de Spirou (et dans son équivalent flamand Robbedoes) en 75 planches, mais jamais publiée en album.

Cinq ans après la création du CRIABD (Centre Religieux d’Infos et d’Analyse de la BD) avec une exposition mémorable à Maredsous en 1985, les archives Dupuis se proposent de remettre au Père Defoux (qui avait signé seulement du nom de « Ménestrel ») les planches originales. Celles-ci ont permis une parution quotidienne dans La Libre Belgique en 1989-90 et l’édition, enfin, d’un album en noir et blanc en décembre 1990 chez Hélyode. Le P. Defoux a dédicacé son album à la Cathédrale d’Angoulême en janvier 1991. Les planches ont été confiées au Centre Belge de la BD qui en a prêté six pour l’expo de mars 2012.

Mais en 1993, le CRIABD demande à Pierre Defoux 17 planches nouvelles pour achever le périple de St François-Xavier au Japon, séquence qui avait été résumée par du texte en 1953. Ce qui donna lieu, dix ans plus tard, à deux albums « Xavier » aux éditions Coccinelle, enrichis des couleurs de Thierry Faymonville. Quatre de ces planches récentes, ainsi que d’autres documents graphiques où l’humour a beaucoup de place, complètent ainsi l’exposition. Quelques céramiques de l’artiste nous rappelleront que son œuvre fut multiforme : vitraux, aménagement de chapelles, peintures, sculptures, pièces de théâtre, télévision scolaire, …

Une rétrospective de son œuvre, mettant bien en valeur ses céramiques, fut présentée en octobre dernier au Centre Culturel « La Vieille Ferme » à Godinne-sur-Meuse, la commune où s’est passée une bonne partie de sa carrière d’enseignant, au Collège St Paul. Mais ce namurois fut professeur aussi à Kinshasa, à Charleroi, à Bruxelles et à Liège. Les milliers de dessins réalisés pour chacun de ses élèves, pour ses amis, pour des revues, pour des paroisses, laissent une trace visuelle inaltérable, tout comme la vie de St François-Xavier a pu éveiller quelques vocations…

Durant sa longue carrière d’enseignant dans nos collèges du Congo et de Belgique, Pierre Defoux a pu développer avec bonheur ses multiples talents artistiques, les mettant, avec une rare inventivité, au service d’une pédagogie de l’expression tout à fait originale.

Nombre d’anciens se souviendront avec joie des spectacles mémorables montés par Pierre et ses cercles théâtraux, tant dans le cadre scolaire que parascolaire. Le comité organisateur de la rétrospective s’est donné une triple tâche. Réaliser d’abord un recensement de l’œuvre. Organiser ensuite l’exposition. Publier enfin conjointement une monographie qui est une présentation de l’artiste et de son œuvre en même temps qu’un catalogue raisonné de cette dernière. Le présent dossier est un extrait de cette monographie.

Pierre Defoux sj

C’est de diverses manières que Pierre a déployé ses talents dans le domaine des arts plastiques : peinture de chevalet, peinture murale, vitraux, sculpture sur bois, sur pierre et sur papier mâché, dessin sur papier (œuvres originales, illustrations de livres et de revues, B.D., images imprimées…), diapositives, décors de théâtre, marionnettes, architecture d’intérieur et aménagements et surtout, depuis sa retraite de l’enseignement en 1988, céramique.

Vie consacrée

Pour ma part, je voudrais revenir ici sur une part fugace de l’œuvre graphique de Pierre Defoux : les illustrations sous forme de B.D. qu’il a réalisées pour la revue Vie Consacrée, de mars 1989 à novembre 1990 soit onze planches d’une page. On trouvera, publiée ici, une douzième planche qui était restée inédite. Cette série forme un petit ensemble tout à fait intéressant. Elle illustre fort bien le talent de Pierre : sa virtuosité technique et notamment sa maîtrise de la caricature, son inventivité et surtout son humour.

