Quand la sobriété donne du relief à nos vies : témoignage d’Arthur et Gwendoline Darde
Alors que l’anxiété peut nous gagner face aux catastrophes climatiques et aux défis écologiques, comment garder l’espérance et quelles ressources peuvent nous y aider ? Arthur et Gwendoline Darde sont proches des jésuites et engagés au hameau de Pied Barret en Ardèche. Ils témoignent de leur prise de conscience et de leur engagement concret, en famille, pour une vie alliant sobriété et fraternité.
Nous sommes tombés « tout petits » dans la transition énergétique : c’est « plus facile » ! En février 2004, Arthur lit le premier ouvrage de Jean-Marc Jancovici et se convainc aisément de la réalité du problème, comme des opportunités qu’il ouvre pour les ingénieurs : il faut réinventer notre monde ! Nous nous marions quelques mois plus tard ; Gwendoline rejoint Arthur dans ses préoccupations pour éviter le réchauffement climatique par amour d’abord, puis par une conviction personnelle qui s’ancre à mesure des lectures, discussions et expérimentations.
Notre couple affiche un bilan carbone très faible – à la mesure de la température de notre petit appartement (les voisins ne devaient pas être ravis !) … Cet engagement initial est le fruit de la découverte de ce sujet au démarrage de nos vies de couple et professionnelle : partant d’une page blanche, il nous a été plutôt facile de nous fixer des objectifs qui relèvent du salut de notre civilisation et aident à poser des choix.
Poser des choix et s’adapter
« L’adaptation » s’avère bien plus compliquée que la réduction des émissions. Pour autant, si réduire ses émissions et la consommation de matières premières consiste en quelques choix radicaux mais assez simples (pas d’avion, moins de viande et d’électronique, investir dans un chauffage écologique c’est-à-dire pompe à chaleur et pulls), s’adapter aux conséquences très diverses du court-termisme sociétal recouvre des approches bien différentes. Puis l’arrivée des enfants nous a forcés à quelques concessions, tant par manque de temps que par l’élargissement de la sphère privée… « Avant, j’avais des principes ; maintenant, j’ai des enfants » !
Les multiples enseignements sur la vie d’Ignace de Loyola, notamment dans le cadre du Réseau Magis pour les 18-35 ans, nous aident à introduire plus de souplesse dans une attitude initiale trop radicale, qui a probablement froissé des proches qui se seraient sentis mal jugés. Certains efforts à faible portée génèrent sans doute un coût social trop important. Ainsi, nous avons repris avec plaisir de la viande (nous avions aussi temporairement renoncé à la crème glacée, à cause de la chaîne du froid et des produits laitiers !), en réduisant les quantités pour nous offrir une meilleure qualité lors de certains repas, qui deviennent ainsi plus festifs. En revanche, nous n’avons transigé qu’une fois, depuis 2006, pour les grands trajets en avion, considérant qu’un seul suffit à effacer une année d’efforts sur les émissions de carbone. Nous avons mis l’accent sur les choix qui pèsent, en nous assurant de ne pas rendre triste le quotidien, au risque de tout abandonner. Un autre exemple « d’effort » aux bénéfices appréciables consiste à rouler 10 à 20% sous les limites de vitesse. À l’économie en carburant (au carré de la vitesse) s’ajoute une conduite plus reposante car il n’y a plus besoin de doubler…
Prendre le temps des rencontres amicales et familiales
Un peu plus tard, avec l’arrivée des enfants, nous décidons dans le même esprit de continuer à louer dans le centre de Paris, à proximité des jésuites (de l’église Saint-Ignace notamment) et des gares ferroviaires, ce qui rend plus aisés tous les déplacements à vélo. Nous achetons une petite ferme dans le Perche, que nous retapons vaillamment en 2013. Cette nouvelle base de vie – nous y passons la plupart des week-ends et des vacances – nous fait aimer notre choix de ne pas voyager loin, en nous ancrant dans notre beau pays. Nous découvrons notamment des amis sous un angle différent et sans doute plus riche : au lieu d’un dîner que l’on commence déjà fatigués et qui ne suffit pas à aborder les questions sensibles, nous voyons nos amis sur 24 à 48 heures dans un cadre plus détendu. Nous pouvons prendre le temps de confronter nos points de vue et espérances… et de les voir dans la foulée mis à l’épreuve par la présence des enfants qui révèlent bien des aspects de la vie de famille des amis réunis (nous compris, bien sûr) ! La qualité des relations se « densifie » en entrant dans plus de vérité.
Ce bénéfice inattendu se trouve renforcé par la semaine passée tous les ans à Pied Barret depuis presque 15 ans. Ce hameau acheté par les jésuites en 1984 en Ardèche, pour initier des jeunes aux Exercices spirituels de saint Ignace en montant des murs de pierre, accueille dorénavant des séjours d’une semaine réunissant cinq à six familles pour un temps communautaire, de travail, de partages et de détente dans un cadre exceptionnel. Nous pouvons attester qu’une certaine sobriété donne beaucoup de relief à nos vies et à nos échanges. C’est incontestablement la meilleure semaine de l’année pour nos quatre enfants, qui y trouvent une grande autonomie, au sein d’une troupe variée en âges et dans ses quotidiens au fil de l’année.
Nous espérons que ces ancrages (le canevas de nos vacances varie peu) aideront nos enfants et nous-mêmes à affronter les changements que nous devrons subir. Nous pensons aussi qu’ils contribuent à donner du sens aux divers efforts – somme toute assez relatifs puisque nous ne manquons de rien – que l’on fait en famille.
Arthur et Gwendoline Darde,
proches des jésuites et engagés au hameau de Pied Barret en Ardèche
Cet article a paru dans la revue Échos jésuites (hiver 2022), la revue trimestrielle de la Province d’Europe Occidentale Francophone. L’abonnement, numérique et papier, est gratuit. Pour vous abonner, merci de consulter ce lien.
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