Pourquoi les études sont-elles donc si longues dans la Compagnie de Jésus ? Cette question, plus d’un jésuite l’a déjà entendue… Elle émane parfois, teintée de crainte, d’un candidat à la Compagnie de Jésus ou d’un novice. Le P. Thierry Anne sj, maître des novices à Lyon, partage son éclairage sur la formation des jésuites.

formation jésuites

Novices en match de football lors d’une rencontre d’internoviciats jésuites d’Europe du Nord.

« De si longues années de formation… un long tunnel. Ne peut-on pas y échapper en partie ? Est-ce raisonnable vu mon âge ? Quel est le sens d’un si long investissement ? ».
Et voici que nous redécouvrons ces mêmes hommes, quelques années plus tard, parlant avec enthousiasme de leurs lectures, cours, séminaires, travaux de philosophie et de théologie ! Que s’est-il donc passé entre-temps ? Vous remarquerez que j’ai parlé à dessein de « formation » et non pas d' »études ». Nous trouvons-là une possible clef d’interprétation.

Une formation intégrale

En regardant le schéma ci-joint, nous remarquons que ces « si longues » années sont constituées, certes d’études, mais aussi et tout autant de stages apostoliques (missions sur le terrain) et de formation spirituelle, liturgique, communautaire, ecclésiale et humaine. Il est vrai que la Compagnie de Jésus a toujours mis l’accent sur des études longues et approfondies. Non pas comme une spécificité – de nombreux prêtres diocésains, religieux et religieuses suivent le parcours diplômant qui mène à la licence de théologie, en passant par un baccalauréat de philosophie –, mais comme une marque de fabrique. La Compagnie de Jésus, en effet, propose ce parcours de manière quasi systématique à ses jeunes hommes.

Les études de philosophie et de théologie – dont la longueur peut être adaptée à la personne en fonction de ses acquis, capacités et goûts – relèvent bien plus d’un rapport au monde et à l’église que d’une recherche de réussite. En ce sens, nous comprenons mieux cette expression : « mission des études ». En étant envoyé aux études, le scolastique (jésuite en formation initiale) vit ce temps comme une évangélisation de lui-même, une approche contemplative du monde, la recherche compréhensive d’une humanité que « Dieu a tant aimée qu’il y a envoyé son Fils ». Certains nous pousseraient à croire que la louange et la contemplation sont immédiatement accessibles. Mais non ! Les études, loin de dessécher, nourrissent la contemplation ! C’est la dimension « mystique » des études.

Oser la profondeur

Notre ancien Supérieur Général, le P. Adolfo Nicolàs sj, aimait à nous convoquer régulièrement à la profondeur. Profondeur intellectuelle et profondeur spirituelle, les deux étant nécessaires et se répondant en écho, pour assumer au mieux les missions qui nous sont confiées par l’Église, pour entrer en relation avec le monde contemporain. Cette pensée me semble très inspirante, en ces temps où l’on voudrait nous faire croire que tout peut se faire avec rapidité, qu’il s’agit simplement d’annoncer Jésus, etc.

Ici, nous introduisons l’enjeu du discernement apostolique : il faut un minimum de bagage et de capacité réflexive pour aborder des situations complexes, pour appréhender le monde, l’histoire, l’Église… et finalement pour aider le Peuple de Dieu à discerner. On espère d’un jésuite qu’il discerne avant de décider, qu’il réfléchisse avant de parler. Une attitude que les études et le temps long de la formation ont instituée en lui.

Dans la Compagnie de Jésus, on parle volontiers de « ministères nourris de savoir ». Il ne s’agit pas de faire de tout jésuite un intellectuel, un encyclopédiste, encore moins de pousser chacun dans le monde de la recherche philosophique, théologique ou scientifique. En revanche, depuis ses origines, notre tradition reconnaît qu’une approche naïve des choses, des personnes et des événements porte atteinte à la profondeur de la rencontre. Ultimement, nous étudions pour mieux connaître Celui que nous aimons. En entrant dans une certaine intelligence, nous espérons mieux servir l’amour. 

En guise de conclusion

Au moment de la rédaction de ces lignes, je me trouve à accompagner les novices de première année pendant leur retraite de 30 Jours. Aujourd’hui, plusieurs ont contemplé l’enfance de Jésus Christ. L’un d’eux me disait combien il se réjouissait de voir Jésus demeurer si longtemps en une vie simple, dans la vie des gens ordinaires… où il ne faisait qu’aimer les personnes, où il ne cherchait qu’à s’adonner au travail avec amour. Ces trente années furent extrêmement fructueuses pour son ministère public. « Je saisis mieux, continuait ce novice, pourquoi Jésus comprenait si bien les gens de l’intérieur : Il les a longuement côtoyés dans toute l’épaisseur de leur
quotidien. »

N’en est-il pas un peu ainsi avec la formation « si longue » des compagnons jésuites ? Il faut du temps pour entrer en vie religieuse, il faut du temps pour vivre différentes épreuves, voire traverser des échecs, il faut du temps pour être affrontés à la complexité de notre humanité, il faut du temps pour y voir Dieu. Gageons que ce temps  » perdu » en fera gagner ensuite et nous conduira à la profondeur de la vie humaine habitée du désir de Dieu.


Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (printemps 2019), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci de consulter ce lien.

> Lire des témoignages de jeunes jésuites sur leur formation

En savoir + sur la formation des jésuites