En 1988, le Comité de rédaction de la revue Vie Consacrée et sa directrice, Sœur Noëlle Hausman, désiraient égayer leur digne revue et tâcher de lui « susciter un peu de sourire aux lèvres ». Faute de pouvoir infléchir en ce sens le contenu des articles, Sœur Noëlle eut l’idée originale de solliciter la collaboration de Pierre Defoux. On se souvenait encore de Ces Inutiles…Propos sur la vie religieuse paru chez Duculot en 1962 auquel Pierre avait collaboré en y croquant magistralement poncifs, grandeurs et mesquineries de l’état religieux. « Pour ma part, leur répondit Pierre, il y a longtemps que je suis converti et que je crois à la nécessité de faire rire beaucoup de choses et surtout toutes celles qui sont malades de sérieux. C’est dire que j’approuve sans réserve votre désir. »

Et Pierre de citer Umberto Eco qui, dans le roman Le Nom de la rose, fait dire à Guillaume de Baskerville : « Le devoir de qui aime les hommes est peut-être de…faire rire la vérité (souligné dans le texte) ». Ainsi acquise, cette collaboration judicieuse offrait le double avantage d’(entr)ouvrir les pages de la revue à la fois à l’art et à l’humour. C’était aussi leur reconnaître une place (modeste) dans la littérature spirituelle. Le projet se concrétisa peu à peu. On s’arrêta à l’idée d’une page humoristique sous forme de B.D., dans chaque numéro.

Fallait-il inventer un héros ou une héroïne qu’on aurait retrouvé de numéro en numéro, confronté(e) à des situations ou à des problèmes de vie religieuse chaque fois différents ? Pierre vit clairement d’emblée qu’il fallait que chaque planche constituât un tout bouclant sur lui-même. Car, de deux en deux mois, le lecteur aurait sans doute perdu le fil d’une éventuelle histoire suivie. Un moment, notre artiste songea à créer un personnage féminin : une novice prénommée Sœur Alice qui aurait vécu ses aventures « au pays des Mères vieilles » !

L’idée fut finalement abandonnée au profit du traité Pratique de la perfection chrétienne d’Alphonse Rodriguez qui fut retenu comme corpus de base. Ce jésuite espagnol, longtemps maître des novices, publia sa somme ascétique en 1609. L’œuvre connut un immense succès jusqu’au milieu de XXe siècle. Des générations de novices la fréquentèrent abondamment durant leur noviciat. La doctrine de Rodriguez est puisée aux meilleures sources de la littérature spirituelle et vise avant tout l’exhortation pratique. Rodriguez se voulait plus ascétique que dogmatique ; c’est pourquoi les chapitres doctrinaux sont souvent suivis de chapitres narratifs où des anecdotes, tirées de la vie des saints ou de celle des Pères du Désert (4e et 5e siècles), viennent sensément confirmer la doctrine exposée.

On voit que Rodriguez, plutôt que de s’attacher à motiver l’agir, préfère y inviter par la séduction de l’exemple. Ses apologues, surtout ceux tirés des récits des Pères du Désert, débordent de (fausse) naïveté. On sait qu’Henri Bremond a fait l’apologie de ces récits. Jules Lebreton y voyait « l’expression de la vie profonde du cœur », par opposition aux productions de la raison raisonnante. Ce sont ces historiettes remontant aux premiers âges de la vie consacrée que Pierre Defoux choisit d’illustrer. Toutes sont puisées dans le tome quatre de Rodriguez, où il est question de pauvreté, d’obéissance et de vie commune. Ce choix libérait Pierre du double problème d’inventer un héros et d’imaginer un scénario. Il pourrait ainsi consacrer tout son talent à transposer l’anecdote choisie en une planche de B.D.

Une oeuvre de Pierre Defoux à la Collégiale d’Andaine

Une page de B.D. venue du désert

Pierre choisit de présenter celle-ci chaque fois en trois registres de quatre cases verticales, ce qui fait une page de douze cases. L’anecdote y est traitée en trois « voix » polyphoniques : dans quasi chaque case, on voit, en haut : le texte narratif ; au centre, les phylactères de dialogue ou de monologue et, en bas, le dessin. Le tout est traité avec une virtuosité remarquable ; le résultat bénéficie d’un maximum d’expressivité obtenu avec un minimum de moyens : sens de la narration, concision, caricature bonhomme, sérénité, humour, sens spirituel : tout y est !

