Portrait : P. Maurice Gounon sj
C’est pendant la 2ème guerre mondiale, au Puy-en-Velay, que le P. Maurice Gounon sj (1915 – 1999) a commencé ses œuvres en accueillant des jeunes en difficulté ou en voie d’exclusion. Son objectif premier était d’aider les jeunes « qui n’ont personne ».
Le P. Maurice Gounon sj est né à Lyon dans le 3ème. Le grand-père, « enfant abandonné », descendu de la montagne ardéchoise pour chercher du travail en ville, avait atterri place du Pont à la Guillotière, un quartier ouvert au paysan sans terre comme à l’émigré. Non loin, le P. Chevrier accueillait tous ces garçons en détresse. Et le petit Maurice écoutait le grand-père parler du Prado, de sa lutte pour sortir de la misère et devenir compagnon du Tour de France, ouvrier mal payé mais fier de son travail (quai de Saône, côté Presqu’île, on peut voir le portail de la Synagogue, chef-d’œuvre de Benoît Gounon). Il n’en fallait pas plus pour semer au cœur de Maurice l’exigence d’une fidélité à la parole et au témoignage du grand-père et du P. Chevrier, et la nécessité de répondre à l’appel de ceux qui n’ont personne.
Répondre à l’appel de ceux qui n’ont personne
Son père, ouvrier plombier, se mit à son compte et créa place de la République un des premiers magasins de sanitaire dans l’entre-deux-guerres. Maurice fit ses études au Lycée Ampère. Au contact du P. Chaîne, à la Conférence Ampère, sa vocation s’affermissait et le patro de St-Pierre de Vaise devenait son banc d’essai. « J’ai attendu 7 ans l’autorisation de quitter mes parents. » Son père freinait des quatre fers car Maurice tenait le magasin. A temps perdu il suivait les cours de philo à la fac, et se perfectionnait en latin avec le P. Tayaut.
Par fidélité au P. Chevrier, il aurait voulu entrer au Prado, mais le père qui le reçut ne prit pas sa demande au sérieux. Déçu, il en parla au P. Chaîne qui le dirigea vers le P. de Castelnau, le recteur du collège de la Trinité. « Celui-ci m’a dit : ‘Votre projet n’est pas tout à fait le ministère ordinaire de la Compagnie. Priez bien.’ Cela m’a démonté, j’ai quand même prié et huit jours après, petit mot du P. de Castelnau : ‘Je n’ai rien contre ce que vous désirez’. Tous les Provinciaux suivants ont répété la même chose. »
C’est ainsi que Maurice entre au noviciat d’Yzeure en novembre 1939, à 24 ans.
Tout au long de ses années de formation , il rencontrera des compagnons avec qui il montera des camps et des colonies. C’est à Vals que germent les premières pousses de ce qui deviendra les « AJD » (Amis de Jeudi-Dimanche). Discrètement, Maurice aiguille sur l’hôpital psychiatrique de Montredon au Puy des enfants juifs privés de leurs parents et confiés à la Supérieure qui les protégera jusqu’à la Libération.
De 46 à 50, théologie à Fourvière. L’effervescence intellectuelle y va de pair avec le bouillonnement apostolique : pour les uns, c’est le monde musulman, pour d’autres, l’enseignement. Pour Gounon, c’est le monde des banlieues et de sa jeunesse.
Pendant 46 ans à Lyon, sa vie se déroule en deux temps : accueillir et quêter…
Ecoutons-le : « L’accueil commence forcément par un sourire, un préjugé favorable, le faire asseoir, lui offrir à manger. Ayons pour ce « millième » un regard neuf. Considérons-le comme l’unique, le premier absolu… Il a quelque chose à me dire, ce n’est pas par cela qu’il commence, ça ne sortira que dans un long moment, ou demain, ou plus tard. A moi de lui donner le temps comme s’il était le seul. Ce qui compte, c’est l’élévation du caractère et de l’esprit. Que cette rencontre les aide à reprendre confiance en leur avenir et à désirer aider les autres, à être un peu plus humain, plus fraternel. Le but, c’est leur montée personnelle, le reste n’est qu’un moyen. »
L’activité du P. Gounon traduisait amplement l’intensité de sa vie spirituelle. Saint Pierre marchant sur les eaux était sa référence. Un besoin se faisait-il sentir ? « On a toujours trouvé depuis 50 ans ce qu’il fallait au bon moment. » Marcher sur les eaux sans perdre de vue le but, telle fut sa démarche constante. Les échecs, les rebuffades, les incompréhensions, il en a eu son compte à la mesure de son action. Silencieusement, il acceptait ainsi de partager la solitude et la détresse de ceux qu’il accueillait. N’en laissant rien paraître, il rebondissait dans la foi et l’espérance, narrant même avec humour ses déconvenues. Il était lui-même une « histoire vraie » de vérité évangélique : aurait-il pu sans cela écrire des années durant ces « Histoires vraies », les fioretti des AJD ?
Ces histoires vraies, écrites ou parlées, furent sa prédication lorsqu’il sillonnait la France et les pays voisins pour recueillir des fonds. Quêteur infatigable, mettant la même foi à tendre la main qu’à accueillir le garçon, et quêteur qui savait dire merci et rendre compte : témoins ces fichiers d’adresses, une mine d’échanges épistolaires qui établissaient une chaîne d’amitiés entre les Amis au contact des jeunes et les Amis qui versaient leurs dons.
Sous son impulsion, les AJD se coulèrent sans encombre dans les règlements organisant l’aide à l’enfance délaissée, et devinrent même « d’utilité publique ».
Après 18 mois de souffrances, le P. Gounon a accompli sa Pâque le 23 octobre 1999 à la Chauderaie, près de Lyon. Selon ses voeux, les AJD vivent de la même volonté d’accueil tandis qu’au Maroc grandit un petit garçon prénommé « Gounon » par son père Mohamed, un parmi les jeunes remis sur pieds…
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Article publié le 13 janvier 2000