Il y aurait plusieurs considérations à faire concernant ce choix des apologues des Pères du Désert et de leur traitement en B.D. Les rédacteurs de la revue savaient d’emblée que ces dessins risquaient d’être mal perçus et mal reçus par certains lecteurs. « Nous risquons sans doute de ne pas rejoindre l’humour de tous nos lecteurs », écrivaient-ils au sommaire du numéro de février 1989, créant en l’occurrence une magnifique figure d’inversion. Et ils concluaient : « Que leur amour se fasse donc miséricordieux pour ceux qu’un tel langage réjouira ! » Ce que Pierre Defoux tente d’exprimer à sa façon dans cette série, c’est la dimension esthétique de l’éthique. Il rejoint, reprend et redéploye l’antique tradition des Pères du Désert et leur humour paradoxal qui a traversé les siècles.

Ce faisant, il s’inscrit dans la lignée des enlumineurs du moyen âge. En illustrant les manuscrits, ceux-ci n’hésitaient pas à évoquer la vie monastique dans ses aspects les plus incarnés et ne lésinaient pas sur les détails humoristiques ou même ironiques sinon triviaux. Le récit appelle l’image. Toute image est limitée, bien sûr, à la vision de l’artiste. C’est le lot de toute production plastique. Mais l’image peut être polysémique. Une fois livrée au public, elle échappe à son créateur pour mener sa vie propre…

Toujours à la Collégiale d’Andaine, l’ambon

Comme le symbole dont elle relève, l’image donne à penser, pourrait-on dire, en paraphrasant Paul Ricoeur. Là où certains n’ont voulu voir que des dessins de « petits mickeys », étaient repris et formulés en récits pertinents et en langage contemporain quelques invariants de la vie consacrée exprimés dès l’origine. Ces apophtegmes et apologues antiques nous apparaissent ainsi paradoxalement étonnamment modernes, grâce à leur relecture et, si je puis dire, à leur réécriture, telles ces icônes sans cesse réécrites au cours des âges, toujours identiques et pourtant toujours nouvelles.

L’ambon de la Collégiale d’Andaine de manière plus détaillée

Des réactions outrées

Ces récits déconcertants, cet humour étrange, ces dessins sous forme de B.D… ont immédiatement trouvé leurs détracteurs, comme le comité de rédaction de la revue le prévoyait. Tel lecteur, par exemple, se dit « très attristé de voir paraître ces dessins. Cette manière de mettre en scène le diable, le péché, la damnation ou l’abandon de la vocation [lui paraît] insupportable ». Il soupçonne l’artiste d’avoir modifié les histoires de Rodriguez dont il avait gardé un souvenir plus édifiant. Malgré que l’humour de ces « gravures » lui paraisse plein de « vraie gentillesse », il lui semble évident qu’il n’est pas édifiant. « Le sérieux de la vie chrétienne y est oblitéré, conclut-il, et le combat spirituel, banalisé ».  Cela lui paraît « hors de propos dans une revue qui se veut au service de la vie consacrée ». La critique est sévère. Elle n’est pas neuve. Elle demande pourtant qu’on s’y arrête et qu’on y réponde. Ce qui dérange ici, c’est la reprise, chez Rodriguez, de ces historiettes ‘saugrenues’ des Pères puisées en amont et, en aval, le traitement d’humour au carré que leur fait subir Pierre Defoux. Il y a surtout la question de fond, sous-jacente à toute critique : est-il permis de (sou)rire lorsqu’on traite de vie chrétienne, de vie spirituelle, de vie consacrée ?

A partir de la Renaissance et de la Réforme, les récits des Pères du Désert ont trouvé leurs détracteurs, principalement dans certains milieux protestants opposés au monachisme et surtout à l’anachorétisme et cela, au nom du rationalisme. Ainsi Adolf Harnack condamne-t-il la Vie d’Antoine par Athanase ; l’ascèse et la mystique lui paraissent trop proches de la mentalité des sectes païennes ou juives. Les études catholiques par contre, dès les travaux du jésuite Robert Rosweyde éditant les Verba Seniorum dans les Vitae Patrum (Anvers, 1615), réhabilitèrent cette tradition par les contributions, entre autres, de Bousset et de Jules Lagrange. « Vie, spontanéité, naturel…, écrit ce dernier, on y retrouve le caractère des vieux moines : ce ne sont que des fellahs coptes, des illettrés, ils se défient de l’écriture, ils parlent peu, leurs sentences ont un relief puissant, ce sont des paroles pleines de l’Esprit-Saint, et, comme le dit l’un de leurs disciples, leurs discours sont tranchants comme des épées ; ils se complaisent dans les paraboles, dans les anecdotes ; point de dissertations dogmatiques, point de sermons, peu de miracles, peu de visions, mais l’expression spontanée de la vie profonde du cœur. » Et Henri Bremond, qui rapporte cette dernière citation, rappelle que ces solitaires des déserts égyptiens ou syriens sont à l’origine de la vie religieuse dans l’Eglise : « Après la période des persécutions violentes,… une institution nouvelle, le Désert, servit alors puissamment à maintenir la pure doctrine morale du Christ, les principes de l’abnégation, de l’oubli de soi, de la vraie charité, de l’état de guerre constant avec la chair, et avec ce monde qui survivait, plus séduisant et dangereux, à la ruine de l’Empire persécuteur. »

Nos solitaires sont donc des frères universels, des fondateurs et des précurseurs ; rien ne limite le nombre infini de leurs destinataires : ni les distinctions sociales, ni les degrés de culture ni les époques historiques. Ce sont des spirituels qui prêchent d’exemple : en peu de formules et avec une grande liberté de ton, ils rendent sensible et témoignent de la sagesse pratique qui sous-tend leur ascèse. Ils sont « pré-conceptuels » : les synthèses seront élaborées plus tard. Pourtant ils maîtrisent déjà toutes les clés du progrès moral inspiré par l’Evangile. « Ces fellahs presque anonymes, aussi peu savants que les pêcheurs de Galilée, ont pétri à leur tour et façonné pour toujours le monde des âmes, conclut Henri Bremond ; en cela ils sont modernes à un point qui nous étonne ».

Des détails devant l’autel

Peut-on rire des choses spirituelles ?

L’intérêt pour la littérature de nos Pères étant ainsi quelque peu justifié, il reste l’autre objection : son caractère étrange, paradoxal, excessif, bouffon parfois et hilarant. Son humour, surtout. L’objection n’est pas neuve. Godeau, un pieux évêque, écrivait par exemple en 1662 : «L’histoire des Pères du Désert fournit des exemples de pénitence plutôt admirables qu’imitables et qui, par les choses extraordinaires qu’elle contient, sont devenues plus propres pour exciter la risée des gens du monde que pour les toucher et pour les convaincre ».

Nombre de religieuses et de religieux âgés qui ont lu Rodriguez au cours de leur noviciat souscriraient sans aucun doute aujourd’hui à ce jugement, en y remplaçant l’expression « gens du monde » par celle de « religieux ». Il est vrai qu’il faut disposer d’assez d’esprit – et d’ouverture d’esprit – pour ne pas moquer ou mépriser  les pages les plus déconcertantes, amusantes ou humoristiques de nos Pères mais pour y admirer au contraire la sûreté de leurs intuitions religieuses, leur bon sens constant et leur humanité toute évangélique. Rien de plus humain en vérité que « ces croquemitaines de l’ascèse », comme les surnommait Bremond. Sommes-nous bien sûrs qu’ils n’aient pas ri avant nous de ce qui nous fait rire chez eux ? Car ils avaient de l’humour et ils s’en servaient pédagogiquement. C’est ce qui leur est reproché par certains, considérant que le discours religieux ne peut tolérer ni rire ni sourire.

L’humour serait interdit lorsqu’on traite de Dieu, des thèmes sacrés et de la vie chrétienne ; le rire y serait diabolique. L’absolu de Dieu qui interpelle l’homme placerait celui-ci d’emblée au cœur d’une exigence de sérieux incompatible avec quelque forme d’humour que ce soit. C’est cette problématique qu’Umberto Eco a placée au centre de son roman Le Nom de la rose : que faut-il penser du rire ?

Et l’humour, qui occupe une place particulière dans la catégorie du rire, peut-il avoir un rôle dans la vie chrétienne, peut-il y être utile ? La réponse à cette question sera susceptible de justifier la création des petites B.D. de Pierre Defoux, dans la foulée de Rodriguez et des Pères du Désert.

Nions immédiatement deux sophismes. Un : rire, ce n’est pas se moquer. Deux : l’humour n’est jamais ironique, il est au contraire toujours bienveillant. Précisons ensuite la notion d’humour et son fonctionnement. La philosophie consiste à regarder les choses d’un peu plus près ; l’humour, lui, les considère d’un peu plus loin, de façon à adopter un point de vue différent. Il est vrai que, prenant du recul par rapport à son objet, l’humour ménage un espace de liberté, relativise le problème éventuel et semble défier l’absolu. Pourtant, à travers ses paradoxes, il crée du sens et exprime une réelle sagesse humaine.

Lorsqu’il est chrétien, l’humour va plus loin : c’est parce qu’il voit les événements en Dieu qu’il peut les relativiser. « La racine de l’humour chrétien, c’est la confiance en Dieu et la bienveillance envers le prochain et envers soi-même », écrit André Derville. Ce dernier point est capital : pouvoir se regarder soi-même avec humour, cela peut aider puissamment à lutter contre l’hypertrophie du moi  et la tendance à exagérer l’importance des aléas de l’existence. L’humour d’un accompagnant peut aider la croissance spirituelle du sujet en le ramenant à l’essentiel et en brisant le mouvement centripète du narcissisme.

Au cours de l’Histoire, plusieurs saints n’ont pas hésité à solliciter l’humour dans leurs rapports avec Dieu et avec les autres, sinon avec eux-mêmes. Bernard de Clairvaux, François d’Assise, Thomas More, Thérèse d’Avila, Philippe Néri, François de Sales, Jean XXIII,…chacun pour sa part et à sa manière fut humoriste. Quant aux contempteurs de l’humour en général et chez les Pères du Désert en particulier, que nous disent leurs réticences sinon la difficulté de certains à se trouver confronté à sa propre réalité, à sa propre image imparfaite et pécheresse, fût-ce de manière oblique, au travers d’un récit ou d’une parabole, ménageant donc une distance salutaire ? Distance augmentée, de surcroît, par le choix de récits qui nous renvoient à une époque lointaine, antique et quasi mythique, celle des solitaires de la Thébaïde.

Finalement, quel serait pour nous le message toujours vivant des Pères du Désert ? –C’est qu’il n’y a de perfection gagnée et reçue que par le dépassement de nos imperfections. Quoique sauvés, nous restons imparfaits. Les voies de la perfection sont longues, ardues et l’humour consiste à le reconnaître. Sans l’avoir jamais théorisée, les solitaires avaient intériorisé et assimilé parfaitement la loi d’or de la pratique de la perfection : croire en la patience et en l’humour de Dieu qui nous connaît et nous aime plus que nous-mêmes.

Les sommaires et la fin

En novembre 1990, après onze livraisons seulement, l’illustration de Rodriguez est abandonnée dans les pages de Vie Consacrée. Pierre Defoux, jamais à court d’idées, la remplacera par la création de son propre clone, le Frère Gribouille, qui, dans chaque numéro de la revue,  « découvrira le sommaire » et commentera chaque article d’une vignette humoristique. Il le fera fidèlement, sans discontinuer, jusqu’en novembre-décembre 2003, soit dans 78 numéros.

Tout au long de ces années, par toutes ses contributions humoristico-spirituelles, la question que le Père Pierre Defoux n’a cessé de poser aux lecteurs de Vie Consacrée est la suivante : « Religieuses, religieux, pourquoi nous arrive-t-il trop souvent de ne pas (sou)rire ? »

                                                                                                                               P. Robert Myle sj 

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